Une semaine avant la reprise des cours
Il fait encore chaud en automne à Los Angeles, surtout dans l’aile moderne de l’UCLA. A travers les immenses vitres, les feuilles des arbres voisins jettent des dentelles grises. L’UCLA est vide. L’UCLA sommeille encore. L’UCLA couve en sein ce qui fera l’année à venir. Des sciences et des savoirs. Des émerveillements et des espérances. Des crissements et des résistances.
Dans l’aile de la criminologie, les murs sont blancs, les portes sont blanches, les châssis sont blancs. Les lumières ne sont pas encore allumées à cette heure du jour… Le soleil filtré par les arbres teinte les choses d’un halo doux. Les sons extérieurs arrivent étouffés. Le bureau du professeur de criminologie résonne du froissement des pages entre ses longs doigts fins.
- Hein ?
Ansel Faulkner. Le prénom et le nom. Ecrits en grand. Majuscules d’en-tête pour CV standardisé. Les lettres s’impriment au fer rouge contre ses cornées. La chaleur pénètre ses iris, ses pupilles, ses globes, ses os.
Ansel Faulkner. N’est-ce pas un homonyme ? Une farce du hasard ? Une coïncidence crasse ?
Les pages se tournent et se retournent entre les doigts fébriles d’Ethan.
Quelle est la date de naisse ? Le lieu de naissance ?
- C’est pas vrai…
Les mots d’Ethan sont des souffles, des expirations chargées de stupéfaction… et de souvenirs. Des souvenirs aigres. Gris. Criards. Des reflux de colère et de reproches jamais exprimés. Des ambiances de cendres brûlantes et de feu non déclaré.
Il lit et relit les mots noirs alignés mécaniquement sur les pages blanches. Le CV de son premier assistant… qu’il n’a pas pu choisir lui-même. Il était encore à New York quand le choix fut posé. L’UCLA voulait moderniser le département de criminologie… et tout s’est précipité pour lui. Il n’a pu suivre les préparatifs connexes, tels que le choix de l’assistant. Le suivi des doctorants.
On frappe à la porte.
Des coups de poing en forme de son de butoir. Une demande polie pour entrer. Une demande sonore. Une agression auditive pour tirer les gens de leurs pensées, de leurs surprises, de leurs réminiscences.
Le regard d’Ethan se pose sur la poignée. Est-ce lui, déjà ?
Est-ce le fils de la femme qu’il a aimée, déjà ?
Ne pouvait-il attendre ? Ou mieux, fuir ? Ou mieux, s’en aller loin ?
Ne pouvait-il éviter cette rencontre ? Refuser en dernière minute ?
Ses mâchoires se contractent. Ses lèvres, trop grandes pour son visage mince, restent closes. Il repose les pages qui portent le prénom, le nom, la date de naissance, le lieu de naissance. A plat sur le bureau blanc. Comme une ordonnance. Sale pilule à avaler.
Il se cale contre son siège. Regarde la porte. Dans son costume gris clair et sa chemise blanche, il ressemble de loin à un témoin d’un mariage heureux. Qu’il n’a pas eu. Madame Faulkner est restée Faulkner. Il déglutit. A-t-il le choix ? Certainement pas.
- Entrez.
La porte s’ouvre et le fils de la femme perdue entre. La femme qu’il a aimée, la femme qui ressemblait à sa propre mère. Peut-être est-ce pour cette raison qu’il l’a tant aimée. Peut-être est-ce pour cette raison que le sexe était si facile avec elle. Ethan ne sait pas. Il sait juste que…
- Bonjour Ansel.
Ansel était le fils que sa propre mère aurait peut-être voulu. Un fils beau comme un mannequin de papier glacé. Aventureux comme un loup affamé. Il plaisait aux femmes, il plaisait à sa propre mère, lui aussi. Elle aurait peut-être voulu faire l’amour à Ansel, elle aussi. Deux actrices amies, aux deux fils si différents… Mais Ansel était le fils que les deux actrices aimaient. Jusqu’à ce que la mère d’Ansel écarte les cuisses pour Ethan et qu’il s’y plonge sans hésiter.
La conscience d’Ethan est en suspension, entre le monde du passé et la certitude du présent. Entre l’envie de reprocher, de colérer, de s’attrister, de s’engueuler. Et la volonté d’oublier, de passer outre, de travailler, de dialoguer.
Mais la volonté n’est pas désir. Et les nerfs n’obéissent pas qu’à la seule volonté.
Ethan se lève, quitte sa chaise. Derrière Ansel, il ferme la porte sans bruit. Les fragments des familles brisées restent au sein de leurs brisures.
- Toi ici… Vraiment ?
Il fait encore chaud en automne à Los Angeles, surtout dans l’aile moderne de l’UCLA. A travers les immenses vitres, les feuilles des arbres voisins jettent des dentelles grises. L’UCLA est vide. L’UCLA sommeille encore. L’UCLA couve en sein ce qui fera l’année à venir. Des sciences et des savoirs. Des émerveillements et des espérances. Des crissements et des résistances.
Dans l’aile de la criminologie, les murs sont blancs, les portes sont blanches, les châssis sont blancs. Les lumières ne sont pas encore allumées à cette heure du jour… Le soleil filtré par les arbres teinte les choses d’un halo doux. Les sons extérieurs arrivent étouffés. Le bureau du professeur de criminologie résonne du froissement des pages entre ses longs doigts fins.
- Hein ?
Ansel Faulkner. Le prénom et le nom. Ecrits en grand. Majuscules d’en-tête pour CV standardisé. Les lettres s’impriment au fer rouge contre ses cornées. La chaleur pénètre ses iris, ses pupilles, ses globes, ses os.
Ansel Faulkner. N’est-ce pas un homonyme ? Une farce du hasard ? Une coïncidence crasse ?
Les pages se tournent et se retournent entre les doigts fébriles d’Ethan.
Quelle est la date de naisse ? Le lieu de naissance ?
- C’est pas vrai…
Les mots d’Ethan sont des souffles, des expirations chargées de stupéfaction… et de souvenirs. Des souvenirs aigres. Gris. Criards. Des reflux de colère et de reproches jamais exprimés. Des ambiances de cendres brûlantes et de feu non déclaré.
Il lit et relit les mots noirs alignés mécaniquement sur les pages blanches. Le CV de son premier assistant… qu’il n’a pas pu choisir lui-même. Il était encore à New York quand le choix fut posé. L’UCLA voulait moderniser le département de criminologie… et tout s’est précipité pour lui. Il n’a pu suivre les préparatifs connexes, tels que le choix de l’assistant. Le suivi des doctorants.
On frappe à la porte.
Des coups de poing en forme de son de butoir. Une demande polie pour entrer. Une demande sonore. Une agression auditive pour tirer les gens de leurs pensées, de leurs surprises, de leurs réminiscences.
Le regard d’Ethan se pose sur la poignée. Est-ce lui, déjà ?
Est-ce le fils de la femme qu’il a aimée, déjà ?
Ne pouvait-il attendre ? Ou mieux, fuir ? Ou mieux, s’en aller loin ?
Ne pouvait-il éviter cette rencontre ? Refuser en dernière minute ?
Ses mâchoires se contractent. Ses lèvres, trop grandes pour son visage mince, restent closes. Il repose les pages qui portent le prénom, le nom, la date de naissance, le lieu de naissance. A plat sur le bureau blanc. Comme une ordonnance. Sale pilule à avaler.
Il se cale contre son siège. Regarde la porte. Dans son costume gris clair et sa chemise blanche, il ressemble de loin à un témoin d’un mariage heureux. Qu’il n’a pas eu. Madame Faulkner est restée Faulkner. Il déglutit. A-t-il le choix ? Certainement pas.
- Entrez.
La porte s’ouvre et le fils de la femme perdue entre. La femme qu’il a aimée, la femme qui ressemblait à sa propre mère. Peut-être est-ce pour cette raison qu’il l’a tant aimée. Peut-être est-ce pour cette raison que le sexe était si facile avec elle. Ethan ne sait pas. Il sait juste que…
- Bonjour Ansel.
Ansel était le fils que sa propre mère aurait peut-être voulu. Un fils beau comme un mannequin de papier glacé. Aventureux comme un loup affamé. Il plaisait aux femmes, il plaisait à sa propre mère, lui aussi. Elle aurait peut-être voulu faire l’amour à Ansel, elle aussi. Deux actrices amies, aux deux fils si différents… Mais Ansel était le fils que les deux actrices aimaient. Jusqu’à ce que la mère d’Ansel écarte les cuisses pour Ethan et qu’il s’y plonge sans hésiter.
La conscience d’Ethan est en suspension, entre le monde du passé et la certitude du présent. Entre l’envie de reprocher, de colérer, de s’attrister, de s’engueuler. Et la volonté d’oublier, de passer outre, de travailler, de dialoguer.
Mais la volonté n’est pas désir. Et les nerfs n’obéissent pas qu’à la seule volonté.
Ethan se lève, quitte sa chaise. Derrière Ansel, il ferme la porte sans bruit. Les fragments des familles brisées restent au sein de leurs brisures.
- Toi ici… Vraiment ?