Aux USA comme ailleurs, il y a des quartiers qui pulsent au rythme de leurs petits commerces de caractère. La rue de Monsieur Hartt est de celle-là. Sa librairie de quartier est classique et vaillante. De l’Histoire, elle a gardé le calme, le bois, l’amour des lettres et le respect de l’amour des lettres. De la modernité, elle a pris les technologies pour le confort des clients, des passants, de ses amoureux des lettres. Contre la modernité, elle doit aussi se tenir droite. Fidèle à elle-même. Courageuse contre les divertissements faciles et bons marchés.
Aussi, elle serait prête à accueillir un club de lecture.
Pour toutes ces raisons et pour d’autres qu’il ne savait pas verbaliser, Ethan était tombé amoureux de la librairie. Les mots ne sont pas toujours nécessaires quand on s’attache à quelque chose ou à quelqu’un. Ethan s’attache facilement aux choses et aux gens. Les mots ne lui sont pas souvent nécessaires. Il aimait la librairie et c’est tout ce qui est important de savoir sur la relation qu’il entretenait avec la librairie.
Alors ce soir-là après les cours, quand il l’a vue vandalisée par on ne sait quelle main barbare, il a eu le cœur abimé. Ses ventricules béants se sont immobilisés. Son sang s’est glacé.
Il a couru vers la porte d’entrée. Pauvre chose éclatée. Son verre épais trainait à terre. Dans l’encadrement de la porte, des tessons rendaient l’entrée griffue et menaçante.
- Gabriel! Gabriel!
Criait Ethan en tentant d’entrer.
Si la porte avait cédé, qu’en était-il de l’homme retranché derrière ?
A ce moment, il comprit que la librairie sans son libraire, c’était comme une école sans son directeur. Un bébé sans sa mère. Une cuisine sans son pâtissier.
Son amour de librairie s’était fait violenter, mais elle était réparable. Un nouveau verre, quelques maçonneries et ouvrages d’électricité peut-être… et elle pourrait de nouveau accueillir des gens comme Ethan. Elle pourrait de nouveau être fière, coquette, hospitalière et prévenante.
Mais son libraire ? C’était autre chose. C’était un homme, un humain, un être organique dont l’existence reposait sur une machinerie autrement plus complexe que quelques verres, quelques pierres, quelques câbles. Ethan s’en voulu de ne pas avoir apprécié le librairie à sa juste valeur avant ce vandalisme. Pourtant, le libraire s’était toujours montré aimable, ouvert, disposé à parler des passions d’Ethan. Comment avait-il pu négliger ainsi, dans ses pensées et ses souvenirs, l’humain au profit de la pierre ?
La sirène de police avait coupé court à ses pensées.
Du fond de la librairie, le libraire était apparu.
Ethan avait poussé ce soupir de soulagement, long, profond, qui vide les poumons et qui calme les esprits.
Trois jours sont passés depuis. Trois jours pendant lesquels Ethan n’a pas osé revenir dans la rue. De peur de déranger – le libraire n’avait pas besoin d’un client encombrant en pareil moment. De peur d’être attristé – le spectacle d’un amour vandalisé est toujours désolant.
Ce soir lui semble être le bon soir. Les hommes de métier sont probablement déjà venus. Les assurances aussi. Les voisins curieux de même… Demain sera peut-être trop tard. Une fois la peine passée, les hommes n’ont plus besoin de leurs connaissances. Ou plutôt… C’est dans la peine que les connaissances montrent leur intérêt.
La rue est propre. « Comme avant ». Il n’y a plus ni fébrilité ni débris au sol. Un nouveau verre orne la porte d’entrée qui sent la peinture fraiche. Quelques gouttes de peinture, minuscules, sont tombées sur la dernière marche de l’entrée.
D’un geste lent, circonspect, Ethan ouvre la porte. Il est prudent. Il se demande s’il ne dérange pas vraiment. Si le libraire n’a pas ouvert par professionnalisme. Si le libraire, peut-être, aimerait qu’on le laisse tranquille quelques jours supplémentaires. Si le libraire n’est pas occupé avec un fournisseur ou avec un policier pour un constat ou avec un assureur ou… avec toutes ces choses qu’un libraire victime a sûrement à faire après un vandalisme.
Le petit carillon retentit.
Ethan cille. Il passe la tête à la porte. Il n’entre pas tout à fait. Il n’ose pas. Pas encore. Selon la mine du libraire, ses pieds sont prêts à faire marche arrière.
- Bonsoir Gabriel. Je t'ai apporté un nouveau balai et un gâteau.
Il ne montre ni le balai ni le gâteau. Après tout, montrer ses cadeaux, c’est déjà s’imposer. C’est déjà obliger l’autre à les accepter.
- Ca ne te dérange pas ?
Le balai et le gâteau ne le dérangent pas ? Si les cadeaux entrent, le donneur de cadeaux aussi, n’est-ce pas ?
Aussi, elle serait prête à accueillir un club de lecture.
Pour toutes ces raisons et pour d’autres qu’il ne savait pas verbaliser, Ethan était tombé amoureux de la librairie. Les mots ne sont pas toujours nécessaires quand on s’attache à quelque chose ou à quelqu’un. Ethan s’attache facilement aux choses et aux gens. Les mots ne lui sont pas souvent nécessaires. Il aimait la librairie et c’est tout ce qui est important de savoir sur la relation qu’il entretenait avec la librairie.
Alors ce soir-là après les cours, quand il l’a vue vandalisée par on ne sait quelle main barbare, il a eu le cœur abimé. Ses ventricules béants se sont immobilisés. Son sang s’est glacé.
Il a couru vers la porte d’entrée. Pauvre chose éclatée. Son verre épais trainait à terre. Dans l’encadrement de la porte, des tessons rendaient l’entrée griffue et menaçante.
- Gabriel! Gabriel!
Criait Ethan en tentant d’entrer.
Si la porte avait cédé, qu’en était-il de l’homme retranché derrière ?
A ce moment, il comprit que la librairie sans son libraire, c’était comme une école sans son directeur. Un bébé sans sa mère. Une cuisine sans son pâtissier.
Son amour de librairie s’était fait violenter, mais elle était réparable. Un nouveau verre, quelques maçonneries et ouvrages d’électricité peut-être… et elle pourrait de nouveau accueillir des gens comme Ethan. Elle pourrait de nouveau être fière, coquette, hospitalière et prévenante.
Mais son libraire ? C’était autre chose. C’était un homme, un humain, un être organique dont l’existence reposait sur une machinerie autrement plus complexe que quelques verres, quelques pierres, quelques câbles. Ethan s’en voulu de ne pas avoir apprécié le librairie à sa juste valeur avant ce vandalisme. Pourtant, le libraire s’était toujours montré aimable, ouvert, disposé à parler des passions d’Ethan. Comment avait-il pu négliger ainsi, dans ses pensées et ses souvenirs, l’humain au profit de la pierre ?
La sirène de police avait coupé court à ses pensées.
Du fond de la librairie, le libraire était apparu.
Ethan avait poussé ce soupir de soulagement, long, profond, qui vide les poumons et qui calme les esprits.
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Trois jours sont passés depuis. Trois jours pendant lesquels Ethan n’a pas osé revenir dans la rue. De peur de déranger – le libraire n’avait pas besoin d’un client encombrant en pareil moment. De peur d’être attristé – le spectacle d’un amour vandalisé est toujours désolant.
Ce soir lui semble être le bon soir. Les hommes de métier sont probablement déjà venus. Les assurances aussi. Les voisins curieux de même… Demain sera peut-être trop tard. Une fois la peine passée, les hommes n’ont plus besoin de leurs connaissances. Ou plutôt… C’est dans la peine que les connaissances montrent leur intérêt.
La rue est propre. « Comme avant ». Il n’y a plus ni fébrilité ni débris au sol. Un nouveau verre orne la porte d’entrée qui sent la peinture fraiche. Quelques gouttes de peinture, minuscules, sont tombées sur la dernière marche de l’entrée.
D’un geste lent, circonspect, Ethan ouvre la porte. Il est prudent. Il se demande s’il ne dérange pas vraiment. Si le libraire n’a pas ouvert par professionnalisme. Si le libraire, peut-être, aimerait qu’on le laisse tranquille quelques jours supplémentaires. Si le libraire n’est pas occupé avec un fournisseur ou avec un policier pour un constat ou avec un assureur ou… avec toutes ces choses qu’un libraire victime a sûrement à faire après un vandalisme.
Le petit carillon retentit.
Ethan cille. Il passe la tête à la porte. Il n’entre pas tout à fait. Il n’ose pas. Pas encore. Selon la mine du libraire, ses pieds sont prêts à faire marche arrière.
- Bonsoir Gabriel. Je t'ai apporté un nouveau balai et un gâteau.
Il ne montre ni le balai ni le gâteau. Après tout, montrer ses cadeaux, c’est déjà s’imposer. C’est déjà obliger l’autre à les accepter.
- Ca ne te dérange pas ?
Le balai et le gâteau ne le dérangent pas ? Si les cadeaux entrent, le donneur de cadeaux aussi, n’est-ce pas ?