Il est allongé là. Depuis des heures. Des jours. Des semaines. Oublié par les saisons. Qu'il pleuve, qu'il vente ; que le jour se lève sans raison. Il est allongé là...immobile. Je ne l'avais jamais vu si calme. Si près de l'autre côté. Quand il ouvre les yeux, une seconde, une impression de soulagement, d'une fin de cauchemar ; puis il se rendort, et repart, se perd dans le no man's land du rêve, la prison de l'inconscient.
Je n'ai pas dormi. Pas vraiment bien, presque pas du tout, depuis que je sais qu'il est là. Cette impression ne s'en va pas, même quand je ferme les yeux elle me ronge, cette colère noire. Elle me ronge, me fait bouillir presque- je n'ai pas dormi. Pas hier. Pas même le jour d'avant.
J'attends la rosée à ma fenêtre, un verre de whisky à la main. J'attends le rose dans le ciel, les paquets de cigarettes qui s'entassent. J'attends le jour qui se lève, et je n'ai plus à oublier ; la vie reprend son cours, mais mes pensées restent suspendues avec la nuit, en attente. Elles s'évaporent sous le soleil, disparaissent sous la fatigue.
Il est allongé là et j'attends qu'il se réveille. Ils avaient dit que ce n'était qu'une question de temps, maintenant. Il s'avère que j'en ai à revendre, du temps... Ah, si on pouvait le vendre, le temps: s'en débarasser. Ou à jamais le jeter à la poubelle, le réécrire. Putain juste le réécrire. Juste pour effacer ces moments. Avec Oscar allongé là, et moi qui attends- juste effacer ces moments, à jamais. Etre là au bon moment, arrêter le dessein, la force, la vie- arrêter ce merdier qui tourne et qui nous embarque, qui nous fait saigner et qui nous laisse pour mort.
L'arrêter à coup de pied dans la gueule.
L'arrêter...
Du coin de l'oeil, au milieu d'une pensée, je remarque ses cils qui bougent. Il cligne des yeux, une, deux, trois fois. Je me lève ; il ne me voit pas. Voit-il, même, déjà? Il ne me voit pas. Mon coeur bat, je n'entends plus dans mes timpans que la symphonie peu harmonieuse de ma respiration. "Oscar!
Le nom m'échappe, je panique, la peur qu'il ne reparte aussi vite qu'il est venu. J'ouvre la porte, appelle une infirmière d'un geste de la main. En une seconde il aurait pu replonger dans le noir, et me laisser seul, mais cette fois ses yeux clignent, ils ne s'arrêtent pas.
Putain Oscar, si on t'avait pas déjà abimé la gueule je t'aurais mis une claque. Réveille-toi, putain, Oscar. Je ne m'approche pas ; les infirmières ont appelé un médecin. Je les regarde, au fond de la pièce, pointer la lumière dans ses yeux, lui parler du bout des lèvres. Ils marmonnent ils parlent, moi je n'entends que la lourdeur des battements de mon coeur,
ma tête qui se noie sous la pression, et l'hôpital qui m'encercle qui me rend claustro ;
et tout ce qui m'importe c'est que cette fois-ci, il ne ferme plus les yeux.
Putain, Oscar, ne ferme plus les yeux.