Lorsqu'il essaie de me provoquer, je n'ai pas d'autre choix que de riposter, avec férocité. Je sais que je ne devrais pas ... Et pourtant, il le faut, en même temps. Paradoxal, n'est-ce pas ? Non ... Ambivalent, plutôt. C'est bien, ça, comme mot : ambivalent. C'est ambivalent, comme situation. Habituez-vous y : je suis l'ambivalence incarnée. C'est joli, l'ambivalence ... En fait, je crois que paradoxal était mieux. Reprenons, donc : c'est joli, les paradoxes. Ça prétend être quelque chose tout en en étant une autre, en réalité.
Il est interdit d'interdire. Je suis gentille et je suis méchante. Adorable et machiavélique. Insouciante, calculatrice. Je suis une chose, j'en suis deux ... Je suis plein de choses, un peu comme ceci, un peu comme cela. Un petit peu de tout, une grande masse de rien. Je suis inquantifiable, indéfinissable, indescriptible, incompréhensible. Je suis Lisa. Quatre lettres. Deux syllabes. Une seule existence. Une infinité de possibilités. Mais ça, Keagan le savait déjà. Maël n'est pas stupide, malgré tout ce qu'on peut bien dire, croire et même penser de lui ... Malgré tout ce que
je peux bien dire, croire et penser de lui. C'est bien cela qui m'agace, d'ailleurs : le fait qu'il ne soit pas stupide. En tous les cas, cela veut également dire qu'à ce stade, après tout ce temps, et malgré tout ce temps, également ... Il devrait suffisamment bien me connaître pour savoir ce dans quoi il s'aventure. Et le connaissant également, je sais qu'il ne s'aventurera pas sur un terrain dans lequel il ne se sentirait pas à l'aise. S'il me cherche, moi et toutes mes variables, moi et toutes mon imprévisibilité, c'est qu'il n'a pas peur de nous trouver, quel que soit le recoin sombre de ma psyché dans lequel nous avons collectivement décidé de nous concerter. Alors soit. Il veut jouer ? Je lui donnerai le grand jeu. Testons donc ce courage, cette bravoure légendaire dont il fait présentement preuve. Voyons jusqu'où il faut que j'aille pour pouvoir discerner dans son regard une incertitude, fine et légère pointe de peur.
- Moi ? T'en vouloir ? Voyons, Keagan, tu sais bien que ce que tu avances est complètement ridicule : qu'est-ce qui aurait bien pu te donner l'audace de croire que tu mérites ne serait-ce qu'un tant soit peu de mon attention ? Je crains pour toi qu'il me faut bien plus qu'un vulgaire mensonge pour être blessée. Peut être que tu auras plus de chance la prochaine fois ! Je ne mâche pas mes mots, ne pèse pas leur poids. Pourtant, mes pensées cherchent à me retenir et me maudissent d'aller si loin, dès le départ.
Lisa, que penserait ton père de toi s'il te voyait aussi froide et cruelle ? "Une femme se doit d'être douce et conciliante. Elle se doit d'être agréable et tendre envers ses pairs." Surtout les hommes. Où sont partis ces leçons de vie et cette éducation que tu tenais si haut dans ton estime, jadis, lorsqu'il était encore vivant ? J'ai envie de me mordre la lèvre mais je n'en ai pas envie, également. Je regrette et je ne regrette pas. Fidèle à moi-même, je vis de mon ambivalence. Je m'en imprègne, je me recouvre de son manteau. Elle me protège et me donne un sentiment de réconfort. Fidèle à moi-même, je vis de mes contradictions. Je veux le gifler. Je veux garder ma dignité et ne pas me donner en spectacle.
Ah, être une femme respectable ...
Si j'avais su que cela aurait été si difficile ...
Je crois que j'aurais choisi d'être une de ces loques oubliées sur un trottoir, une fois le matin venu. Une de ces femmes lubriques, isolées, solitaires ... Sans valeurs, sans morale, sans crédibilité, quelle qu'elle soit.
... Quoi que ...
La seule chose pire qu'être une femme avec un tant soit peu de dignité, c'est d'être une femme qui n'en a aucune. Non, je crois que je préfère encore avoir à surmonter tout un tas d'épreuves et d'ordalies que d'être une loque. Pourquoi ? Tout simplement parce que sans ma dignité, je suis consciente que je ne vaudrais pas grand chose. Comme toutes les autres, je ne serais bonne qu'à prendre et à laisser. Un peu comme Alice Collins, en fait. Je comprends mieux pourquoi Snow la trouve à son goût, maintenant que j'y pense ... Mais ça, c'est une histoire pour un autre jour.
Maël me déclare alors qu'il "imagine" que je connais le sujet du devoir. Malgré moi, je me permets de rire, assez cyniquement.
- Parce que tu as de l'imagination toi ? Eh bien ... Nous sommes en 2015 et les miracles n'ont visiblement pas fini de s'annoncer ! Roulant de mes yeux vers le plafond, je soupire bruyamment avant d'ajouter, d'un ton plus naturel et calme, cette fois-ci, bien que toujours sérieux :
- Peut être. Peut être pas. Qui sait ? C'est toujours bien, un peu de mystère, non ? C'est alors que j'en profite pour rajouter une remarque un tant soit peu désobligeante. Désolée. C'était - visiblement - plus fort que moi.
"Est-ce que mon petit ami me trompe ou est-ce qu'il m'est fidèle ?" est particulièrement cool dans ce rayon, également, tu devrais vraiment tester un jour !Profitant de cette réplique afin de tenter de me libérer de son emprise, le sentiment de soulagement que je ressens lorsqu'il me libère est ... En réalité, assez incomparable à tout ce que j'ai bien pu ressentir par le passé, si je suis honnête. Ou pas. Non, c'est assez soulageant malgré tout. Peut être pas aussi soulageant que lorsque les choses se sont terminées avec Snow mais bon, on ne peut pas gagner à tous les coups, n'est-ce pas ?
D'ailleurs, je ne devrais pas jouer à la loterie ce soir (bien que je ne comptais pas jouer à la loterie de toutes façons donc bon) parce que visiblement, ce n'est pas mon jour de chance ! (Surprise) En effet, grosse brute s'amuse à me suivre le long des corridors malgré moi, histoire de bien s'accouder à mon casier lorsque nous sommes enfin arrivés à son niveau. C'est sûr que toutes les filles rêvent de voir leur casier bloqué par un gigantesque jeune homme au corps d'athlète – du moins, toutes les filles sauf moi. En même temps, je ne suis pas une fille : je suis une femme. C'est différent, l'air de rien, une femme. Ça a plus de dignité, pour commencer. Un grognement d'agacement alors s'échappe d'entre mes lèvres. J'en profite donc pour lui envoyer une réplique bien cassante sur son apparence. Tous les hommes sont relativement narcissiques, après tout, non ? Avec un peu de chance, je parviendrai à faire un
home run.
....
....
Mais non.
Sa réponse me désespère.
Son existence me désespère, en fait.
Non. Tout me désespère, en ce moment.
Hélas ...
La vie est réellement difficile, parfois. Surtout lorsqu'on est entourés d'abrutis, comme c'est malheureusement le cas pour moi.
- Mhh hmmm. C'était quoi son nom déjà ? Je dois impérativement couper les ponts, tu sais bien que je ne fréquente que des filles respectables, contrairement à toi, justement ! Maintenant, si tu pouvais te pousser, ce serait vraiment cool, comme ça je peux prendre mes affaires et rentrer chez moi, loin de toi. Lui envoyant un sourire hypocrite, j'attends qu'il se décale. Il me déclare en attendant qu'il ne compte pas me lâcher tant que le devoir n'est pas terminé.
Chic chic chic. Pourquoi est-ce que la vie m'envoie sans cesse de véritables boulets à trainer derrière moi ? Sérieusement. Je ne mérite pas un peu de bonnes opportunités, une fois de temps en temps ? Non ?
Me retournant brusquement, je lui fais alors face afin de lui déclarer, d'un ton académique et studieux :
- Sinon, tu peux rentrer chez toi tranquillement, jouer aux jeux vidéos et ramasser la première fille que tu trouves sur le trottoir et je peux m'occuper du devoir. On se retrouve la semaine prochaine, tu n'as pas besoin de travailler, moi je n'ai pas besoin de subir ta présence insupportable et nous nous retrouvons tous deux avec une excellente note. Qu'en dis-tu ? C'est un bon plan, non ?Disouidisouidisoui pitié dis oui.
Spoiler :
Désolé si la fin est mauvaise mais il est tard et je suis vraiment épuisé.
Je me rattrape la prochaine fois promis !