Une pluie fine tombait à l’extérieur, m’empêchant de me concentrer sur les copies que je corrigeais. Plus j’essayais et plus cela devenait pire, comme si ce petit ruissèlement s’insinuait dans ma tête. Lâchant mon crayon, je me levai doucement, frottant mes yeux plein de fatigue. Il était rendu tard, sans doute assez tard pour que je commence à m’inquiéter de l’heure tardive à laquelle allait rentrer Hiroki, mon fils. Mais je sais que je le saurais s’il lui arrivait quelque chose. C’est assez étrange de dire cela, quand on sait que je l’ai complètement oublié. Mais en regardant les photos, je sais qu’on a été très proche durant les cinq années où nous avons été heureux ensemble, et je doute sincèrement que ce lien sacré qui nous unissait ait disparu avec tous mes souvenirs. Parce qu’il reste tout de même mon fils, non?
Me prenant un verre d’eau à la cuisine, je pris quelques gorgées et je vidai le fond dans le petit bol qui venait de prendre place dans la pièce depuis le début de la journée. J’avais décidé d’adopter un chaton, croyant qu’un peu de zoothérapie pourrait peut-être m’aider à me souvenir. J’avais donc pris toute ma journée pour prendre soin du chaton, je l’avais dorloté, nourris, cajolé, et maintenant je me retrouve en retard sur la correction des copies des examens de fin d’année, et incapable de me concentrer sur ce que j’ai à faire. Soupirant, je me mis à chercher le petit chaton, jusqu’à ce que j’entende du bruit à l’étage. Le bébé avait-il décidé d’aller chercher des noises à Hug, l’énorme chat de mon fils? Paniquée à l’idée qu’il n’en fasse qu’une bouchée, je montai à l’étage pour essayer de trouver le chaton, découvrant la porte de la chambre de mon fils entrouverte. La poussant doucement, je ne vis nulle trace du bébé chat, mais y découvrit tout de même un bordel assez important, signalant la présence d’un petit animal coquin un peu plus tôt.
Me penchant, je commençai à ramasser les vêtements, les carnets et les assiettes qui trainaient dans la chambre. Hiroki détestait que je touche à ses affaires, mais je n’arrive pas à m’en empêcher. Plus le temps passe depuis l’accident, et plus je me sens mère, malgré le fait que dans un sens, je ne connais pas mon fils. Une tristesse m’envahit à chaque fois que j’y pense, à chaque fois que je me rends compte du mal que je lui fais. Mais comment lui dire? Comment lui faire comprendre que je souffre autant que lui souffre, qu’à chaque fois que je le vois pincer les lèvres quand je lui pose des questions, mon cœur se fendille en comprenant qu’il ne me voit plus comme celle que j’étais. Est-ce que je suis désormais une inconnue pour lui aussi? Je ne dois plus être la mère qu’il a connu, alors comment pourrais-je la redevenir, s’il ne m’en parle jamais?
J’ai peur, j’ai peur de l’oublier pour toujours, et qu’à cause de ça, la personne que j’aimais le plus au monde soit celle qui me déteste le plus désormais. Comment cela peut-il même être possible, quand on pense que je n’ai rien fait, hormis être au mauvais endroit au mauvais moment? Ramassant toujours la chambre, je commence à tomber sur plus en plus de feuilles de papier, certaines chiffonnées ou encore qui semblait rangées avant le passage de la petite terreur. N’y portant d’abord pas attention, mon regard se pose alors sur un, et puis deux, et puis trois dessins. Je les observe, un à un. En prend d’autres. Et mes yeux se remplissent de larmes, ma tête se remplissant de ses images, une à une, des émotions et de souvenirs que j’avais oublié m’envahisse et je me retrouve par terre, les joues ruisselantes de larmes. Comment il a pu me cacher cela depuis tant d’années? Comment a-t-il pu croire que me cacher ces dessins ne m’aiderait pas à revenir. Car ces dessins, c’était cela qu’il me fallait, mon esprit s’en nourrissant comme on prendrait l’eau de la fontaine de jouvence pour s’en abreuver. Parce qu’ils représentent ce passé, ce passé que j’ai oublié mais qui nous lie, lui et moi. Ils sont mieux, bien mieux que les photos, car je vois les émotions de mon fils s’y dépeindre, un ton plus foncé ici ou un trait lumineux par là. J’y vois un enfant regardant une grande blonde par la fenêtre, un après-midi à faire des jeux, une cérémonie quand nous avons renouvelé nos vœux, Alex et moi, un anniversaire, un tombeau, où j’imagine que je lui avais parlé de Cassandra. Tant de souvenirs qui ne m’appartenaient plus viennent se poser devant moi, sous les traits particuliers de celui pour qui je comptais le plus au monde et que j’avais réussis à décevoir.
Atterrée devant tous ces dessins, je laisse mes larmes coulées, de désespoir devant tout ce que j’ai perdu, de tristesse pour le mal que j’ai fait à Hiroki, et de détresse pour cet amour que j’ai perdu et qui commençait à me manquer au plus haut point.