La nuit tombée, tous les paris sont ouverts.
C'est subtile, la nuit. Dangereux, aussi. Il n'y a plus de soleil, plus de lumière ... Plus de preuves. Tout se fait dans l'ombre, dans le plus grand des mystères ... Et quel mystère ! Un mystère sombre, obscur ... Solennel. Et c'est Solennellement que mes pieds avancent et que mes pas me guident, me dirigent, vers cette cabane en bois. Le bois ... Comme celui d'il y a si longtemps, de cet été, si chaud, si lointain, si anglais, si distant ...
Et pourtant, si proche, également ...
Je le sens, ici et là. Dans mon coeur, dans mon âme. Cet été de non-dits, cet été de pensées ... Mais également, d'instincts. C'était cet été là que mes réelles préférences s'étaient révélées à moi. On pourrait aisément parler d'une épiphanie, d'ailleurs. Une révélation ... Et pourtant, là, ce soir, je suis complètement plongé, noyé, baigné dans ce noir complet, incapable de comprendre et de savoir ... Incapable de savoir ... Ce qu'il va se passer. Ce qu'il veut. Lui. Ici. Et ce qu'il me veut, après tant d'années ...
Ce que je veux, également. C'est important, ça aussi, je crois ...
... En même temps, tout a toujours été important, pour moi ...
On me l'a souvent reproché, d'ailleurs. "Oscar, tu t'attaches trop facilement. Tu accordes trop d'importances à des petites choses qui ne veulent rien dire ! Tu devrais ouvrir les yeux un peu. Te concentrer sur ce qui compte, réellement." Mais que puis-je y faire si mon coeur danse une danse différente que celle effectuée par leurs pensées ? Que puis-je y faire si chaque mot, chaque parole, chaque caresse qui m'est adressée s'ancre en moi, comme un crochet ? Que puis-je y faire si je vis tout, au jour le jour, avec émerveillement, passion, fureur, intensité, émotion ... ?
Que puis-je y faire, moi, avec toutes mes faiblesses et toutes mes limitations ... ?
... Je ne suis qu'un homme ...
...
...
... Et si je ne puis plus m'émerveiller à chaque fois que le soleil se lève, alors je ne peux plus m'émerveiller devant quoique ce soit.
Si je ne puis plus être triste lorsqu'une femme perd son enfant dans les lignes perdues entre les pages d'un roman, alors je ne peux plus être triste du tout.
Si je ne puis plus tomber amoureux par un simple regard ou même, par la simple intonation d'une voix ... Alors à quoi bon aimer ?
... Et si les choses n'ont plus d'importance, alors la vie ne mérite plus d'être vécue. Cela ne servirait à rien d'exister.
Je ne puis pas être autrement. Exister sans ressentir ... Exister sans penser ... Ce serait comme me demander d'exister sans ... Respirer. Exister sans penser. Cela n'a rien d'une existence. Passé ce cap, l'on tombe dans la survie. Et moi, je me refuse de sombrer dans cela.
Je préfère plutôt m'élever, librement, dans les airs, lentement, pas après pas, derrière lui, à sa suite, à sa succession, le suivant, timidement, silencieusement, avec confiance, avec calme, avec ... Je préfère être léger, quoi, être moi. Pouvoir vivre et me nourrir de cet optimisme qui me revitalise au jour la jour et de cet espoir qui n'a de cesse de me donner la pêche. Avoir cette voix douce, calme, fragile, vulnérable. Cette âme pâle, restreinte, timide, sensible, qui fait contraste à ces émotions folles qui se promènent en moi ...
... Quelles sont-elles, ce soir, ces émotions ?
Je ... Je ne sais pas.
C'est le picotement dans mes yeux et le tam, tam, tam résonnant de mon coeur. C'est la moiteur de mes mains et les tremblements dans mes jambes. C'est la fraicheur lacérante de la brise marine et les parois lisses et scintillantes de mes lèvres humides. C'est ces émeraudes profondes qui se forgent à nouveau un doux souvenir de sa silhouette. Cette boule, au fond de moi, qui brille, mais que seul je puisse voir. Cette tension, également, que je ressens dans mon short. C'est toutes ces choses, toutes ces émotions, toutes ces sensations en moi. Transformations, manifestations physiques, factuelles et analysables de choses que je ne saurais jamais expliquer ni comprendre par moi-même sans cela. C'est ce noeud au fond de ma gorge et les images qui se dessinent dans mes pensées. Ces souvenirs qui crient, hurlent à ceux ou celles qui veulent bien les écouter ... Et malheureusement, dans ce silence oppressant, je ne peux pas faire autre chose que de les écouter.
Puis, le déclic. Enfin. Quelque chose d'autre à écouter. Clic, clac. Cette clef qui tourne, dans cette serrure ... Et mon coeur, jusqu'alors si léger, si abstrait, si pensif et rêveur retombe, complètement ancré et happé, rattrapé par la réalité.
Andreas. Moi. Cabane. Plage. Ici. Maintenant.
Le noeud au fond de ma gorge se resserre, à présent.
Puis, Andreas entre. Ce n'est plus Andy, comme auparavant, lorsque j'étais encore jeune, capable de feindre une innocence insouciante. C'est Andreas, à présent. Et je suis Oscar. Je marche derrière lui, à présent entièrement plongé dans la pénombre. Nos silhouettes épousent l'obscurité tandis qu'à présent, nous ne formons qu'un avec la nuit.
Loin de nous est le jour où nous ne formions qu'un, tout simplement ...
Pourtant, un filet de lune pénétrant par la fenêtre me permet encore de détacher son ombre de l'obscurité afin d'identifier son individualité dans ce voile nocturne. Un autre rappel que nous sommes bien deux entités distinctes, séparées. Par le temps, les années, la vie, les expériences passées ...
Je ne sais pas à quoi il s'attendait lorsqu'il a misé et c'est bien cela qui m'effraie, je crois. Pour ne pas changer. Il semblerait que lorsque je suis avec lui, je ne peux tout simplement pas me sentir apaisé. Il me tourne le dos et cette scène est si puissante que je me sens mal-à-l'aise. Un intrus dans ce tableau de la nuit qui l'épouse, lui et le rayon de lune. Je ne me sens pas à ma place et j'aurai presque envie de prendre mes jambes à mon cou. Mais il a payé ... Et ce serait malhonnête de ma part de m'en aller.
Pourtant ... L'envie de m'échapper est ...
... Tellement ...
... Irres ...
...
...
... Inexistante.
Il vient de se retourner et voilà que toute idée de fuite s'est anéantie. Électrisé par ce regard lumineux, l'emprise magnétique que son corps a sur le mien se réveille abruptement. Je ne bouge pas, persuadé que chaque pas effectué dans la direction opposée me ramènerait deux pas vers lui, même contre mon gré.
Alors, plutôt que de me battre contre ma nature, je l'embrasse, pleinement. Un pas. Puis deux. En sa direction. J'essaie de me montrer confiant. Pourtant, je les sens, ces gouttes de sueur sur mes poignets, qui coulent cruellement le long de mes paumes moites ... Je les sens, ces boucles, mouillées, qui commencent à tomber et à me coller au front ...
Clairement, je ne me sens pas à l'aise, ni dans mon élément.
Mais j'essaie, parce que j'ai toujours essayé, et ça, personne ne pourra me l'enlever.
Son regard, planté dans le mien, m'appel, me dirige ...
... Alors je romps le contact.
Fais un dernier pas, puis baisse mon regard, sans prévenir.
Je me racle la gorge. Je ne sais pas quoi dire.
- Je ...
Mes dents s'enfoncent dans ma lèvre tandis que mes yeux se redressent, espérants. Cette fois-ci, c'est moi qui ancre mon regard dans le sien.
Aide moi. Explique moi. Laisse moi comprendre ce que je ne comprends toujours pas.
extensionauto_awesomeac_unitvolunteer_activism