Cap ou pas cap de refaire le monde? - Maggie et Morgan -

Morgan fourra un pack de bière au fond de son sac ainsi que son éternelle boite métallique dans laquelle il avait préalablement glissé plusieurs joints. Il avait à peine eu le temps de prendre une douche tant il était en retard. Son professeur de cinématographie l’avait retenu après son cours afin de parler de sa dernière copie qu’il jugeait surprenante. S’en était suivi un débat passionnant, qui lui laissait supposer qu’il aurait une excellente note. Mais il était déjà 20h et Morgan partait à peine de la résidence des Phi. Il envoya un sms à Maggie pour la prévenir et s’élança dans les rues de L.A sur son skateboard. L’Italien ne connaissait pas de meilleur moyen de se déplacer rapidement. Il ne prenait que rarement la voiture pour des trajets aussi courts, il ne souhaitait pas perdre une heure dans les embouteillages.

Une fois devant l’immeuble chicos de la demoiselle, Morgan prit sa planche sous le bras en fit le tour. Maggie s’attendait probablement à ce qu’il sonne pour lui ouvrir la porte de l‘interphone, mais l’Italien avait une autre idée en tête. Il fit le tour de l’immeuble et emprunta les escaliers de secours entretenus qui zigzaguaient le long de la façade arrière. Parvenu au bon étage, il inspecta discrètement chaque fenêtres jusqu’à trouver la jeune femme, debout devant son plan de travail en train de finir ses crêpes. Morgan l’observa quelques secondes, jusqu’à ce qu’elle lève enfin les yeux vers lui, et lui adressa un large sourire derrière la vitre. Il lui fit un clin d’œil en levant son sac vers elle et attendit qu’elle vienne lui ouvrir. Une bonne petite soirée en perspective !  

Arctic Monkeys chantent leur dernier album dans mon appartement. Je me dandine en chantonnant dans ma cuisine, ma bonne humeur boostée au maximum. Pour la soirée qui s'annonce en compagnie de Morgan, je prépare les crêpes que j'ai promise. Comme souvent. Ouais, je fais souvent ça pour nos soirées, parce que fumer ça donne faim. Et quoi de mieux que des bonnes crêpes nutella ou confiture pour combler une faim nocturne. « I wanna grab both your shoulders and shake baby, Snap out of it » Et je fais sauter la pâte dans la poêle, encore et encore. Quand enfin, je lève la tête vers mon horloge pour surveiller l'heure, et découvre plutôt Morgan, accroupi devant ma fenêtre à m'observer malicieusement. Quel fou ! Immanquablement, je lui adresse un air surpris avant de rire. Il ne peut pas passer par la porte d'entrée comme tout le monde lui, non. Mais ça m'amuse. Ses innovations m'étonneront toujours. Il me fait un clin d’œil et me montre son sac à dos, comme pour sous entendre que c'est la caverne d'Ali Baba à l'intérieur. Parce qu'il sait comment nous régaler. « T'es un grand malade, tu le sais ça ? » Lui dis-je en ouvrant enfin la fenêtre pour le faire entrer. Ses deux pieds touchent le sol et il avance dans ma cuisine. J'avais zappé à quel point il était grand à côté de mon mètre soixante. Rapidement, je retourne au fourneau, de peur que mes crêpes ne crament. C'est la fin de la fournée ; on pourra bientôt se mettre bien. « Vas-y, installe-toi, fais comme chez toi hein. » Comme d'habitude.  « Je termine la dernière crêpe et on est bons. Faut absolument que je te montre un truc ! » Finis-je en me retournant vers lui avec enthousiasme. En effet, j'avais eu l'occasion de grimper sur le toit de mon immeuble et la vue que j'y avais découverte était époustouflante. Il devait absolument voir ça ; c'est inévitable qu'on va y phaser toute la soirée. C'est tellement nous ce genre de merveille.

Morgan regrettait de ne pas immortalisé d’une photo la tête que venait de faire Maggie en l’apercevant. L’Italien n’en était pas peu fier. Il aimait surprendre, et surtout ne jamais faire comme tout le monde. La normalité ne l’intéressait pas. Il rit à son commentaire et passa tout d’abord son sac et sa planche par la fenêtre pour les déposer sur le parquet.

- Une envie de tester tes escaliers de secours, plaisanta Morgan. Ils sont clean, c’est bon !

Morgan s’assit sur le rebord de la fenêtre, les jambes à l’intérieur et se laissa souplement retomber sur le sol. Du haut de son mètre quatre-vingt-deux, il avait appris à se déplacer en conséquence. Loin d’être maladroite ou empoté, il avait au contraire acquis une aisance naturelle. Ça le faisait toujours sourire de constater à quel point Maggie était petite et frêle à côté de lui. Mais il Morgan avait appris à ne pas la sous-estimer. Elle était rapide et particulièrement douée pour percer ses défenses au basket. La demoiselle retourna bien vite au fourneau, bien décidée à ne pas faillir à sa mission du jour, à savoir-faire des crêpes. Morgan la suivit sagement, un sourire étirant ses lèvres quand elle lui proposa de faire comme chez lui.

- Comme chez moi ? Même me balader nu ? Demanda-t-il d’un ton innocent.

L’Italien se posa contre le plan de travail en lorgnant sur le tas de crêpes. Ça faisait un moment qu’il avait pas mangé. Des crêpes des vraies, à la française. Pas des pancakes Américains bourratifs. Ses yeux détaillèrent les gestes de Maggie, il avait hâte de se mettre la tête à l’envers, la semaine avait été longue. Très longue. Sa dispute avec Gia avait encore empiré. Alors qu’il s’obligeait à oublier ces histoires, ces dernières semblaient le tourmenter d’avantage. La demoiselle avait bien tenté une réconciliation par des sms plutôt sympa. Mais Morgan tenait à se protéger lui-même, de cette petite douleur qu’elle lui causait. Sauf qu’il avait l’impression que ça n’avait fait qu’empirer. L’italien n’avait pas l’habitude de ça, il ne savait pas comment la gérer, comment l’arrêter, ni comment la supportait, si ce n’était avec un joint pour ne plus y penser. Il n’y comprenait rien, ses sentiments étaient contradictoires, aussi les fuyait-il. Morgan les fuyait tous, sa tante, son oncle, Gia. Il comprenait pourquoi ses parents ne lui avait jamais parlé d’eux. Ils était de la même famille, du même sang, mais ils étaient pourtant étrangers. Jamais vraiment intégré, jamais vraiment à sa place. Elles étaient là ses racines, aux Etats-Unis, il s’y plaisait. Le Phi secoua lentement la tête pour redescendre sur Terre. Maggie, elle, était enthousiaste, et lui était trop bon vivant pour rester de marbre dans ces moment-là. Deux potes, des crêpes, un joint qui tourne. Une scène banale mais rassurante. Morgan leva vivement les yeux vers elle lorsqu’elle lui parla d’un truc à lui montrer.

- Tu attises ma curiosité là, répondit Morgan.

Le brun avait bien du mal à masquer son impatience. Apparemment il était impossible à gérer lorsqu’il était gamin, toujours agité, toujours occupé à imaginer tout sorte de chose farfelu et tenter de nouvelles expériences aux plus grand dam de ses parents. Si son hyperactivité c’était calmée en grandissant, elle ressurgissait parfois, et tout ce sucre n’allait pas l’aider. Mais Morgan s’en fichait, il voulait s’empiffrer et refaire le monde avec Maggie.

Je suis forcée de rire quand Morgan me sort des répliques comme celles-ci. Ce qui confirme mes dires : ce mec est un grand malade. Et j'adore ça ! Bien, si mes escaliers de secours sont clean c'est parfait. On passera donc par là pour atteindre le toit. Je suis certaine qu'il en sera époustouflé. Alors qu'il entre dans mon appartement, je retourne vite fait à mes fourneaux d'où je termine mon plat de crèpe. J'ai déjà préparer le nutella et tous ces trucs bien gras qu'on adore dans un sac à dos. Il avait été prévenu par message que j'allais faire des crêpes, et je ne fais pas les choses à moitié. « Comme chez moi ? Même me balader nu ? » Son ton innocent m'extirpe un rire. Je me retourne vers lui avec un regard malicieux. C'est le premier à sortir ce genre de chose quand je fais des politesse. J'en ris toujours. Le lorgnant de bas en haut, un sourire amusé au visage, je réponds « Qu'on soit d'accord, ce qu'il y a sous ton pantalon, reste sous ton pantalon. » Bien que Morgan soit un gars plutôt charmant -on ne va pas se mentir- il n'y a jamais eu d'ambiguité entre nous. On aime juste passer du temps ensemble, à se défoncer comme on l'aime bien et à se jeter des paillettes dans les yeux. C'est cette simplicité que j'aime avec lui. Les mêmes rêves nous animent et c'est tellement bon de pouvoir partager ça avec quelqu'un. Disons que c'est notre manière à nous de faire abstraction de tous nos problèmes quotidiens. C'est bien la dernière chose que je veux oublier ce soir. Le malaise avec Noah m'a carrément foutu froid dans le dos, et autant dire que penser constamment à ça me fatigue. Je ne sais même pas comment agir avec lui, ça me rend trop nerveuse. J'ai besoin d'une pause. C'est tellement pas moi la nervosité. J'ai toujours été celle qui se fiche de tout et qui prend les choses comme elles viennent. Je ne sais pas pourquoi je me torture autant avec lui. La venue de Morgan est juste ce dont j'ai besoin ce soir.
Je finis enfin par emballer les crêpes dans un papier alluminium pour les transporter jusque sur le toit. Quand je parles à Morgan de ce lieu qu'il doit voir, son regard me questionne. « Tu attises ma curiosité là. » Je souris immanquablement, pendant que je fous tout ce dont on a besoin dans mon sac : nourriture, quelques bières et weed fraîche. Plus un gilet et un plaid, au cas où le vent viendrait nous refroidir. « On va aller sur le toit. Tu vas voir la vue et tu m'en diras des nouvelles. » Une fois prête, je me poste devant lui avec un sourire large sur jusqu'aux oreilles. Je dessine un rond avec ma main sous des yeux, pour lui indiquer de faire demi-tour. « On va passer par là d'où tu viens, si tu veux bien. Puisque les escaliers sont clean ! » Je lui lance en riant, passant la première par la fenêtre pour atterrir sur le sol en fer.

Morgan ne put s’empêcher d’afficher un sourire en coin face à sa propre question, et en voyant Maggie le regarder de bas en haut. Sa réponse lui arracha un rire. Il leva les mains, comme pour se rendre, et lui adressa un clin d’œil. « Ok ok, je devrais pouvoir me retenir de tout enlever. » Morgan lui donna gentiment un coup de hanche. C’était bien simple, Maggie avait le don de réveiller toute sa malice. Elle savait comment le mettre de bonne humeur, et faire travailler son imagination. En retour, il adorait la taquiner et la faire rire. Il aimait sa simplicité, son humour et sa gentillesse. Elle était un peu son homologue féminin. En fait, ils étaient assez douées pour se dérider l’un l’autre, et ce soir ils en avaient grand besoin.  Ce qui étais bien avec Maggie, c’était qu’elle ne trouvait pas stupide l’idée de gravir une montagne pour admirer des ruines, ou encore de traverser un désert à dos de chameau pour visiter des pyramides. S’ils pouvaient refaire le monde, il serait bien plus drôle et pacifiste.

Morgan observa la demoiselle emballer les crêpes, et préparer un sac avec un kit de survie, à savoir la nourriture, les bières, et de quoi tenir chaud. L’Italien lui-même avait prévu un des sweatshirts à capuche de l’université, au cas où. Morgan aimait sa vie à la fac, surtout depuis qu’il avait quitté sa chambre d’étudiant miteuse pour rejoindre les Phi Epsilon. Il n’empêchait que ça lui manquait d’avoir un coin à lui. Assis sur sa banquette près de la fenêtre de sa chambre, il pensait parfois au grand olivier au bout du champs, derrière la ville de son oncle, où il aimait se réfugier quand il était en colère ou avait un coup de blues. Il n’était pas facile d’avoir son coin tranquille ici, à Los Angeles. Morgan adorait l’idée de passer la soirée sur un toit, il avait toujours aimé la hauteur, et cette sensation d’être inaccessible. Trop haut pour que les autres ne puissent l’atteindre, tout en pouvant les surveiller et se moquer de leur ignorance. « Passons par les escaliers, ça nous fera perdre les calories qu’on va reprendre en se goinfrant ». Morgan pouffa et s’engouffra à la suite de la demoiselle par la fenêtre, pour la seconde fois en quelques minutes. Comme si l’un ou l’autre besoin de perdre du poids ! Une fois en haut, le Phi sauta souplement sur le sol. Il remarqua instantanément le vieux papier de basket fixé sur le mur en face, et le ballon abandonné au sol. Il y avaient quelques chaises, des plantes diverses, et des lampions qui pendaient au-dessus de sa tête tels des ballons colorés. C’était simple, mais douillet et chaleureux. Bientôt la nuit tomberait sur Los Angeles et son voile d’encre les recouvrirait. Morgan posa son sac sur l’une de chaises et s’approcha du bord. Le muret de protection lui arrivait à mi torse. Il posa ses coudes dessus et se pencha, presque dangereusement. Il n’avait jamais eu le vertige, n’avait jamais craint les chutes. En bas, les derniers passants se dépêchaient, pressés de rentrer chez eux pour le weekend. Déjà le soleil déclinait au loin, illuminant le ciel de couleurs rosées et orangées, mais les rumeurs du trafic, elles, ne cessaient jamais. « Wouha, c’est super ! Tu viens souvent ici? » Morgan tourna la tête vers son amie, lui offrant un sourire ravi. Tout ça, c’était tellement eux. Il sortit alors son paquet de cigarette et en coinça une entre ses lèvres avant de tendre le paquet à Maggie. Commencer doucement, sagement. « Tu as le monde à tes pieds ici ».

Spoiler :

« Passons par les escaliers, ça nous fera perdre les calories qu’on va reprendre en se goinfrant » Sa réplique me fait rire. Il est vrai que j'ai fait pas mal de crèpe pour deux... Il m'en restera pour le lendemain du coup. J'emboite le pas à Morgan, mon sac sur le dos, et lui montre le chemin jusqu'au toit. Je suis tout excitée à l'idée de lui montrer ma trouvaille. C'est clairement splendide ! [...] Une fois en haut, je me retourne vers lui et écarte les bras en m'écriant « Tadah ! ». Les yeux pétillants de Morgan détaillent chaque recoin du lieu. Cette ambiance cosy lui plait, ça se voit. De toute évidence je m'en doutais, je le connais. Il avance doucement pour examiner l'endroit, et je l'imite. Ce doit être un vieux petit coin de paradis. Abandonné je ne sais pas, mais c'est toujours réconfortant de constater que ce lieu a déjà vécu. J'imagine les parties de basket que des jeunes ont du faire (en espérant que le ballon ne soit pas tomber par dessus la rembarde du toit), les soirées au clair de lune, etc. Quelques plantes tentent de résister au manque d'eau, mais pour une grande majorité, leurs feuilles n'affichent pas vraiment bonne mine. Je fais un signe de tête à Morgan pour l'inciter à venir admirer la vue plongeant sur Los Angeles. Un spectacle renversant, encore plus en fin de journée comme maintenant. Evidemment, moi, je grimpe sur une vieille chaise à côté pour pouvoir avoir une vue potable, car c'est impossible depuis la petite taille. En règle général, je n'ai pas peur de m'asseoir à califourchon sur le rebord, laissant une jambe trainer dans le vide tandis que l'autre reste du côté du toit. Mais si je finis défoncée ce soir, je risque de voir mon sens de la gravité me jouer des tours. Mieux vaut éviter.
Silencieusement, j'admire la vue immense sur cette ville sintillante de toutes ses lumières, ne perdant pas une seule miette de la vie si active au dessous de nous. Depuis notre point de vue, tout semble si extérieur, lointain et calme. Je jubile déjà en pensant à cette soirée avec Morgan, nos crêpes, nos joints et nos pensées rêveuses. « Wouha, c’est super ! Tu viens souvent ici ? » Wouha, c'est le mot. Il me sourit, ravi. « T'sais j'ai découvert cet endroit il n'y a pas si longtemps que ça, donc je n'ai pas pu y aller aussi souvent que ce que j'aurai aimé. Mais c'est clairement un de mes lieux préférés de Los Angeles depuis peu ! » Il me tend une clope que j'attrape volontiers et allume après lui. « Tu as le monde à tes pieds ici » Ce n'est rien de le dire. Une nouvelle fois on admire la hauteur, s'imaginant flotter voire voler au dessus de la ville. Je ne sais pas si c'est le vent ou la vue mais j'en ai des petits frissons dans le dos. Une taffe de nicotine vient me brûler la gorge, et j'expire avec plénitude. « Clairement ouais. Fin littéralement. » Je rigole bêtement. « Mais c'est tellement... reposant ! » Finalement je m'assieds à côté de Morgan sur la chaise que j'avais prise, dos au muret. Le soleil se couche et nous offre de belles couleurs rosés que j'admire. J'suis contente qu'il aime. C'est un endroit que j'étais obligée de lui faire partager. Parce que ça fait partie des choses qui me font rêver, et dont je sais que Morgan peut comprendre. Et il y a ce projet aussi que j'aimerai lui dire... « Tu sais d'ailleurs, je l'ai encore dit à personne mais... » Je reprends une nouvelle bouffée de nicotine. « Je pense vraiment partir un mois cet été, après le master. Me trouver un stage ou je sais pas. » Je voudrais juste aller voir un peu le monde.

Spoiler :

Une légère brise s’engouffrait entre ses mèches brunes, et les rayons du soleil couchant se reflétaient sur les mèches blondes de Maggie. Morgan était le genre de personne qui remarquait ces détails. Son âme d’artiste était attaché à l’esthétique, à la fois à la beauté, et à la simplicité des choses qui l’entouraient. Il observa la demoiselle qui grimpait sur une chaise afin de voir correctement, et cette petite scène lui arracha un sourire taquin. Il ne put retenir un petit rire. Le Phi aimait bien se moquer de la petite taille de Maggie. Un petit bout de femme frêle au caractère pourtant bien présent. Combien de fois l’avait-il provoquée en portant le ballon de basket à bout de bras, lui rendant inaccessible ? Morgan tira sur sa cigarette, la fumée blanche s’élevait en spirale vers le ciel et finissait par s’évaporer. L’Italien écoutait attentivement son amie, en faisant des ronds irréguliers, comme des auréoles qui se déchiraient.  Ainsi ça ne faisait pas longtemps qu’elle connaissait cet endroit. Elle avait donc tout le temps de l’aménager comme elle le souhaitait. Morgan jeta un coup d’œil moqueur aux plantes suffocantes.

- C’est une belle découverte alors. En tout cas tu n’as pas la main verte à ce que je vois.

Morgan lui adressa son sourire le plus innocent et reporta son attention sur la rue. Il se demanda quelle sensation ça ferait s’il s’asseyait sur le muret, les pieds pendant dans le vide. Surement comme le Petit Prince de Saint-Exupéry assis sur une comète avec Renard. Au-dessus de tout et pourtant invisible. Perdu dans un univers que les autres ne voyaient pas. Il leur suffisait pourtant de prendre quelques secondes pour lever les yeux au ciel. Morgan tira une chaise pour l’installer face à Maggie et s’y installa. Le feu avait consumé le papier de cigarette et le tabac pour les réduire à l’état de cendre porté par le vent. L’italien écrasa alors le mégot et leva les yeux vers la demoiselle d’un air intéressé. Il fallait dire que tous deux avaient cette soif de voyager à travers le monde. De partir à l’aventure. Morgan faisait partie de ces jeunes qui n’étaient pas fait pour la routine. Il finissait toujours par rêver d’autre chose, par être attiré ailleurs. Le monde était trop grand et trop riche pour se contenter d’un seul endroit, fut-ce la belle Los Angeles. Maggie prononça alors les mots magiques. « Je ne l’ai encore dit à personne mais… », quelques mots qui attisaient la curiosité à coup sûr. Plus qu’une simple curiosité, Morgan ressentit une légère inquiétude. Il fallait avouer que ce genre de phrase annonçait bien souvent une mauvaise nouvelle. L’Italien ne voulait pas la presser de question, il se contenta donc d’un regard interrogateur. La demoiselle tira sur sa cigarette, comme pour se donner le temps de chercher ses mots. Heureusement la réponse ne tarda pas. Morgan ne put retenir le sourire qui étira immédiatement ses lèvres.

- C’est une super idée ! Tu as déjà une idée de ta destination ?

Morgan attrapa son sac abandonné prêt du muret et l’ouvrir pour en sortir deux bières. Il les décapsula à l’aide de son briquet et en tendit une à Maggie. Il était temps de passer aux choses sérieuses. Lui-même ne savait pas encore précisément ce qu’il ferait cet été. L’année dernière, il avait passé la majeure partie de ses vacances au Coachella. Il était difficile de faire mieux. Se lever à deux heures de d’après-midi, et faire la fête toutes les nuits. Ses seules préoccupations étaient de savoir s’il préférait la soirée fluo ou cocktail, le lac ou la piscine. Il avait maintenant une large préférence pour les lacs. Peut-être partirait-il sur un coup de tête avec seulement un sac à dos et ses économies. Owen accepterait peut être de l’accompagner. Morgan n’était pas du genre à tout planifier à l’avance. Il ne valait mieux pas tant il avait tendance à changer d’avis. Il était donc curieux de connaître les projets de Maggie plusieurs mois à l’avance. Surement la légendaire organisation féminine. Morgan but une gorgée de sa bière et leva les yeux vers la demoiselle.

- Tu aimerais un stage dans quel domaine ?  

Morgan admire l'environnement, le toit. « C’est une belle découverte alors. En tout cas tu n’as pas la main verte à ce que je vois. » Je suis son regard jusqu'aux plantes qui font un peu la gueule. Dois-je lui dire que j'ai du les arroser une seule fois seulement depuis que je connais ce lieu ? Immanquablement, je souris, amusée par cette taquinerie. Je lui envoie un petit coup de coude amical en riant. « Tss... On peut pas être douée en tout hein. » Je finis par m'avouer vaincue. Après tout il n'a pas tord. La verdure et moi, ça fait deux. L'admirer oui, l'entretenir c'est autre chose.
Après un léger moment de silence face à la vue splendide qui s'offre à nous, je m'assieds sur la vieille chaise, m'asphixiant encore de cette divine nicotine. Morgan m'imite pendant que je me laisse aller à penser. Je n'ai pas envie de gâcher cette soirée à ressasser mes démons quotidien et encore moins à incommoder Morgan de toute cette adversité. La soirée a pour but de nous éloigner de tout ça. Et sur ce toit, tout semble moins important, plus futile. Mon coeur est momentanément soulagé d'un poid. Je soupire et préfère méditer sur ce qui me tient vraiment à coeur, ce que j'envisage. Parce qu'il est temps que je réfléchisse à ce que je ferai après ce master. J'avoue à demi mots à Morgan mon projet de stage ou de voyage pour l'été. J'ai ce besoin de plus en plus pressant de changer d'air, de voir le monde, ailleurs, avant que L.A me fasse suffoquer. J'aime cette ville, mais mon désir ardent de voyager prend de plus en plus le dessus. Le visage de Morgan semble perplexe pendant un instant, puis j'y découvre une lueur d'étonnement. Sincère. Et ça fait plaisir. « C’est une super idée ! Tu as déjà une idée de ta destination ? » J'écrase le mégot de ma cigarette contre le muret en y réfléchissant quelques secondes. « Mmmh, rien de précis. Je sais que l'Amérique du Sud me plairait bien. Le Pérou ! » Je m'écris en levant les yeux au ciel. Lui-même sait à quel point je rêve de visiter ce merveilleux pays. Et le Machu Pichu ! « Ou sinon, des pays comme le Népal, l'Indonésie, je sais pas. L'Afrique même pourquoi pas. » J'attrappe la bière que Morgan me tend et viens immédiatement porter le goulot à ma bouche. Penser à partir me fait du bien. C'est signe que je dois le faire. « Au fond peu importe la destination. J'ai juste besoin de... bouger. Changer d'air et me sentir un peu dépaysée tu vois. » Je sais que Morgan comprend. C'est bien ça qu'on a en commun, qui nous anime tous les deux : ce besoin avide de voyager, découvrir, apprendre et vivre. Tout simplement. La routine ne nous va pas, et malheureusement, plus ça va, plus elle me colle à la peau. Bon, évidemment, c'est peut-être aussi un moyen de fuir les soucis quotidiens. Est-ce mal ? Je pense surtout que ça me fera le plus grand bien. Doucement, je m'enfonce encore plus dans mon siège, regardant Morgan du coin de l'oeil qui s'enfile la bière comme il faut. Un stage dans quel domaine hein ? Très bonne question. Ca aussi je crois que ça ne m'importe que peu. « Et ben, je pense que le mieux pour moi ça serait l'archéologie. Ca colle parfaitement à mes études tu vois ! Mais je ne suis pas certaine de trouver facilement. C'est un domaine... compliqué. » Voire exigeant. Ca demande des contacts et autant dire que j'en ai pas vraiment... « Sinon je prendrai ce qui vient et ce qui pourrait me plaire. T'sais les stages de volontariats dans les pays en demande, ça existe. Humainement ça serait... puissant. » Je continue de m'enfiler ma bière alors que le soleil se couche. Le ciel se voile et arbore des milliers de nuances rosés et orangés. C'est splendide ! Morgan et moi profitons du spectacle, et mon corps commence à se détendre, à relâcher tout cette tension qu'il contenait. Voilà, c'est ça que j'aime avec Morgan. Hakuna Matata a un sens ce soir.

Les jambes étendues devant lui, une cheville reposant sur l’autre, Morgan se moquait nonchalamment des plantes présentes sur le toit. Ou plutôt des feuilles pendant mollement dans le vide, déshydratées et à demie brulées par le soleil de la Californie. Il éclata de rire quand Maggie lui donna un coup de coude en affirmant ne pas être douée en tout.

- Ah, ça je ne connais pas désolée. Je suis doué en tout, alors j’ai un peu de mal à me rendre compte.

Le Phi lui adressa un clin d’œil. Bien entendu, sa petite tirade sonnait horriblement fausse, et surtout, il n’était pas certain d’être plus doué en jardinage que la demoiselle. Il avait réussi à faire crever le cactus de sa tante alors qu’elle était partie en voyage durant deux semaines. C’était pourtant des plantes relativement robustes. Mais il n’avait pas dû apprécier qu’on se serve de sa terre comme d’un cendrier lors d’une soirée, ni même qu’on l’arrose de bière. Vraiment, Morgan n’avait pas compris.  Le Phi but une nouvelle gorgée, les petites bulles lui chatouillant la gorge. À ce moment-là, son ventre se mit à gargouiller, et son regard se dirigea lentement vers le sac de Maggie, avant de revenir vers la demoiselle, un sourire innocent scotché sur les lèvres. Il fallait dire qu’il n’avait rien avalé depuis midi, ce qui n’était pas dans ses habitudes. Morgan avait toujours eu un gros appétit, et son hyperactivité faisait qu’il avait souvent besoin de recharger les batteries. Boire le ventre vide sur un toit n’était peut-être pas une bonne idée. Mais plutôt que de se jeter sur le sac, Morgan se redressa sur sa chaise, écoutant attentivement Maggie. Une part de lui l’avait toujours un peu jalousée de pouvoir se déplacer librement où qu’elle veuille aller. Lui-même aurait adoré regagner l’Europe, où même se rendre au Brésil. Mais l’âme d’un voyageur de faisait jamais bon ménage avec la peur de l’avion. Lui qui rêvait de voir le monde entier était donc plutôt limité… Il esquissa un sourire presque nostalgique en buvant une autre gorgée. Il adorerait visiter l’Amérique Latine, si différente des Etats-Unis. Peut-être en commençant à peine un peu plus bas, de l’autre côté de la frontière. Le Mexique, c’était cool aussi. Morgan leva sa bière vers Maggie,

- Au Pérou alors, et aux pauvres lamas qui auront la dure tache de te transporter !

Morgan pouffa en imaginer la jeune femme sur le dos d’un pareil animal, affublée d’un poncho. Le Népal ne l’avait jamais particulièrement attiré, il n’en connaissait pas grand-chose si ce n’était son emplacement géographique entre deux géants. L’Indonésie par contre, ça lui parlait beaucoup plus, surtout Bali. On décrivait la ville comme une destination de rêve. Les gens y étaient aimables et prêts à aider de parfaits inconnus comme nulle part ailleurs. Toujours souriant malgré que nous jugions leur mode de vie comme datant d’une autre époque. Pas de technologie, juste la simplicité d’une vie de pécheur ou de marchand. Les touristes en revenaient souvent humainement transformés. Et puis il y avait ce livre… L’Homme qui voulait être heureux, dont l’auteur lui échappait. Une belle leçon de morale et d’humilité.  

- Ce sont de beaux projets, tu n’as que l’embarras du choix. Je comprends ce que tu veux dire, on a beau être à LA, parfois je donnerai cher pour me retrouver au calme. Je sais pas moi… en haut d’une montagne. Tu imagines si on pouvait hurler un bon coup du haut du Machu Pichu ?  

Bon d’accord, il était surement le seul spécimen humain ayant ce genre de pensée, mais Morgan faisait rarement comme tout le monde.  Il se souvenait de la première fois qu’il avait vu Maggie au gymnase. En fait, il était persuadé qu’elle faisait partie de l’équipe de pompon girl qui s’entrainait à l’autre bout de la salle. Et puis elle était sortie des vestiaires en tenue de sport, bien moins sexy qu’une minijupe et un haut dévoilant la moitié du ventre, assortis à des pompons fluo. Elle lui avait fait penser à ces jolies blondes qui étaient en mannequinat, mode, ou danse. Et puis il lui avait envoyé -sans le faire exprès- son ballon de basket à l’arrière de la tête. Ils avaient alors fini par discuter, et il en avait appris un peu plus sur elle. Ça l’avait étonné qu’elle soit en histoire et archéologie. Non pas Histoire, Histoire Antique. Rien que le mot l’ennuyait. Mais finalement, Maggie ce révélait étonnante,  avec ses anecdotes et ses connaissance bluffantes. Il l’imaginait donc volontiers sur un site en short et casquette, à donner des ordres à tout le monde suite à la découverte des restes d’un quelconque dinosaure. Morgan lui donna un petit coup de coude.

- Oh, ne te fait pas de vieux os, conseilla-t-il, fier de son jeu de mot pourri. Tu en as parlé à ton prof ? Il doit avoir quelques contacts, ou peut-être qu’il pourra au moins t’orienter et te conseiller.

Les enseignants de l’université étaient souvent à l’écoute des étudiants motivés, et relativement abordables. C’était son professeur de montage vidéo qui lui avait trouvé un stage. Il lui avait donné des adresses qui pourraient l’intéresser et qui lui correspondaient. Ça marcherait peut être avec Maggie. Il fallait avouer que venir de l’UCLA ouvrait pas mal de porte, c’était une université bien vue dans le monde du travail, surtout si l’élève en question y était investi. Plus les élèves participaient à des activités extrascolaires, plus ils avaient de chance de trouver stages et boulots.

- C’est clair que si tu ne trouves pas, tu peux toujours faire du bénévolat. Ça permet de voyager tout en étant utile pour une cause.  

L’idée lui plaisait bien. Construire une école, aider les animaux, apprendre à lire à des enfants… Des activités auxquelles il n’aurait jamais songé deux ans auparavant. Peut être qu’il n’y aurait pas non plus songé s’il était resté en Italie. Il aimait bien ce qu’il était devenu ici, à Los Angeles.  

« Ah, ça je ne connais pas désolée. Je suis doué en tout, alors j’ai un peu de mal à me rendre compte. » Je pouffe un peu de rire pour me moquer de lui, gentiment. Parce qu'au fond, l'humour de Morgan est si bon. Il ne se prend pas au sérieux, et c'est ça qui fait du bien. Il m'adresse un clin d'oeil amusé alors je rentre dans son jeu et y répond d'une fausse accolade en m'inclinant vers l'avant. « Très cher. » Dis-je sur un ton pointilleux et noble. Notre bêtise nous emporte et nous voilà à rire doucement pour de simples broutilles.
Puis je lui confesse enfin mon plan d'avenir proche. Cette volonté brûlante d'aller voir ailleurs, de souffler loin de L.A. Non pas que cette ville m'épuise, mais j'ai simplement besoin d'un break dans ma vie. Je pense que découvrir de nouvelles choses et aider les gens pourraient me faire grandir et faire passer mes maux au second plan. Morgan approuve et lève sa bière en l'honneur de mon voyage « Au Pérou alors, et aux pauvres lamas qui auront la dure tache de te transporter ! » Je ris doucement, mais le simple fait de parler de lamas dans un décor péruvien m'emplit de joie. « Bah, ils raleront pas, je suis pas une grosse masse quand même. » Un peu trop petite d'ailleurs. Y penser est déjà un grand souffle au coeur, et ça me fait plaisir de lui en parler. Je sais qu'il comprend mes plans ; on a toujours eu cette complicité car on partage le même avis sur les voyages. Ce désir de conquérir le monde, et de le laisser nous submerger de toutes les merveilles qu'il peut nous offrir. C'est l'ouverture d'esprit de Morgan qui m'a surprise, son abilité, à s'adapter à tout, à rire de tout et de rien. Le feeling est forcément bien passé ; j'avais le sentiment de retrouver mon double rêveur au masculin.
« Je comprends ce que tu veux dire, on a beau être à LA, parfois je donnerai cher pour me retrouver au calme. Je sais pas moi… en haut d’une montagne. Tu imagines si on pouvait hurler un bon coup du haut du Machu Pichu ? » Rapidement, j'agite les bras d'excitation comme une gamine écervelée. « Putain m'en parle pas, j'en rêve ! Si j'y vais, je le visiterai forcément, je peux pas passer à côté de ça. » Mes yeux pétillent quand j'entends l'estomac de Morgan gronder. Je ris entre mes dents et vais sortir les crêpes de mon sac pour les lui donner. Pas la peine de demander, son ventre l'a fait à sa place. « Tiens, je vais pas te laisser crever de faim quand même. J'ai nutella, et confiture avec. » Autant profiter de la soirée comme il se doit. Par la même occasion, je sors le nécessaire pour nous rouler un bon joint, demandant par la même occasion à Morgan s'il peut me passer sa weed fraîche. « Moi je nous prépare un autre festin. » Alors, je m'assieds au sol, face de ma chaise pour pouvoir rouler à plat, sur l'assise.
Morgan continue de m'encourager, me parlant des professeurs qui pourraient avoir des contacts, puis du volontariat. Il a de la ressource et son implication dans mon projet, bien que ce ne soit pas le sien, me touche. J'y songe depuis trop longtemps et c'est le moment de décider si mon ambition porte ses fruits ou non. « Non, j'ai pas demandé à mes professeurs, mais c'est pas con ! Ils pourraient carrément m'aider ouais. » Mon professeur d'archéologie nous avait conté quelques fois ses aventures au travers du monde, notamment au Maghreb, alors il pourrait tout à fait connaître encore certaines personnes dans le milieu capables de me filer un coup de main. « Il me tarde de partir, j'ai besoin d'air. » Et ici j'étouffe un peu. La fin de l'année, Noah, RJ, tout ça me rattrape et je veux juste me focaliser sur autre chose, penser à moi, penser à des inconnus. Les nouvelles têtes me changent. « Hé ! » Une idée illumine mon esprit, et mes lèvres s'élargissent en un franc sourire. « T'aurais pas envie de venir avec moi ? » Je lui envoie une petite tape dans le genou avec un sourire enjoué, pour que l'idée le frappe autant qu'elle l'a fait avec moi. Ce n'est pas bête. Morgan rêve comme moi de partir, de voir du monde. « Avoue t'en as envie ! Ça serait trop bien ! » J'essaie de l'amadouer, en lui montrant à quel point mes yeux pétillent à la perspective de cette idée. Sa compagnie me fait un bien fou et on ne se voit jamais assez. Partir un mois ensemble à l'autre bout de la Terre est un plan qui me parait clairement adapté à nous et nos rêves. On fera de grandes choses et notre amitié n'en ressortira que grandie et plus forte.

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