le temps des confessions ✩
Cette main qui avait porté il y a quelques années à peine un anneau symbolique en gage d'une relation forte ne quittait pas la mâchoire du trentenaire tandis que son regard, un peu curieux, étudiait calmement les traits de la jeune femme face à lui. L'obscurité ambiante n'empêcha pas Reed de voir ce fin sourire se former, ni ce rire plus franc quelques secondes plus tard, en réaction à sa supposition. S'il avait préféré utiliser l'interrogation déguisée sous la forme d'une affirmation, le rédacteur n'en restait pas moins intéressé par ce qu'elle aurait à lui répondre. Athéna ne bénéficiait d'aucun traitement de faveur de sa part tant elle correspondait au profil type des journalistes avec qui Reed aimait travailler : celui du sérieux, de la discrétion et évidemment de l'efficacité. Pourtant elle possédait bel et bien ce petit quelque chose en plus que nulle autre femme dans ces locaux ne possédait, un atout charme sur lequel l'homme n'avait d'ailleurs pas encore posé de mots. D'ordinaire, il ne l'observait pas de cette façon. Ce n'était pas tant un manque d'envie, plutôt un manque de temps, un esprit préoccupé par tant d'autres choses qu'une belle plastique. Ce soir-là, dans son bureau, le contexte était à l'évidence différent. Il le sentait bien, c'était même palpable et cela expliquait ces silences nouveaux, d'habitude inexistants, ces vagues sourires décontractés qui changeaient de ceux plus tendus qu'il adressait rarement à ses employés. « Ne vous en faîtes pas, si je reste ici si tard c’est parce que c’est un réel plaisir de travailler. Pour être honnête je n’ai pas vu le temps passer ! » Il n'y avait rien de surjoué chez elle et ça, il était capable de le ressentir quand bien même ce n'était pas un homme particulièrement sensible. C'est une chose qu'il appréciait chez Athéna ; son apparence aurait pu justifier une attitude beaucoup plus assurée, beaucoup plus joueuse voire charmeuse, mais il ne voyait face à lui qu'une femme naturelle et, semblait-il, réservée. Une femme avec qui il se sentait plutôt à l'aise et confiant, finalement. Ce petit sourire qui apparut sur les lèvres de l'homme s'atténua bien vite quand elle enchaîna à son sujet. « Et puis, je pourrais vous retourner la question. Qu'est-ce qu'un bel homme comme vous fait au bureau à une heure pareille ? » Cette question ne serait pas restée sans réponse bien longtemps si elle n'avait pas été pigmentée de ce compliment qui n'échappa pas à Reed. S'il était ravi de savoir qu'elle le trouvait bel homme ? Difficile à dire si l'on se contentait de l'observer rire vaguement à cette remarque. Il fallait savoir que l'homme n'était pas d'un naturel grand séducteur et qu'il pouvait lui arriver de manquer les avances d'une femme sans même s'en rendre compte, alors la simple utilisation d'un épithète pour le qualifier n'allait certainement pas faire de vagues. Les remparts du professionnel se redressaient très souvent bien vite, quand bien même il pouvait apprécier un compliment... « Eh bien vous voyez, mon efficacité doit avoir ses limites. Il me reste toujours des choses à faire ou à vérifier jusqu'à tard le soir, cela ne finit presque jamais. » Confessa-t-il d'une voix sereine, faisant voyager son regard sur son bureau désordonné avant de le planter à nouveau dans celui de son interlocutrice. Pour lui aussi, c'était un “réel plaisir de travailler” et il n'était pas rare qu'il ne voie pas le temps passer au bureau – malheureux motif de divorce qui peinait à servir de leçon – d'ailleurs. Il aurait pu reprendre les exacts mots d'Athéna mais au lieu de ça, il se contenta juste de les enregistrer dans le dossier portant son nom... Quoi que tout cela, il s'en doutait déjà. Un professionnel passionné et son opposé sont après tout si facilement reconnaissables. « En réalité je ne suis pas vraiment pressée de retourner dans mon appartement. J’ai l’impression de tourner en rond quand j’y suis… Vous n'avez jamais ressenti ça ? » Le regard fixe de Gallagher se cristallisa pendant l'espace d'un instant et ses pensées s'égarèrent elles aussi un moment, dans ce nuage de solitude qu'il côtoyait depuis son divorce d'avec Sarah, depuis que la garde de sa fille avait été divisée par la force des choses. Tourner en rond chez lui, un sentiment qu'il avait lui aussi connu et qu'il avait tenté d'éradiquer en tardant au travail. Cela s'était révélé être le meilleur échappatoire possible, meilleur encore que la pratique de l'écriture ou de la lecture à titre personnel. Meilleur, également, qu'une séance acharnée de sport. Il n'y avait que dans cet établissement que Reed pouvait être l'homme qu'il désirait vraiment être : un homme doté d'une puissance légitime et reconnue, toujours affairé ci-et-là. Quand le visage de Sarah s'effaça de son esprit, le torse du trentenaire se bomba légèrement tandis qu'il prenait une grande inspiration, pourtant discrète. « Si, bien sûr. » Répondit-il, toujours avec ce même timbre de voix apaisé, comme si c'était évident. Que tout le monde devait ressentir ça une fois dans sa vie. Un faible sourire redressa le coin de ses lèvres quand son regard se revitalisa, ancré dans celui d'Athéna. Si elle s'attendait à ce qu'il s'épanche si aisément sur sa vie privée, la jeune femme se trompait néanmoins. Ce n'était pas un désir d'être secret, plus son éternelle réserve qui ne démordait pas. « J'imagine que le travail est un bon remède pour les névrosés comme nous. » Son rire accompagna ses paroles en douceur et au bout d'un court instant, il se décida enfin à inviter Athéna à se rapprocher et à venir s'asseoir face à lui à l'aide d'un signe de main, le même qu'il aurait pu faire à n'importe quelle autre personne entrant dans son bureau pour un rendez-vous. « Puisque vous n'êtes pas pressée de vous échapper d'ici... » Sauf que cette fois-là, il lui proposait cela d'égal à égal, sans cérémonie quelconque. Il lui intimait de se mettre à l'aise comme lui pouvait l'être entre ces quatre murs, mettant ainsi de côté les bonnes manières usuelles du quotidien. « Je m'en voudrais de vous renvoyer chez vous si c'est pour que vous ayez l'air d'une lionne en cage. » Ajouta-t-il, ses yeux se dotant d'une très légère malice mystérieuse. « Cela dit, j'ai du mal à croire cela possible. » A l'imaginer tournoyer chez elle, broyant du noir, seule... Un portrait triste qui ne convenait pas à cette jeune femme de presque trente ans n'inspirant que la sympathie ou presque... Par cette réflexion, il l'invitait à parler d'elle, à résoudre ce mystère qui voilait encore le cas Shawn.