Un cours de deux heures sur la mécanique des corps. Bon, j’aime la danse. J’adore ça, comprenez-moi bien, mais une leçon théorique, au bout de sept ans d’études, sur les mouvements corporels du danseur ? J’ai mieux à faire moi… Choisir ce cours en guise d’option transversale a sans doute été ma pire idée de l’année, je ne me remercie pas sur ce coup-là. Si encore le professeur avait été convaincant… Comme par exemple un enseignant jeune, dynamique, sportif ! Cela aurait été cohérent, au moins. Mais au lieu de ça, nous nous retrouvons face à un vieux quinquagénaire aux cheveux grisonnants, qui nous enseigne comment faire bon usage de notre corps. Je ne sais pas vous, mais moi je trouve ça assez farfelu. Manquerait plus qu’il se casse les vertèbres en faisant un faux mouvement.
Tout ça pour dire que je m’ennuie. Et quand je m’ennuie en cours, je me mets à rêver de notes plus positives. De toutes les choses qui devraient égayer le reste de ma journée, de tous ces visages que je verrai ou que j’aimerais voir… La liste pourrait être longue, mais finalement, pas tant que ça…
PSSSSSSSSSSSSSSSSSSSSSSSSTTTTT !
Effet de surprise, je sursaute à moitié sur mon banc. Déjà prête à râler et à pester contre le petit malin qui se croit drôle juste derrière moi, je lève les yeux en l’air et me retourne pour lui dire de la f… Mais mes yeux ne croient pas ce qu’ils sont en train de voir. Quand je croise le regard de… Enfin, son regard quoi, j’oublie tout ce qu’il y a autour de moi, j’oublie le jour qu’on est et dans quel endroit je suis, j’oublie tout, parce qu’il est là et que putain, c’est pas possible. Je dois rêver. Mes yeux s’écarquillent comme des boules de loterie et il me faut un moment pour réaliser, pour atterrir.
Snow
est
ici.
Genre ici, juste derrière moi, sur un banc d’étudiant. Bordel de merde.
C’est une claque. C’est un rayon de soleil. C’est une partie de moi qui reprend vie aussitôt. En le voyant, en l’écoutant me dire cette connerie, preuve qu’il est toujours lui, lui et personne d’autre. Mon meilleur ami. Mon plus bel enquiquineur.
Rien n’aurait changé. La France et les Parisiennes n'auraient rien changé à ce “nous”…
Et c’est en me fichant éperdument du professeur et de son blabla intempestif que je réagis, communiquant alors ma joie au monde. A ma façon, comme si j’étais
seule au monde, en fait.
─ OH TOI, TOI !! Je m’exclame, toute en joie, avant de me lever et de l’attirer à moi en encerclant son cou de mes bras. Et là, j’aimerais ne plus le lâcher. Sentir sa présence, sa chaleur et son affection contre moi éternellement. Car c'est quand je suis avec lui que je réalise à quel point il me suffit, pour être heureuse, pour être entière. Alors oui, je crois bien que j’oublie un peu ma force, en oubliant de le lâcher.
Snow, Snow, Snow… il est de retour et la mécanique du coeur s’emballe déjà.
─ Excusez-moi, peut-être qu’on vous dérange ? S’élève tout à coup la voix mécontente de l’enseignant.
Les lèvres pincées, je m’écarte enfin sans pour autant lâcher le regard malicieux de Snow. Il est si beau, et il a l’air si heureux, que j’en déborderais presque de bonheur. Trépignante, je me trouve tout à coup toutes les raisons du monde à m’échapper de ce cours et c’est d’ailleurs décidée que je me retourne vers ma table, puis vers le professeur plus bas. Lui et tout l’amphi nous fixe à cet instant : instant de gloire inespéré. Mais mes mots devraient avoir d’autant plus d’effet.
─ Non c’est moi qui m’excuse, je crois que j’ai mieux à faire que de rester ici, finalement.Voilà ce que je déclare, sans la moindre crainte, tout en ramassant mes affaires. Des voix s’indignent et des rires éclatent mais je m’en fiche, mes pas m’emmènent déjà vers le bout de la rangée. Vers Snow qui me suit volontiers. De toute façon, c’est son plan à lui pour le coup. Et quand nous nous extirpons enfin de l’amphithéâtre, je me précipite vers lui et le fait reculer contre le mur à l’aide de ma main.
─ Tu vas me laisser parler. Non parce que je le sentais déjà prêt à ouvrir sa bouche, alors de suite j’impose mes règles.
D’abord, tu vas me promettre que tu n’es pas ici juste pour des fichues vacances. Je veux que tu me dises que tu es de retour à Los Angeles, pour de bon, parce que tu en as marre des Françaises coincées, du mauvais temps et du camembert qui pue. Ensuite… Eh bien je compte sur toi pour me rassurer en me disant que je n’ai pas quitté ce cours pour un plan foireux avec toi. Ce qui serait regrettable, tu le concèdes.Mais cette attitude faussement sérieuse et indignée que j’arbore ne triomphe pas bien longtemps… Très vite, j’esquisse un grand sourire incontrôlable et me mets à rire de bon cœur face à lui. Il y a des cas extrêmes où les sentiments ne peuvent se retenir d’exploser. Là, c’est mon cœur qui bat la chamade. Une ancienne bataille qui reprend son cours… Mais qu’importe, il m’a tellement manqué, cet idiot.