benefit of despair
Lysander n’avait pu s’en empêcher. Lukah en prison, la rage au bord des lèvres. Lukah captif et lui libre comme l’air. La famille inquiétée et les proches détruits. A cette dernière pensée, son âme noir avait repris le dessus. Son irrésistible besoin de briser des choses, de se faire du mal à travers les autres avait surpassé la peine qu’il portait à son frère. Lors de l’unique coup de fil qu’ils avaient pu échanger, son jumeau avait mentionné un entourage qui allait en souffrir sans évoquer de prénom. Aussitôt, une identité s’était dessinée dans son esprit : Jordan. Jordan, l’étoile filante de la vie de Lukah qui semblait y passer et repasser régulièrement tout en échappant au regard et au toucher. Depuis leur brève rencontre à Coachella, ils ne s’étaient plus parlés. Lys avait redouté que la jeune femme n’en parle à son frère mais visiblement elle avait gardé cette rencontre secrète. L’occasion n’était que trop belle. Si toutefois elle était au courant de son arrestation, tout comme lui, le désarroi l’aurait envahie. Et l’âme possessive et le cœur imprudent de Lys s’étaient promis d’être le Foster qui l’épaulerait. Une mauvaise idée, une décision narcissique salie de revanche mais bel et bien ce qu’il avait choisi et assumé. Il avait alors mis en œuvre des talents qu’on ne lui soupçonnait pas. C’est affublé de scones tout chauds -couverts d’un torchon d’après les conseils de sa mère anglaise - ainsi que d’un pot de confiture - elle achetée par ses soins - que Lys conduisit jusqu’au domicile de Jordan Anderson. Il était aux alentours de 17 heures et il avait suffi à l’étudiant de faire les yeux doux à la secrétaire d’administration, tout en prétextant un devoir en retard, pour qu’elle ne lui confie naïvement l’adresse du professeur. Durant tout son trajet, l’esprit étonnamment tranquille, Lys ne se sentait pas honteux. Il ne doutait pas de ses actes qu’il estimait justifiés et innocents après tout. Alors qu’il sortait de sa voiture pour aller frapper à sa porte, Lys se sentait le héros de l’histoire. Le courageux, l’irréprochable, l’altruiste. Le tupperware coincé sous le bras, il s’en grilla une calmement comme si la plus douce des soirées s’ouvrait à lui. Dans sa tête résonnait une musique apaisante, aux accents jazzy avec cette cadence si régulière, si lénifiante. Il finit par écraser le mégot sous la semelle de sa chaussure puis s’avança sur le perron après avoir vérifié le nom sur la boite aux lettres. Il frappa trois coups puis attendit patiemment qu’elle ne lui ouvre. Immédiatement, il remarqua la surprise sur son visage une fois qu’elle eut compris qu’il ne s’agissait pas de Lukah. Il était vrai que sa récente transformation le rapprochait à nouveau du visage de son frère mais encore loin de sa carrure. Il lui offrit un sourire léger, presque embarrassé avant de dire d’une voix sérieuse : « On m’a dit d’en prendre soin alors... » Il parlait d’elle. Ce mensonge aurait pu être si véridique tant Lukah devait toujours se soucier des autres plutôt que de lui-même. C’était pourtant lui derrière les barreaux ! Sans attendre il lui tendit le tupperware d’où s’échappait le doux fumet brioché des scones. « Spécialité anglaise. Parfait pour les tristesses post-arrestation. » Une blague amère qui eut même du mal à passer sa propre gorge. Lys demeura sur le pas de la porte, respectueux, prudent. Un personnage dans lequel il n’avait presque pas eu de mal à se fondre.