Ich Will █ Il est un jour, une heure, une fête que certains pleurent. D'autres comme moi au contraire y célèbrent la rébellion et l'audace, la peur alors que d'autres s'effacent. J'admire cette ouverture d'esprit, j'y participe même et plus que par simple coup de tête, c'est une pure envie. C'est un trait de caractère que l'on ne me connait pas, me transformant en bête de scène l'histoire d'un soir. Nous sommes déjà début novembre et le gérant, dans sa grande bonté, nous a laissé remédier au banal par un peu d'originalité. La cours aux miracles se dévoile sous mes yeux, vague déferlante de gaieté aux couleurs acidulées, le prodigieux miracle de la renaissance étudiante à son apogée.
Et je navigue entre les bras levés au ciel, entre ses corps portés par la musique, comme priant par de vains appels , pour que ne cesse cette douce folie. Une porte droit devant s'ouvre et je suis gagné par un silence dérangeant, lourd, à en devenir rapidement pesant. Un premier sourire à la guitariste du groupe précédent et j'entame ce qui ressemble à un début de conversation intéressée.
" Bien la salle ce soir " " Pas grâce à vous" Peut-être me suis-je dès le début mal présenté mais sa remarque me fait sourire plus qu'autre chose puisque je n'aie même pas encore commencé à chanter. Sans chercher à la sortir de son indifférence, je retourne dans ma loge attitrée, une pièce désaffectée ayant pour seul aménagement une penderie et des glaces lézardées. Ce n'est pas que le confort de la propriété Toretto me manque mais un minimum aurait été apprécié. Petit à petit, Lucas, Shane et Pierce prennent place à mes cotés pour un échauffement improvisé. Mais tout ceci ne sera que de courte durée car déjà j'entends la foule échaudée applaudir le groupe passé. Le temps d'installer le matos sur scène, j'excite les premiers rangs composés principalement de groupies aux balcons échancrés. Quelques gammes, le temps que les gars se mettent en accord et j'en annonce la teneur, les accompagne dans le délire qui nous rassemble
" I'm the man in the box buried in my shit, won't you come and save me, save me...."La chaleur des spots, l'effort inconsidéré pour réaliser l'intonation souhaitée, changer de gamme à cette rapidité... Une seule chanson et j'en perds haleine, mon t-shirt détrempé par la sueur me gène. Les dernières notes s'échappent de mes lèvres quand je souris et m'arrête la bouche entrouverte. Elle ne nous aura pas lâché du regard, la guitariste croisée dans le couloir, envieuse mais quelque part blasée dans son regard. Elle me défie en me rabaissant inconsciemment, chose que je n'accepte pas facilement. J'en reviens à mon public, micro à la main, réfléchi et décidé à ne rien laissé passer.
" On voulait ne vous interpréter que du Alice in Chain ce soir... ". Beaucoup d'entre eux restent interdits face au temps de pause, et je me retourne, face à mon bassiste, sous le regard de la dite guitariste qui toujours nous épie.
" Mais on m'a fait comprendre que serait trop simple. Alors comme c'est Halloween..." Quelques consignes murmurées à Lucas et le groupe s'apprête à répondre au défi pendant que j'invite deux créatures sataniques sur la scène. Choisies dans la foule parmi mes connaissances du campus, ce sont deux étudiantes en danse qui m'aideront à coup sûr de part leur grâce et leur audace, à gagner en audience. La basse résonne soudain sur les airs de System, le thème phare d'un film vampirique que nous revisiterons au fil des minutes. Emporté par les chants oniriques, je laisse l'une d'entre elle me dévêtir et profiter de mon impuissance pour m'aguicher, caressant mes sens de sa langue, glissant ses jambes aux collants effilés entre les miennes. Je me prends au jeu, curieux de voir ce que donnerait sa voix mêlée à la mienne, son rire mielleux y résonnant à merveille. Le couple détonnant se donnera en spectacle durant dix bonnes minutes, des minutes qui défilèrent trop vite à mon gout. Remerciant une dernière fois notre auditoire, nous quittons l'estrade et à notre petite loge, je préfère me noyer dans la foule dans l'espoir d'y retrouver cette créature cornue qui me fit tant d'effet. Et tandis que je me débats, bousculant des corps, repoussant des bras, je pense un instant en entrapercevoir la chevelure ondoyante quand une chose s'oppose à moi.
« J’ai besoin d’aide, je crois. » Je pose mes yeux sur cette gamine insignifiante, ridicule d'apparence, qui me freine dans mes avances.
Oui mais pas de suite. Au nombre d'alcooliques dans la salle j'en déduis que son cas est, parmi tant d'autres, sans intérêt, sans importance. Mon regard se replonge là où m'était apparue la belle ingénue, mais bercé par des désillusions, j'abdique, elle a bel et bien disparue. Soudainement je suis ramené à la réalité par un poids mort me tombant dans les bras.