Il n'avait fait que d'exprimer son honnête opinion, sans fioritures ni prétextes ... Et pourtant, Paul Bitemignon pressentait instinctivement que cela n'était pas la bonne chose à faire. Si le regard foudroyant que la psychologue lui renvoyait alors en était bon indicateur, sa remarque s'était plantée en plein coeur de celle-ci, touchée à vif par le fait qu'il puisse ne serait-ce qu'oser remettre en question son aptitude à prendre en charge un cas tel que le sien. Pourtant, à ses yeux à lui, ses craintes n'étaient pas infondées et ses doutes, eux, lui semblaient plus que justifiés. Détournant honteusement son regard de la femme à la peau matte, Paul attendit silencieusement une réaction de sa part. Une quelconque preuve que ses mots l'avaient vexée plus qu'elle ne semblait vouloir le montrer, une confirmation qu'il aurait mieux fait de tenir sa langue, cette fois-ci, comme à son habitude. Lorsque Mlle. Tyler reprit la parole, il écouta, silencieusement, chacun des mots qu'elle avait à dire, sans réagir ni broncher. Son visage resta figé, presque impassible, face aux mots qui assommaient ses tympans tels des marteaux de fer. Ses pensées, cependant, tourbillonnaient à une allure ... Vertigineuse. Il se sentait blessé par les propos de la thérapeute qui, pour le coup, semblait manquer davantage de professionnalisme qu'elle ne semblait être prête à l'accepter. Hésitant à mentionner cet argument de taille, il se décida finalement à ne rien dire, se contentant, simplement, de tenter de faire passer la pilule au mieux de ses capacités.
- Mademoiselle, je suis médecin également ... Et alors ? Il y venait justement. Et je peux vous garantir qu'il m'arrive également d'avoir des annulations car certaines patientes ne sont pas confortables à l'idée de se faire suivre par moi, autant pour mon âge que pour d'autres raisons qui me semblent injustifiées mais qui leur prennent au coeur. Je ne me vexe cependant pas pour autant. Au contraire, je tente de les induire en confiance. Peut être devrait-elle tenter de faire de même, cette Mlle. Tyler. Après tout, il n'était pas homme méchant ; une simple discussion aurait suffi à lui faire comprendre qu'elle n'était pas une femme lubrique sans réelle préoccupation pour son métier et il aurait déjà été davantage enthousiaste à l'idée de suivre une thérapie sous sa gouverne. Actuellement, cependant, l'hostilité de Mlle. Tyler l'effrayait plus qu'autre chose, tant et si bien que Paul se sentait incapable de se confier en elle sans avoir peur qu'elle ne l'agresse ou ne dénigre entièrement son point de vue. Si celle-ci avait le droit de se sentir vexée par ses propos, elle se devait également, à ses yeux, de ne pas laisser cela se faire paraitre, comme lui a dû apprendre à le faire, au fil des années. Et pourtant, il n'exerçait que depuis trois années, à tout casser. Nombreuses étaient les demoiselles et dames qui étaient entrées pour une consultation avec le docteur Bitemignon avant de ressortir, indignées de son bureau quelques instants plus tard, car, à défaut d'être un homme, il était également bel homme et jeune de surcroit. Cela ne l'avait cependant jamais découragé pour autant, bien au contraire ... Et jamais ne s'était-il permis de leur dire qu'elles n'avaient aucune raison de ne pas lui accorder leur confiance. Du moins, pas de façon aussi candide que la psychologue qu'il avait eu le dessein de consulter, ce jour là. C'est alors que la thérapeute jugea bon de clarifier des détails sur son parcours professionnel et, si le franco-norvégien appréciait ces clarifications de sa part, il n'empêchait qu'à ses yeux, le mal était fait. Si la proposition de la jeune femme semblait honnête, sincère et, potentiellement alléchante, le gynécologue ne put rien faire d'autre que de cligner des yeux avant de secouer de la tête de gauche à droite, découragé.
- Je suis navré mais je ne pense pas vous correspondre en tant que patient et je préfère ne pas gaspiller votre temps ni mon argent. Je ne remets pas en cause votre capacité à faire votre travail, vous ne seriez pas derrière ce bureau depuis si longtemps, comme vous le dites si bien, si vous n'étiez pas capable de faire le métier que vous avez décidé de faire. Néanmoins, je ne pense pas pouvoir bénéficier de vos services, et je m'en excuse. Ceci était une erreur.
Lui lançant un regard d'une sincérité désolée, l'homme leva alors ses bras, légèrement, haussant en même temps ses deux épaules. Puis, il pivota sur lui-même avant de s'engouffrer dans les escaliers et de descendre les marches quatre à quatre, ne souhaitant pas prolonger davantage cette conversation qui, à ses yeux, ne lui aurait rien apporté de bien.