Beverly Hills. Garage souterrain.
Selon la valeur ‘ponctualité’, Edgar est très en retard.
Il descend les marches quatre à quatre.
Mais selon les habitudes des étudiants californiens, il est dans la norme. Si un efflanqué à lunettes aurait du mal à faire accepter dix minutes de retard aux autres, Edgar lui porte son corps et son style en étendards, avec la facilité des porte-drapeaux qui n’ont jamais reçu de balles sur les champs de bataille.
Sac de sport dans la main droite, ses pensées dans les cockpits des voitures.
Laquelle choisir ? Bentley, Maserati, Koenigsegg ?
Quelle voiture est la plus rapide ?
Un système d’ouverture bipe deux fois. Les phares de la Maserati. Noire et bleue électrique. A l’œil, elle est la plus agressive. A l’œil, elle est la plus rapide. Sous le capot, le moteur… Il ne sait plus. Cela n’a pas d’importance. Entre Beverly Hills et Santa Monica, les routes ne permettent pas le 250 km/h et à Santa Monica, il ne s’attend pas à croiser des badauds qui savent que Maserati ne construit plus ses voitures à la main.
Il s’assied dans la voiture. Le cuir. Rouge foncé ou sang noirâtre. Le sac de sport jeté sur le siège passager. Le t-shirt gris à l’encolure évasée, le jean près du corps, la Breitling dorée. Une caricature en trois dimensions d’un homme né au milieu des dollars et qui veut se faire passer pour quelqu’un qu’on a envie d’approcher. Il le sait. Ça lui plaît.
Le volet électrique du garage s’ouvre silencieusement. La lumière de fin d’après-midi… Le calme de fin d’après-midi… Un des meilleurs moments pour le corps. Sous les doigts, le cuir grainé du volant. Une flatterie tactile pour lui rappeler qu’il va souffrir. Pour le corps, la danse n’a rien de doux. La danse n’est moelleuse que pour les yeux.
Edgar sourit.
Moteur vrombissant. Démarrage criard.
Il pourrait rattraper son retard. La ponctualité est la politesse des rois.
Qui veut encore être roi à l’heure actuelle ?
Pour qui ? Pour soi ? Pour les autres ?
Alors que les yeux sont les vrais rois ?
La Maserati ralentit. C’est la première fois qu’Edgar ‘rend visite’ à Adelaïde. A quoi ressemble la villa de son père ? Car c’est probablement la villa de son père. Une villa est rarement à la mère. Sauf quand, comme Edgar, le père n’est plus là.
Le moteur s’arrête dans un dernier hoquet gras. La portière claque.
Il laisse tomber le sac de sport sur le pas de la porte. Il sonne. Il attend, comme les gens qui n’ont pas l’habitude de rester calmes : en observant ce qui l’entoure. A défaut de pouvoir faire beaucoup de choses, il observe. L’observation, c’est l’action des yeux.
Ses yeux mènent son corps. Ils se posent sur la devanture, sur les fenêtres. Le monde passe par les pupilles qui le gobent, le compriment, le traduisent, l’emprisonnent. Les pupilles sont des portes à sens unique. Le monde reste emprisonné derrière leurs disques noirs minuscules.
Adelaïde ouvre la porte.
Son image entre dans les yeux, elle aussi. L’image s’introduit dans les nerfs oculaires, dans les replis du cerveau. L’image retrouve les souvenirs. Les souvenirs foncent vers la jointure de la colonne vertébrale, passent par la moelle des membres, électrisent les nerfs de la peau.
Avec elle, il a dansé. Des heures, coups contre le sol, en apesanteur dans l’effort, en oubli de la fatigue.
Edgar sourit.
- Salut. Ça va ?
Entre le majeur et l’index, il tient une clef usb. Il la tend.
- C'est la version avec les basses augmentées. Le résultat est plutôt différent de la version sur laquelle on a déjà répété.
Il se penche, prend son sac de sport. Un mouvement rapide, plus fluide déjà que les mouvements qu’il a dû faire pour entrer dans la voiture. Le sac en partie sur son épaule. La pression du poids des vêtements, de la serviette de bain.
Ses yeux reviennent sur Adelaïde. Comme d’habitude, il passe les détails de son corps au crible. Elle a l’air en forme pour la répétition.
A quoi sait-il cela ?
Pas d’idée. Pas d’idée qui pourrait être traduite en mots, en tout cas. La danse est son propre langage. La danse forme les corps et les neurones. Une formatrice sévère et sans concession qui module les perceptions visuelles et les auras des chairs.
- Tu as l’air en forme, miss. Tu me montres ta salle?
Selon la valeur ‘ponctualité’, Edgar est très en retard.
Il descend les marches quatre à quatre.
Mais selon les habitudes des étudiants californiens, il est dans la norme. Si un efflanqué à lunettes aurait du mal à faire accepter dix minutes de retard aux autres, Edgar lui porte son corps et son style en étendards, avec la facilité des porte-drapeaux qui n’ont jamais reçu de balles sur les champs de bataille.
Sac de sport dans la main droite, ses pensées dans les cockpits des voitures.
Laquelle choisir ? Bentley, Maserati, Koenigsegg ?
Quelle voiture est la plus rapide ?
Un système d’ouverture bipe deux fois. Les phares de la Maserati. Noire et bleue électrique. A l’œil, elle est la plus agressive. A l’œil, elle est la plus rapide. Sous le capot, le moteur… Il ne sait plus. Cela n’a pas d’importance. Entre Beverly Hills et Santa Monica, les routes ne permettent pas le 250 km/h et à Santa Monica, il ne s’attend pas à croiser des badauds qui savent que Maserati ne construit plus ses voitures à la main.
Il s’assied dans la voiture. Le cuir. Rouge foncé ou sang noirâtre. Le sac de sport jeté sur le siège passager. Le t-shirt gris à l’encolure évasée, le jean près du corps, la Breitling dorée. Une caricature en trois dimensions d’un homme né au milieu des dollars et qui veut se faire passer pour quelqu’un qu’on a envie d’approcher. Il le sait. Ça lui plaît.
Le volet électrique du garage s’ouvre silencieusement. La lumière de fin d’après-midi… Le calme de fin d’après-midi… Un des meilleurs moments pour le corps. Sous les doigts, le cuir grainé du volant. Une flatterie tactile pour lui rappeler qu’il va souffrir. Pour le corps, la danse n’a rien de doux. La danse n’est moelleuse que pour les yeux.
Edgar sourit.
Moteur vrombissant. Démarrage criard.
Il pourrait rattraper son retard. La ponctualité est la politesse des rois.
Qui veut encore être roi à l’heure actuelle ?
Pour qui ? Pour soi ? Pour les autres ?
Alors que les yeux sont les vrais rois ?
La Maserati ralentit. C’est la première fois qu’Edgar ‘rend visite’ à Adelaïde. A quoi ressemble la villa de son père ? Car c’est probablement la villa de son père. Une villa est rarement à la mère. Sauf quand, comme Edgar, le père n’est plus là.
Le moteur s’arrête dans un dernier hoquet gras. La portière claque.
Il laisse tomber le sac de sport sur le pas de la porte. Il sonne. Il attend, comme les gens qui n’ont pas l’habitude de rester calmes : en observant ce qui l’entoure. A défaut de pouvoir faire beaucoup de choses, il observe. L’observation, c’est l’action des yeux.
Ses yeux mènent son corps. Ils se posent sur la devanture, sur les fenêtres. Le monde passe par les pupilles qui le gobent, le compriment, le traduisent, l’emprisonnent. Les pupilles sont des portes à sens unique. Le monde reste emprisonné derrière leurs disques noirs minuscules.
Adelaïde ouvre la porte.
Son image entre dans les yeux, elle aussi. L’image s’introduit dans les nerfs oculaires, dans les replis du cerveau. L’image retrouve les souvenirs. Les souvenirs foncent vers la jointure de la colonne vertébrale, passent par la moelle des membres, électrisent les nerfs de la peau.
Avec elle, il a dansé. Des heures, coups contre le sol, en apesanteur dans l’effort, en oubli de la fatigue.
Edgar sourit.
- Salut. Ça va ?
Entre le majeur et l’index, il tient une clef usb. Il la tend.
- C'est la version avec les basses augmentées. Le résultat est plutôt différent de la version sur laquelle on a déjà répété.
Il se penche, prend son sac de sport. Un mouvement rapide, plus fluide déjà que les mouvements qu’il a dû faire pour entrer dans la voiture. Le sac en partie sur son épaule. La pression du poids des vêtements, de la serviette de bain.
Ses yeux reviennent sur Adelaïde. Comme d’habitude, il passe les détails de son corps au crible. Elle a l’air en forme pour la répétition.
A quoi sait-il cela ?
Pas d’idée. Pas d’idée qui pourrait être traduite en mots, en tout cas. La danse est son propre langage. La danse forme les corps et les neurones. Une formatrice sévère et sans concession qui module les perceptions visuelles et les auras des chairs.
- Tu as l’air en forme, miss. Tu me montres ta salle?
Les humeurs du corps