You're late... [Riley]

Les cheveux un bataille, un t-shirt trop large et barbouillé de peinture et des cernes sous les yeux, Isabelle fait cuire son dernier oeuf à la poêle, en guise de repas. La soirée a été longue, si longue qu'elle en est devenue blanche, arrachant à ses joues leur couleur. Sur le mur, une horloge égrène ses minutes, dans un tic tac lancinant.

Isabelle sent le café que charrie son sang, qu'elle a but par litre, pour rester éveillée, la rendre fébrile. Bientôt 16 heures. Elle en a encore pour deux à trois heures de travail. Non. Elle n'en a plus que pour 2 ou 3h de travail, et mérite la pause qu'elle s'est accordée. Manger. Boire une autre tasse de café. Fermer les yeux un instant. Puis, quand elles arriveront, ranger les courses.

L'oeuf crépite, dans la poêle. D'un geste, elle le fait glisser sur son assiette et le sale. Elle tend la main vers le garde-manger, pour en sortir du pain et grimace, au dernier moment. Plus de pain... Elle avait oublié. Son ventre gronde sa faim, comme un rappel odieux... Elle grince des dents, se maudit, maudit le ciel et ce garçon qui tarde tant...


J'ai oublié le pain dans la liste des courses. Tu peux faire le détour? Je te rembourse dès que tu arrives. N'oublie pas ma robe au pressing.
Je ne sais pas ce que je ferais sans toi!
xoxo


Avec un soupir de lassitude, elle pose son portable sur la table basse et s'assoit dans le fauteuil du salon, mangeant à petite bouchée son repas, s'efforçant d'apaiser sa fébrilité. Elle attend l'arrivée de Riley, de ses provisions, de son linge. Il est un peu en retard, mais, suppose-t-elle, il doit avoir une bonne excuse. Cela vaut mieux.

On sonne à la porte... Elle entend les pas de Jamie-Rose qui va ouvrir, quelques mots échangés... Avec un peu de chance...

J'ai oublié le pain dans la liste des courses. Tu peux faire le détour ? Je te rembourse dès que tu arrives. N'oublie pas ma robe au pressing.
Je ne sais pas ce que je ferais sans toi !
xoxo

Voilà le dernier message que je venais de recevoir d’Isabelle, alors que je venais à peine de sortir de la superette dans laquelle elle m’avait envoyé faire ses courses. Je fus donc dans l’obligation d’y retourner, avec le désagrément de devoir prouver l’achat des précédents articles par le ticket de caisse que j’avais soigneusement rangé dans l’une des poches de mon blouson, afin d’acheter le morceau de pain manquant. J’espérai d’ailleurs avoir choisi le bon morceau, car elle ne m’avait pas préciser dans son message quel genre de pain elle préférait – et je savais qu’elle était capable de me demander d’y retourner une nouvelle fois si cela ne lui convenait pas.

Isabelle n’était pas quelqu’un de foncièrement méchant. Elle se montrait même très gentille envers moi. Mais j’avais beau faire comme si de rien n’était, je n’étais pas stupide pour autant et je savais parfaitement qu’elle profitait de ma gentillesse en me déléguant le plus de choses désagréables possible, comme faire les courses ou récupérer ses vêtements au pressing. Eh bien que cela m’embêtait énormément – car j’avais tout de même autre chose à faire que d’être au service de quelqu’un (surtout que je n’étais même pas payé ou récompensé par quoi que ce soit) –, je n’osais jamais dire « non ». Cela avait d’ailleurs toujours été mon problème et la raison pour laquelle les gens ne me respectaient pas et profitaient de moi.

Les deux mains prises par les sacs plastiques remplis des courses que je venais de faire et la robe suspendue à l’un de mes bras, j’attendis patiemment devant la porte de l’appartement d’Isabelle que quelqu’un vienne enfin m’ouvrir. Après quelques mots échangés à la colocataire de celle-ci quant à ma présence ici, j’entrai dans l’appartement et déposait les sacs lourds sur le sol.

- Désolé pour le retard, lui dis-je alors timidement, mais quand tu m’as envoyé le message, je venais de sortir de la superette...

En se retournant, sa tasse à la main, elle le voit, debout dans la salle commune, avec ses sacs, ses housses, les mains pleines, un spectacle qui lui tire un sourire amusé. Posant son mug, elle se lève d'un geste vif: il s'est délesté des sacs, les laissant au sol, et elle lui prend des mains ses tenues, dans leur protection, les posant sur l'un des bras du canapé.

« J'ai été distraite... ne t'excuse pas. »

Il est trop timide et drôle, planté là, pour qu'elle laisse libre court à sa nervosité. Elle prend ses sacs, sur le sol, les transporte jusqu'à la table basse et commence à déballer le tout, agenouillée au sol.

« Reste pas planté là comme une autruche, Riley, assieds-toi... Pousse les affaires qui trainent dans un coin, te gêne pas, elles n'ont rien à faire là »

Elevant la voix, elle crie presque:

« C'est pas TA faute si certains, ici, laissent trainer leurs cours dans le chemin, pour que je les range à leur place! N'est-ce pas, Kei? C'est pas comme si j'avais mieux à faire, après tout... »

Sa voix laisse transparaitre son irritation, s'éraille un peu sur la fin, sur la grimace agacée qui déforme ses traits. Seul le silence lui répond et elle marmonne, à part elle, que faire le sourd ne le sauvera pas de sa vengeance... Avant de sourire à Riley, un peu tendue, encore.

« Désolée... Je ne suis pas de très bonne humeur, les nuits blanches et moi, on se supporte assez mal... Puis j'ai bu du café toute la nuit et la matinée et j'ai des envies de meurtre. Et vu que je supporte assez mal Keiren, déjà, à la base... Tu veux à boire? Du café, du thé?... du jus d'orange? »

Avec un sourire, elle désigne la bouteille qu'il vient de rapporter, alléchée par l'idée de jus frais, en commençant à ranger les courses dans le réfrigidaire.

« Et fais pas le timide... Je ne vais pas te bouffer, promis. J'arrête pas de parler, je sais, je suis fébrile. Trop de caféine. Faut que je me calme. Ca va passer, promis. Enfin, sans doute plus vite si tu parles un peu plus... »

- J'ai été distraite... ne t'excuse pas, me rassura-t-elle gentiment, comme elle en avait l’habitude – je l’avais déjà précisé précédemment : Isabelle n’était pas méchante. Elle utilisait juste cette gentillesse à mauvais escient (avec moi, en tout cas…). Reste pas planté là comme une autruche, Riley, assieds-toi... m’invita-elle alors à faire, alors que je restais debout les bras ballants, ne sachant pas quoi faire à présent. Pousse les affaires qui trainent dans un coin, te gêne pas, elles n'ont rien à faire là. C'est pas TA faute si certains, ici, laissent trainer leurs cours dans le chemin, pour que je les range à leur place! N'est-ce pas, Kei? C'est pas comme si j'avais mieux à faire, après tout... sembla-t-elle s’adresser à l’un de ses colocataires. Pendant ce temps, je poussai timidement les affaires qui traînaient sur le côté afin de me faire une toute petite place sur le canapé, tout en me demandant si je devais l’aider aussi à ranger ses courses. Désolée... Je ne suis pas de très bonne humeur, les nuits blanches et moi, on se supporte assez mal... Puis j'ai bu du café toute la nuit et la matinée et j'ai des envies de meurtre. Et vu que je supporte assez mal Keiren, déjà, à la base... m’expliqua-t-elle, et je ris timidement à ses paroles dans le but de réagir et de bien montrer à Isabelle que je l’écoutais. Parfois, on m’accusait de ne pas écouter à cause de mon manque de réactivité, mais la cause était en fait tout autre. C’était tout simplement parce que j’ignorai quoi dire et/ou faire. Tu veux à boire ? Du café, du thé ?... du jus d'orange ? Et fais pas le timide... ajouta-t-elle, en remarquant parfaitement que je n’osais pas accepter – même si on me le proposait. Je ne vais pas te bouffer, promis. J'arrête pas de parler, je sais, je suis fébrile. Trop de caféine. Faut que je me calme. Ça va passer, promis. Enfin, sans doute plus vite si tu parles un peu plus...

- Non, non, ce n’est rien, ne t’en fait pas, la rassurai-je de ce blabla intempestif. Au moins, nous ne nous regardions pas dans le blanc des yeux dans un silence gênant. Je préférai mille fois mieux qu’elle parle pour dire tout et n’importe quoi que le silence ! Et je prendrais bien un verre de jus d’orange, si ça ne te gêne pas, répondis-je à son offre, tout en restant le plus courtois possible. Qu’as-tu fait cette nuit pour faire une nuit blanche ? osai-je tout de même lui demander, curieux de savoir ce qui l’avait tenu éveillée.