Je ne comprends pas Bliss, actuellement. Je ne comprends pas ce qu'elle veut, pourquoi a-t-elle besoin que je l'accompagne, où et pendant combien de temps. J'ai un peu peur, aussi, terrifiée à l'idée de me retrouver seule, perdue dans la pénombre de cet hôpital. Si les générateurs de secours lâchaient - il fallait toujours s'attendre au pire - je préférerais largement être avec tous les autres, dans la salle d'attente, que perdue dans un recoin sombre avec Bliss ; mais c'était mon amie, et je me devais de l'accompagner, question d'honneur. Elle veut aller en cancérologie, apparemment, et, immédiatement, mon sang se glace. J'y étais souvent retournée, à cette aile de l'hôpital, mais à chaque fois, un sentiment de malaise nauséabond s'éprenait de moi lorsque je me remémorais le visage de mon père mourant ... Et sa garce de fille aînée, apparue de nulle part et venue nous dérober, Jake, maman et moi, de potentiels derniers instant à passer avec lui. Que de mauvais souvenirs, en somme. Bliss se lève, marche, et, prise au dépourvu, je la suis, même si je sais pour sûr que l'atmosphère glauque ne me fera absolument pas surmonter ma tendre aversion de cet endroit.
Spoiler :
Bliss marche, au travers des couloirs, visiblement agitée, et, si certains infirmiers se retournent avec une curiosité à peine voilée pour la dévisager, ils avaient bien plus important à faire en ce temps de panne de courant que de s'occuper de la fille qui arpentait les lieux sans but apparent. J'étais derrière elle, mais elle marchait vite, et je ne voulais pas, non plus, me mettre à courir ; ainsi, elle avait une bonne longueur d'avance sur moi. Elle tourne à gauche, puis à droite, puis à gauche encore, et j'en fais de même, la trouvant, éventuellement, dans une chambre mal éclairée, devant un lit occupé et une ligne verte plate sur le moniteur noir. Mes mains se portent à mes lèvres ; je crois qu'il ou elle est morte, et j'apprends, après coup, qu'il s'agit de la mère de Bliss ... Je n'étais pas une adepte des jurons, mais en ce moment là, je n'avais qu'un seul mot à dire : Merde. Heureusement, je me retins de le prononcer à voix haute. Tentant de rester aussi calme que possible, je tente de m'approcher du lit afin d'attraper le bouton miracle dont les patients se servent en cas d'urgence, et j'appuie dessus, de toutes mes forces. Le docteur arrive sous peu, et je reste dans mon coin lugubre, à attendre qu'il annonce son pronostique à Bliss, même s'il serait sans doute identique au mien : la conclusion que sa mère était morte m'avait frappée dès le premier instant. Bliss se retourne alors vers moi tandis que le corps se faisait recouvrir par leur drap blanc pour m'annoncer qu'il n'y avait plus rien à regarder, ici. Et si je lui lance un regard compatissant, je m'en tiens à cela, sachant pertinemment, d'expérience, qu'en ces moments là, on ne voulait rien entendre, rien dire. Après, parler devenait comme une obligation. Une souffrance dont on peinait à se débarrasser. Mais pas avant.
On retourne alors au hall, et Bliss me demande de ne rien répéter, à personne. J'hoche de la tête en guise de oui, mais chez moi, cela veut une promesse à part entière. Bliss m'attrape la main et la serre dans la sienne, et si je grinçai des dents sous la surprise de la pression, je ne bougeai pas. Ma mission, ce soir, c'était d'être là pour elle. C'était tout. Helen nous demande alors si tout va bien, et j'hoche de la tête, continuant silencieusement, sur un ton presque solennel :
- Oui, elle a juste besoin d'un peu d'eau. Puis, plus fort :
Quelqu'un aurait-il de l'eau sur lui ?Les autres ont à peine le temps de réagir à ma question que déjà, une personne arrive, de l'obscurité extérieure. Née de la pénombre, celle-ci (ou plutôt, celui-ci, puisqu'il s'agit d'un homme) est armé d'un couteau. Mon réflexe initial est d'agir en sorte de bouclier autour de Bliss, qui semble toujours perdue dans sa perte ; je me détourne donc de l'homme, j'essaie de nous éloigner un peu de lui, tout en surveillant le tout d'un oeil inquiet. Helen fait son petit discours psycho-analytique, ce qui me rassure un peu ... Mais je n'étais jamais sereine en présence d'armes. Et paniquer était, évidemment, la pire solution possible, et ce, de loin.