Emma Stenberg aime ce message
Leo, elle a toujours traité ses boulots comme des obligations, des lieux sur lesquels se rendre cinq jours par semaine, souvent plus, pour y rester du matin jusqu'à la tombée de la nuit, contre rémunération plus ou moins suffisante - ses collègues n'étaient rien sinon ça, des collègues, rarement plus que des potes de boissons ou des comparses de moments volés à rêver de mieux. Toujours éphémères, jamais très stables, ni ne la considérant elle-même autrement. Ca lui allait bien, à la blonde ; elle qui ne souhaitait surtout être personne pour qui que ce soit et pouvoir s'enfuir du jour au lendemain sans manquer ne demandait rien de mieux qu'être une ombre de passage dans la vie d'autrui. Pour résumer, ses jobs n'étaient que ça, avant.
Et avant, il n'y avait pas Riley et sa douceur compréhensive, ni Emma et ses sourires qui lui faisaient perdre son sang-froid et quelques points de QI au passage. Elle l'aimait bien, Emma, suffisamment pour avoir envie de lui proposer un verre de temps en temps, en tout bien tout honneur, mais surtout assez pour se défiler à la dernière minute à chaque fois en se rappelant la bague à son annulaire. Elle l'aimait suffisamment bien pour estimer pouvoir lui demander de la couvrir en cas de besoin, et assez même pour lui raconter pourquoi. C'était précisément la raison pour laquelle, dans tout autre contexte, à tout autre endroit, Leo aurait déjà fui depuis des semaines. La domesticité, la possibilité bien tangible de dépendre - la blonde s'en tenait éloignée comme des barres dans les métros en saison de gastroentérite, parce que ça ne pouvait s'avérer bon ni pour l'une, ni pour l'autre de nos protagonistes. Elle en était convaincue, Leo. Elle en aurait foutu sa main à couper sous le scalpel usé et plein de poils de Riley, même.
Pourtant, il était là, le message qu'elle avait envoyé une heure plus tôt :
"Salut, tu peux me couvrir, stp ? J'ai un truc perso auquel je peux pas échapper. Je te revaudrai ça, promis."
Et elle le contemplait comme si elle avait accidentellement envoyé une nude à son propriétaire ou si elle avait appelé la maîtresse Maman. La blonde pressait le pas en direction du cabinet de vétérinaire avec une hâte presque maladive ; elle détestait se foutre en retard pour ses réunions d'anonymes, mais elle détesterait encore plus en manquer une, et Dieu savait combien elle en dépendait. Elle avait laissé toute son employabilité entre les mains d'Emma, en attendant, et elle n'était pas assez sûre du geste pour se permettre de prendre son temps.
Dix minutes plus tard, elle était au cabinet, le souffle court et des mèches blondes devant le visage, l'air ahuri de celle qui a couru sur trois kilomètres. Pas un chat dans la salle d'attente : rien qu'Emma, qui passe une tête en la voyant, lui offrant son sourire caractéristique qui fait systématiquement douter Leo de si elle n'a pas un véritable problème cardiaque.
"Salut", elle lâche, esprits sommairement repris, se débarrassant rapidement de ses affaires pour les foutre dans un placard à côté du plan d'accueil. Une main passe à la hâte dans ses cheveux, comme pour se donner l'air présentable - ou chasser l'embarras. "Désolée. Merci. J'avais un truc..." elle hésite, bute sur la fin de sa phrase, la ravale finalement - pas autant de confidences, pas si tôt, pas à elle, d'entre tous. "Je t'en dois une. Mille, même. Donc si un jour t'as besoin..." Elle hausse les épaules, laisse la fin nébuleuse : que ce soit la couvrir aussi, ou même aller la chercher à la sortie d'un bar à quatre heures du matin, Leo ne rechignera pas. Quoique, si Emma lui demandait d'être son sherpa pour gravir les collines jusqu'au signe d'Hollywood, Leo n'est pas sûre qu'elle dirait non. "J'peux commencer par t'offrir une bière ce soir", suggère-t-elle avant qu'elle ne puisse s'en empêcher, regard à présent rivé sur de la paperasse inutile qu'elle n'essaie même pas réellement de déchiffrer. Ca y est, voilà, trop tard : les mots sortent sans qu'elle ne les contrôle et il n'y a que sa tachycardie élevée à placer comme responsable. C'est plus simple que de réfléchir au pourquoi, de toute manière.
@Emma Stenberg