I Will be Fine || Lutoria

I will be fine

Le soleil avait déjà pointé le bout de son nez depuis de nombreuses heures, commençant même sa descente vertigineuse vers l'horizon. La jeune italienne attendait devant le café dans une petite robe à fleur, ses cheveux attachés en queue de cheval. Elle avait rendez-vous avec une amie de sa sœur qui, par extension, était devenu également une amie à la jeune italienne. Son regard passait du bout de la rue à sa montre pour regarder le temps qui passe. Non pas que Lucy, son amie en question, était en retard, mais c'était bien elle qui était en avance, un peu trop en avance à vrai dire. Elle regardait également les mouvements entre les tables de la terrasse, à chaque fois qu'un client libérait une table ou qu'un autre la reprenait dans un balai improvisé. Fort heureusement, malgré le beau temps et le ciel dégagé, la terrasse ne se remplissait pas complétement, laissant toujours une table libre. Être à l'intérieur ne dérangerait pas la jeune femme mais c'était autant de profiter de cet astre lumineux. Enfin, une silhouette arriva au coin de la rue, tel une desperado entrant dans une ville de l'ouest américain.

Après l'accolade de circonstance, elle se invita Lucy à prendre sa place à l'une des quelques tables encore libres, la laissant choisir. Elle emboîta le pas pour la suivre et s'installer en face d'elle. Il n'y avait pas de raison particulière à cette rencontre, c'était juste pour prendre des nouvelles et passer une petite après-midi entre filles. Et elle commença par les formalités sur la santé et le travail, histoire d'expédier ça le plus rapidement possible et partir sur d'autres discutions peut-être tout aussi futile. Vicky continuait à bosser à l'aquarium pour s'occuper du bien-être des poissons. Et en ce moment, c'était assez monotone, attention, ce n'était pas ennuyeux pour autant, Vicky aimait toujours son métier et elle préférait même quand il était monotone comme ça que lorsqu'elle devait soigner ces petites bêtes mal en point. Doucement, Vicky se remettait de la mort de sa petite sœur disparue il y a quelques mois à présent mais c'était toujours un pincement au cœur lorsqu'elle voyait un de ses protégés la quitter. De plus, sa relation avec Emma s'était détériorée depuis, les deux sœurs ne se parlant plus suite à une dispute un peu plus violente que la normale, Victoria qui avait toujours vu sa sœur comme un modèle avait vu cette image se briser. Et avec le temps, elle commençait à se dire qu'elle aurait dû réagir autrement. Sa sœur lui manquait… ses sœurs lui manquaient mais Emma avait toujours été là pour elle dans n'importe quelle situation. C'était un peu pour ça qu'elle voulait aussi voir Lucy, savoir si elle pouvait avoir des nouvelles de sa grande sœur, ne sachant même pas si leur amie en commun était au courant de la relation tendue. Elle n'en avait rien dit mais Emma avait peut-être vidé son sac.

"J'ai vu ton frère à la télé l'autre jour… enfin, son émission je veux dire. Comment va-t-il ?" lança-t-elle à un moment dans la conversation, pour aborder simplement le sujet de la famille. Ça lui faisait parfois un peu drôle de se savoir proche d'une star internationale par l'intermédiaire de sa sœur, elle qui avait toujours été simple et elle ne savait jamais réellement comment elle devait en parler, comme d'un simple être humain – sans doute – ou comme un dieu intouchable. Elle ne l'avait jamais rencontré et ne le voulait pas, du moins elle ne voulait pas forcer une rencontre en suppliant. Le serveur, venu prendre la commande un peu plus tôt dans la conversation, apporta les boissons commandées, une simple limonade pour Vicky qui le remercia aussitôt en payant la tournée, prétextant que Lucy n'aura qu'à payer la suivante.

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Aujourd’hui n’allait pas être une journée enfermée entre quatre murs, ou à m’occuper non stop de la salle. En fait, c’était un peu particulier. J’avais laissé à deux professeurs le local pour qu’ils puissent faire leur cours : je leur faisais parfaitement confiance, ils n’allaient certainement pas la retourner avant que je ne revienne. Toujours est-il que c’est avec une certaine appréhension, comme d’habitude, que je m’en allais en la laissant. C’était mon entreprise, mon affaire. Je pense que décrire le sentiment est assez difficile. Et d’autant plus pour moi. J’allais donc répondre à l’invitation de Victoria par ma présence, bien que je l’eus confirmé par un texto. J’avais toujours un peu de mal à m’ouvrir, mais c’était surtout vis à vis de sa soeur Emma que je me trouvais un peu gênée. J’ignorais ce qui s’était réellement passé entre elles et je ne préférais pas le savoir. Mais jouer l’intermédiaire indéfiniment…ça m’effrayait un peu, à vrai dire.

Je pris les transports en commun afin d’arriver à notre point de rendez-vous. Je n’eu pas d’énorme difficulté à la retrouver, et bien que je pusse déceler de l’amertume dans son regard, elle n’en restait pas moins radieuse. J’étais bienheureuse de la voir, cela me faisait aussi, à moi, de l’animation dans ma vie un peu (trop) triste. Je la saluai et pris place en face d’elle. Nous commandâmes chacune une boisson, les mêmes pour ainsi dire : deux limonades fraîches. Pour le coup je l’avais suivie dans son élan car j’aimais beaucoup en boire aussi.

Nous discutâmes un peu de tout et de rien, jusqu’à ce que l’on aborde un sujet qui me donnait toujours l’impression de marcher sur des oeufs : mon frère. Je l’aimais profondément mais j’avais peur que, de par ma parole, son image soit ternie ou…je ne sais pas, salie peut-être ? Bref, que je dise des choses qui pourraient lui nuire indirectement.

« Il va bien, merci de t’en inquiéter Vicky. Je ne l’ai pas tous les jours au téléphone j’en conviens, il est bien occupé. Mais rien d’alarmant à signaler ! »

Lorsque nous fûmes servies, je lui fis un petit signe pour lui souhaiter santé, puis sirota ma limonade. Ceci fait, je la remerciai ouvertement car mon jeu de regard n’avait à mon goût pas suffi. « Merci. » Je me retenais de boire la moitié car ma gorge était déjà très sèche, j’avais l’impression d’avoir parlé pendant des heures alors que ce n’était pas le cas. Trente minutes à peine que j’étais là. Sentant qu’elle était encore atteinte par le décès de sa soeur, je tirai ma main vers la sienne, posée sur notre table. J’aimantai mes yeux aux siens, lui murmurant :

« Je suis là si tu as besoin de parler, ne l’oublie pas. »

Je n’étais pas une amie intime de Victoria. Mais je ne pouvais m’empêcher d’aller vers l’autre, de vouloir le meilleur et de voir les troubles s’effacer. Si je pouvais aider à cela, en imposant un tant soit peu ma présence, j’en serais ravie. Voire même soulagée. Je coupai court au contact par la suite, après lui avoir fait sentir que j’étais là pour elle. Le deuil, c’était une sacrée histoire. Énormément de gens ne parvenaient pas à passer le cap. Néanmoins, j’ose croire qu’il était encore trop tôt pour faire des estimations. Sans doute que mon passif infirmier aidait, car j’en avais vu passer, croyez-moi.

I will be fine

La jeune blonde tâchait de ne rien laisser transparaître des derniers évènements. Elle qui était toujours souriante et aimable, elle ne pouvait pas se permettre de changer son image auprès des gens. De plus, son travail lui demandait justement de laisser ses problèmes de côté lorsque des visiteurs de l'aquarium lui demandaient des précisions sur tel ou tel espèces de poissons. Les larmes, elle les gardait pour ces moments seuls avec ses amis marins à l'abri du regard de ses semblables. Bien sûr, il était humain de ne pas être une forteresse mais c'est parfois fort dur de se laisser emporter devant quelqu'un. La mort de sa sœur avait été un choc et la dispute avec Emma en avait été un autre qui, sans être forcément plus grand était pourtant tout aussi douloureux. Elle savait que sa grande sœur, son modèle, se trouvait quelque part dans cette ville, toute proche de l'italienne et pourtant si loin. C'était la première fois, depuis sa naissance, qu'elles étaient séparées de la sorte. Même lorsqu'Emma était dans un pays lointain à faire de l'humanitaire ou qu'elle-même faisait ses études à Los Angeles, alors que sa famille était resté à Venise, il ne se passait pas une semaine sans que les sœurs se parlent au téléphone. Et là, plus rien, le silence radio, juste du silence à l'état brut, juste du silence qui raisonnait au rythme du battement de son cœur.

Victoria sentit la main de Lucy se poser sur la sienne pour la réconforter, comme si elle sentait ce qui se trottait dans la petite tête blonde de la demoiselle. "Ne t'en fait pas, je le ferais." C'était bien entendu un mensonge, elle ne comptait pas en parler même si tout allait mal chez elle. Mais Lucy pouvait ne pas le prendre mal, ça aurait pu être n'importe qui qu'elle n'en aurait pas parlé. LA seule personne avec qui elle devait s'entretenir, c'était avec Emma pour lui demander pardon mais elle n'en avait pas le courage. A de nombreuses reprises, elle avait pris son téléphone pour l'appeler mais n'avait jamais été jusqu'à composer le numéro. Et si elle ne décrochait pas ? Si elle ne voulait plus lui parler ? Si elle l'avait perdu pour toujours ? Parfois, elle espérait là rencontrer au coin d'une rue, par hasard. Ou encore sur la tombe de sa sœur, espérant tomber sur elle à chaque fois qu'elle passait le portique du cimetière. Vicky bu une gorgée de son verre à son tour, le vidant au trois quart afin de ravaler ses larmes qui commençait à perler au coin de ses yeux. Elle enviait un peu son interlocutrice d'encore avoir cette relation si privilégiée avec son frère.

"Tu…" commença-t-elle sa phrase un peu timidement avant de s'interrompre. "Tu m'excuses un moment ? Je reviens." Victoria se leva pour rentre dans le café afin de se diriger vers les toilettes. Elle n'avait aucune envie pressante, mais juste le besoin de réfléchir. A peine la porte refermée derrière elle qu'elle s'essuya les larmes qui étaient revenu de plus belle. "Tu as des nouvelles d'Emma ?" Voilà ce que devait être sa phrase à l'origine mais elle n'avait pas réussi à la dire. A présent, elle était là, devant la glace à regarder ses joues humides, les mains posées sur le lavabo. "Tu n'es qu'une idiote !" se dit-elle. Quelle idée avait-elle eu de vouloir mêler Lucy à tout ça ? Elle attrapa un des tissus mit à disposition pour s'essuyer les mains pour essuyer le peu de larmes qui avaient coulés tout en tentant de se ressaisir. Elle ne pouvait décemment pas se présenter comme ça. Elle quitta les toilettes pour rejoindre Lucy une fois qu'elle fut plus présentable, en ayant profité pour se recoiffé un peu. Elle prit place en arborant un grand sourire qui malgré tout ne semblait pas forcé. C'était la grande force de Vicky, elle n'avait pas à beaucoup se forcer pour respirer la joie de vivre. Elle termina son verre d'une dernière gorgée. "Ça me fait plaisir de te voir." Tant pis pour sa sœur, elle se débrouillera autrement pour prendre de ses nouvelles… ou elle essayera encore la prochaine fois.

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