Morgan laissa tomber son mégot à terre. Il écrasa le bout rougeoyant du joint de la semelle de sa chaussure et laissa en plan la blonde qui lui tapait sur les nerfs depuis dix minutes. Sa voix aiguë lui donnait mal à la tête, et quand sa main avait osé s’aventurer sur son torse, Morgan c’était braqué. Il traversa le salon bondé d’étudiants ivres, en se demandant pourquoi il était venu. Ce matin il était passé à l’hôtel qu’occupait Lewis pour récupérer ses affaires et rendre sa clef. La carrière du chanteur était devenue telle qu’il s’absentait régulièrement. Morgan se torturait l’esprit quand il entendait malgré lui les rumeurs sur son petit ami. Ou du moins ex-petit ami. Evidemment, son oncle avait fini par être au courant de cette relation. Par apprendre que son neveu et héritier sortait avec un autre garçon. Il lui avait bien fait comprendre qu’il ne lui adresserait plus la parole, et une fois de plus sa tante n’osait contredire son époux. Cette situation n’avait pas aidé à maintenir l’équilibre dans son couple, encore moins le harcèlement des paparazzis. Leur séparation n’avait pas mis bien longtemps à faire la une des magazines people. Du moins, il était annoncé que « Lewis Graham était de retour sur le marché ».
Tout n’est jamais blanc. Tout n’est jamais noir. Morgan l’avait toujours su. Du moins jusqu’à ce que sa route croise celle de Lewis. Il lui semblait que depuis, tout était un peu plus joli. La vie semblait plus souriante, plus lumineuse. Il avait appris à revoir l’ordre de ses priorités. Il avait également quelque peu changé. Il s’était assagi. Le Phi digérait bien mal cette séparation. Tout était plus amère. Les couleurs lui semblaient pâles et sans importance. Néanmoins Morgan tentait de remonter le pente. Aussi, lorsqu’on lui avait proposé de se rendre à une soirée, il avait sauté sur l’occasion pour se changer les idées. Mais il n’arrivait pas à s’enlever Lewis de la tête, ni le fait qu’il l’ait probablement perdu pour toujours. Il c’était autorisé à espérer. Il avait fait du chemin, mais aujourd’hui tout était remis en question. Il avait bâti un fort, fait de pierre et d’acier. Le chanteur l’avait pulvérisé comme un vulgaire château de cartes, laissant dans sa poitrine ce trou béant, empli de rancœur, d’incertitude et d’autre chose. Il ne savait pas quoi exactement, mais c’était douloureux.
L’esprit embrumé, Morgan marchait au hasard dans les rues de Los Angeles. Les articulations de sa mains droites étaient raides et abimées, et ses phalanges égratignées suite à une bagarre. Heureusement elles commençaient à cicatriser. Mais l’adrénaline était revenue, celle qu’il ressentait lorsqu’il frappait. Une sensation de puissance, et de contrôle. Déjà ses démons le rattrapaient. Il était pourtant venu aux Etats-Unis pour refaire sa vie. À quel moment tout avait dérapé ? Le Phi se sentait mal. Mal dans cette ville gigantesque. Il avait l’impression de ne pas êtes à sa place, ici non plus. L’Italien avait toujours eu cette nostalgie en lui. Une impression de ne pas voir le monde comme les autres, comme si quelque chose lui échappait. Son regard flou se posa sur une masse sombre à sa droite. Une espèce d’ancienne usine se trouvait là. C’était le Squat, un lieu connu dans le sud de la ville, épuré mal famé. Quelque chose le poussa néanmoins à y pénétrer. Peut-être une dose d’adrénaline, un espoir d’y trouver quelqu’un avec qui s’embrouiller. Mais l’endroit était désert. Morgan en était presque déçu. Poussé par la curiosité, le Phi posa une main légère sur la rampe d’un vieil escalier, et appuya son pied sur la première marche pour en tester la solidité. Il grimpa au premier étage, mais ne put aller plus loin, tant les marches en bois étaient pourries par les années d’abandon. Il marcha alors au hasard dans les couloirs sombres, ses pas raisonnant entre les murs froids et délabrés. Un sifflement attira alors son attention. Le vent s’engouffrait sous une porte taguée d’un serpent rouge. Il parvint à l’ouvrir après plusieurs tentative pour la décoincer et constata que le pan du mur en face de lui était totalement défoncé. Un trou béant dans les briques rouges offrait une vue imprenable sur la ville et ses lumières au loin, mais surtout sur l’immense ciel étoilé. Morgan s’approcha du bord. Il n’était qu’à trois ou quatre mètres du sol envahi par les mauvaises herbes. L’Italien s’assit, les jambes pendant dans le vide. Il décapsula la bière qu’il avait emporté au passage et but une gorgée. Elle était chaude et amère, mais il s’en fichait.
Le vent était tiède en cette nuit d’été, et il devinait au loin la ligne sombre qu’était la mer. Il caressait la folle envie de prendre le vieux voiler de son père et de se perdre dans l’océan. De fuir, encore une fois. Morgan sortit son téléphone de sa poche et se connecta sur les réseaux sociaux, cherchant à avoir des nouvelles de Lewis. Il n’y avait pas grand-chose de nouveau. Son pouce, comme animé de sa propre volonté, alla alors consulter le profil de Gia sur Twitter. Visiblement elle c’était parfaitement remise de leur dispute. Égoïstement, Morgan aurait préféré que ce ne soit pas le cas. Elle semblait voyager et prendre du bon temps avec un type qui lui rappelait un Delta. Le tweet suivant lui enserra un peu plus la gorge. Gia était en Italie. Et indirectement elle le narguait à coup d’hashtag Family. Morgan ferma l’application. Elle avait l’air souriante, et heureuse. Alors que lui-même ne s’était jamais senti aussi seul. Une espèce de jalousie le rongeait. Elle avait toujours eu ce qu’il recherchait. Une famille soudée qui ne lui cachait rien, des dizaines de mecs à ses pieds. Il n’y avait qu’une chose qu’il avait eu avant elle : la chance de rencontrer quelqu’un de sincère. Il avait voulu prouver qu’il pouvait être heureux sans eux. Qu’il n’avait pas besoin d’eux. Que Gia n’avait aucune emprise sur lui. Pouvait-il clamer avoir une vraie famille ? Certes son oncle semblait prêt à lui pardonner son écart de conduite, mais Morgan avait l’impression que quelque chose c’était définitivement rompu. Peut-être que finalement, il aurait dû accepté de prendre le nom de son oncle pour devenir un vrai Di Renzo. Le nom des Vanderbilt se serait alors éteint pour de bon.
Dans son répertoire, Morgan chercha le numéro de Gia, avant de se souvenir qu’il l’avait supprimé. Le plus frustrant était qu’il s’en souvenait. Il le composa donc sur le pavé numérique et appuya sur la touche appel, vaguement conscient qu’un coup de fil en Italie lui couterait probablement cher. Pas une seconde il pensa que peut être, elle pouvait être rentrée en Californie. Morgan avala une grande gorgée de bière en grimaçant. Il avait besoin d’évacuer ses sentiments qui le rongeaient. Tristesse. Nostalgie. Rancœur. Le Phi cherchait la confrontation pour se soulager. Gia lui semblait un peu trop heureuse. Ou peut-être avait-il peur qu’elle ait oublié son existence, définitivement. L’italien laissa passer quelques secondes quand Gia décrocha. Un silence dans la nuit chaude, seul s’échappant d’entre ses lèvres son souffle alcoolisé. En réalité, il ne s’attendait pas à ceux que la demoiselle décroche. Il aurait pu raccrocher, ou simplement commencer par la saluer. Mais avec Morgan, la simplicité n’existait pas.
- Alors comme ça on prend du bon temps en Italie ? Demanda-t-il avant de ricaner sous l’ivresse. D’ailleurs, si tu vois mon oncle, rend moi service : dis-lui que j’en ai rien à foutre de son fric.
Morgan esquissa un sourire, plutôt satisfait. Sa tête vint s’appuyer contre le mur de brique. Il n’avait plus les idées claires, mais ça lui plaisait bien d’être ici, en hauteur, à entendre la voix de Gia.