Voila exactement le genre de choses auxquelles il fallait s'attendre avec moi ; tout et n'importe quoi, mais surtout à n'importe quel moment. Je n'étais pas beaucoup plus prédictible aux yeux des autres que je ne l'étais auprès de moi-même, je crois, et même s'il m'arrivait de prendre de mauvaises décisions dans la précipitation, je n'avais jamais cessé de fonctionner à l'instinct pour autant. En prolongement de ça, j'avais aussi pas mal de difficultés à mentir ou même à dissimuler mes émotions... mais là, c'était pas trop la question. Les mots m'avaient échappé, motivés par je ne sais quelle idée selon laquelle accepter ce genre d'engagement pour Lilas allait me donner à moi une garantie concernant notre relation. Ca, oui, mais c'était surtout parce que je voulais « tangiblement » lui faire comprendre que je la désirais comme elle était ici et maintenant et que même au plus bas, elle ne parviendrait pas à me faire changer d'avis sur sa personne. Après tout ce qui s'était passé dans ma vie, après tout ce temps écoulé, les coups durs et les déceptions essuyées à répétition, je m'étonnais moi-même d'arriver à garder la foi en quoi que ce soit et surtout d'arriver à oser encore faire confiance... mais j'avais accepté de chercher à me comprendre depuis quelques années déjà. Peut-être que je me trompais concernant cette jeune femme, peut-être qu'il ne s'agissait que d'une histoire parmi tant d'autres qui allait mal finir... ou alors peut-être qu'on ne tiendrait pas le coup en tant qu'individus et que l'un d'entre-nous finirait par se donner la mort à cause des démons qui dansaient dans sa tête en permanence. Peut-être... mais je l'aimais. J'étais désespérément amoureux d'elle, même, et donc parfaitement incapable de la visualiser hors de ma vie à présent qu'elle y était entrée. Un peu comme un adolescent, c'est vrai... mais dans ce cas, comment un adulte était-il censé aimer ? « Raisonnablement et rationnellement ? » Non, ça ne voulait rien dire, ça s’appelait une relation d'intérêts, ça. Et moi, je ne pouvais pas voir les choses de cette manière, d'autant plus que la connexion que je ressentais avec Lilas ne ressemblait en rien avec celles que j'avais expérimentées en compagnie des autres.
Elle était aussi là pour moi, les choses n'allaient pas qu'à sens unique, or ça, ça faisait toute la différence. J'avais ainsi mon rôle d'homme à ses côtés, mais elle m'apportait également un grand soutien et je pouvais me reposer contre son épaule lorsque j'en avais besoin. On se complétait, voila, et en cela, notre relation me semblait équilibrée.
J'écoutais donc sa première réaction en l'observant attentivement, toujours assis sur le siège de bureau que je faisais pivoter à gauche, puis à droite durant son monologue, sans doute par nervosité. Ses paroles me décrochèrent un sourire un peu gêné, mais je crois que nous l'étions tous les deux et ça n'avait rien d'étonnant, vu la bombe que je venais de lâcher. Mais... est-ce qu'elle avait prit le temps de respirer entre deux phrases, au moins ?
Je me levais après qu'elle m'ait fait signe.
« Non. »
Je me pinçais irrémédiablement les lèvres en détournant difficilement le regard, mais la suite ne tarda pas à venir avant même que j'aie le temps d'avaler ma déception, me faisant alors ouvrir mes grands yeux bleus sans que je parviennes à dissimuler mon étonnement face à ce qu'elle était en train de me raconter. Mon coeur venait de se remettre à battre la chamade. Putain. Cette nana. J'avais même pas pu lui faire concrètement ma déclaration et voila qu'elle me devançait en me disant exactement ce que je pensais de notre relation, comme si ses mots avaient été puisés directement dans ma tête. Je ne trouvais rien à redire à sa tirade, rien du tout. Mon visage s'était simplement penché sur le côté alors que je lâchais un soupir, puis esquissais un vague sourire digne d'un grand nigaud au coeur en chocolat – qu'on m'avait par ailleurs déjà bouffé à moitié. Lilas poursuivit en m'embrassant et ce fut à mon tour de me retrouver complètement sonné jusqu'à ce qu'elle me donne un coup de pied pour me réveiller.
« Je... euh... mais c'est pas... »C'était pas censé se passer comme ça... voila ce que je voulais dire. Elle venait de me désarçonner complètement et je me sentais très bête, D'UN COUP, d'autant plus que la présence soudaine du père de mon Amie n'arrangeait rien du tout. Ca me poussa même à m'éclaircir la gorge dans la confusion, tandis que je tentais d'articuler un 'bonjour'. Est-ce qu'il avait entendu quelque chose de notre conversation ? Oh... ow... oooh... j'avais même pas eu le temps d'amorcer ma vraie demande que je me retrouvais avec tout ça à gérer, hm ? Et s'il me détestait d'un coup pour mon empressement ? Attendez, c'est mes mains qui tremblaient, là ? Je baissais le visage en me plaquant une main contre pour ne pas qu'on me voie virer au rouge sous mon bronzage.
« Damn, Lilas... vais la refaire... j'espère que ta caméra était pas allumée. »Je lui lançais un coup d'oeil, ému, entre deux doigts, puis disparu de la pièce en catimini, comme si je n'y étais jamais rentré, effectuant néanmoins une espèce de petit saut en passant par la porte, parce que dans le fond... dans le fond...
C'EST COMME SI ELLE AVAIT DEJA DIT OUI.
Une fois sorti de là, je me plaquais dos au mur, le temps que mon rythme cardiaque se calme, puis pris doucement la direction de la chambre pour mettre des habits corrects pour le reste de la journée. Ca me laissa aussi le temps de rassembler mes idées avant d'aller à la rencontre de monsieur Martin qui me retint au moins une heure, notamment parce qu'après avoir abordé le vif du sujet, je m'étais enfin détendu et on avait pu commencer à parler musique. Discuter avec la mère de Lilas avait cependant été plus simple pour moi, premièrement parce qu'elle m'intimidait moins, mais aussi parce que je sentais que son avis était déjà positivement arrêté à mon sujet. Je ne pouvais pas me dévoiler entièrement, évidemment, mon passif aurait fait fuir n'importe quel parent responsable... mais je ne cherchais pas non plus à cacher le fait que je n'étais pas l'homme parfait, ceci malgré mon statut, mes études, ou même mon âge. C'est d'ailleurs ma sincérité qui sembla les rassurer bien plus que mes neuf mille dollars de salaire par mois. Tant mieux... je n'en demandais pas plus... et puis ils devaient bien se douter que leur fille ne se serait jamais mise en couple avec mr. tout le monde.
Lorsque cette partie-là du deal fut réglée, ce fut déjà l'heure du diner et aussi décevant que cela devait paraître, je m'étais comporté le plus normalement du monde, comme si rien ne s'était jamais passé ce matin, jusqu'à l'heure de mon départ pour Paris. Ce n'est qu'une fois dans le train que les choses sérieuses avaient commencé de mon côté. Lilas n'était pas bête -du tout- et allait surement se douter de quelque chose, donc il me fallut faire de gros efforts pour tenter de devancer ses cent quarante quelque chose de QI en m'organisant sur quelques jours, d'ici à ce qu'elle me rejoigne. Mais je ne parlais pas de Los Angeles... j'avais fais annuler le billet pour rester en France et aussi galère que ce fut de m'y retrouver dans la Capitale, je parvins à peu près à mes fins, tout ceci dans les temps. Elle voulait un truc dans les règles ? Très bien. J'étais tout à fait capable de faire ça, même si ça n'impliquerait malheureusement pas ni un Tardis, ni des pyjamas licorne (ouais je sais, vous êtes trop déçus).
Mardi 11 mars 2014, 17h34. Mains dans les poches de mon pantalon, j'observais le TGV ralentir, puis s'arrêter avant de laisser sortir des passagers sur les voies. Les gens circulaient à gauche et à droite, mais personne ne semblait tellement pressé et pour ma part, je gardais les yeux rivés sur les gens qui arrivaient dans ma direction, tout en attendant patiemment d'apercevoir une tête blonde reconnaissable parmi eux.
(c) Bloody Storm