I know I'm not the only one
Décembre – Mars. Ces derniers mois paraissaient ne jamais finir, s’éternisant au fur et à mesure qu’un nouveau glas frappait l’existence de Lysander. Quand est-ce que cette année se terminerait-elle, se demandait-il dès qu’il posait le pied par terre dans sa chambre de chef des Phi Epsilon. Quand est-ce que cette journée s’achèverait-elle, s’inquiétait-il dès qu’il franchissait les portes de la ville pour mettre le nez dehors. Il n’était plus capable de rien désormais, réduit à la présence invisible d’un étudiant normal qu’il n’avait jamais été. L’inspiration l’avait quitté en même temps que son jumeau avait fui le sol américain, ne laissant que des notes inachevées et des essais froissées. Son goût pour les autres s’était évaporé sitôt qu’il avait croisé son regard lors du bal de Noël. Déjà qu’il portait peu d’intérêt pour son entourage – sauf si celui-ci pouvait profiter à sa personne – mais depuis il n’avait carrément plus envie de faire face à personne. Ecartez-vous de mon chemin qu’il se retenait de proférer chaque fois qu’il se mêlait à la foule du campus. Lys voulait jouer des coudes, laisser son poing exprimer toute sa rancœur puisque sa guitare était devenue muette. Lui qui se battait toujours pour ce qu’il voulait, voilà que deux personnes dont il avait toujours eu besoin avaient disparu de la circulation sans qu’il ne puisse protester. Il n’avait pas eu le temps d’un adieu déchirant accompagnées par les larmes habituelles puisqu’il s’était réveillé un bon matin, plus seul que jamais. S’il n’avait aucun moyen d’atteindre Lukah qui n’avait laissé ni adresse ni téléphone, Peter demeurait l’ultime doute. La naissance d’un espoir – ou plutôt d’un désespoir – qui s’alimentait de jour en jour alors que Los Angeles avançait lentement vers le printemps. Depuis le début de la semaine, une nouvelle obsession s’était fermement enracinée dans sa tête : aller le voir. Pour quoi faire ? Pour dire quoi ? L’incendier de s’être montré au bras d’une femme alors qu’il avait fait la même chose ? De ne pas avoir daigné lui accorder un regard sinon le premier et dernier salut méprisant ? Les souvenirs de cette soirée atroce s’effaçaient peu à peu, faisant comprendre à Lysander que sa colère était une fois de plus fictive. Après tant de semaines écoulées, Peter lui rirait au nez de remettre le sujet sur le tapis. Peut-être même avait-il tout oublié de lui désormais, ne se consacrant qu’à sa petite famille brisée mais ô combien chérie.
Cependant, ses actes ne concordaient jamais avec ses résolutions. C’était ainsi qu’en fin de journée, Lysander s’était retrouvé devant l’immeuble de Monsieur Michaels. Désemparé, il n’avait pas appuyé sur la sonnerie pour qu’on lui ouvre la porte. Paralysé, il était resté planté là. Il s’était assis devant la porte de l’accueil, à l’extérieur pour profiter de la température fraiche de la fin hivernale. Une légère brise emmêlait ses boucles abondantes et il l’accueillait avec soulagement. Il se sentait enfin respirer. Bizarrement, il se sentait revivre alors qu’il n’était qu’à quelques mètres de son appartement. C’était comme être auprès de lui, pouvoir ressentir sa présence sans craindre son courroux d’adulte parfait. Lys avait encore été l’instigateur de cette dispute, de ce fossé gigantesque entre eux mais il aimait irrémédiablement se faire passer encore et toujours pour la victime. Celui qui était rongé par la douleur et surtout par la distance. Il demeura peut-être ainsi pendant une heure avant qu’un habitant ne se décide de sortir de la bâtisse. Lys ne perdit plus une seconde, emporté par son élan irréfléchi, et s’engouffra dans la porte avant de rejoindre les escaliers. Surtout ne pas prendre l’ascenseur qu’il avait partagé pour la première fois avec Peter et Kimberley. Une image encore bien ancrée dans sa tête qui était écœurante. Il ne sut pas pourquoi il continuait de marcher jusqu’à la porte de son appartement, intimement persuadé qu’il recevrait encore la demoiselle de la dernière fois. Peut-être qu’il était en train de jouer avec sa petite fille ou bien se réconcilier avec sa si précieux ex-épouse. L’étudiant fut enfin convaincu de la folie de son geste quand il frappa deux coups francs sur la porte. Il fut aussitôt envahi par les regrets, par la peur et c’était bien pour cette raison qu’il ne fit pas demi-tour. Lysander aimait souffrir, c’était bien connu. Il plongea ses mains dans ses poches pour ne pas les montrer ainsi tremblantes de nervosité et il secoua sa tête pour faire tomber quelques cheveux devant ses yeux bleus. Action.