Remember that night (+) JERSEY

Remember that night

Neuf heures du matin. Ma première heure de cours, la plus difficile. Je ne suis pas du matin, un lève tôt comme certains disent, j’ai du mal à émerger. Et même devant mon amphithéâtre bondé, je me frotte le visage pour réveiller ma peau endolori, je baille tout en amorçant un exercice moins soporifique qu’une analyse classique de texte. « Sortez tous une feuille, je veux que vous rédigiez un court texte sur un sentiment de votre choix … Détaillez le, explorez le, lecture dans trente minute … ». Me rasseyant à ma place, je sors moi aussi une feuille de papier et ma plume pour me mettre à écrire. Etant professeur, modèle, c’est presque une évidence pour moi de réaliser les travaux que je propose. Un silence s’installe dans la grande salle d’un style ancien. Les élèves se concentrent et tous semblent prendre part à l’exercice que je viens de proposer. C’est quelques minutes plus tard que la porte de l’amphithéâtre s’ouvre dans un fracas forcément remarqué. Machinalement, je tourne la tête et remarque une blonde aux jambes interminables et au visage familier. Nos regards se croisent, elle me reconnait, tout autant que je la reconnais. Ce n’est qu’un souvenir, un souvenir d’une nuit chaude et haletante que j’ai cru rêver. La jeune femme ne m’a jamais rappelé, elle ne m’a jamais donné signe de vie et en plus, le numéro qu’elle m’a donné s’avérait être celui d’un homme dénommé Bobby. J’avais fini par croire que j’avais trop bu, que tout ça n’était pas réellement arrivé. Mais à en croire son regard sur moi, cette chaleur qui se diffusait dans mon corps, ça ne pouvait qu’être réel. « Entrez et asseyez vous, vous avez du retard ». Je ne l’ai jamais vu dans ma salle de cours et cela m’étonne de la voir déboulée à cette période de l’année dans mon cours, mais avec les différents cursus, cela n’est pas improbable. Alors je lui somme de s’asseoir, ici c’est moi le professeur, c’est moi l’autorité et je me réjouis d’avoir ce petit pouvoir sur elle, d’inverser les rôles. « Sortez une feuille, l’exercice est d’écrire un texte sur le sentiment de votre choix … ». Elle me donne envie d’écrire sur un sentiment particulier, la peur peut-être ? La voir ici, en tant qu’étudiante n’annonce rien de bon, je pourrais avoir des problèmes si notre petite partie de jambe en l’air venait à se savoir. Mais voilà, si c’était à refaire, je savais que je voudrai que recommencer. Alors j’écris, sur ce sentiment bien plus fort qu’est la passion tout en lui lançant de rapide coups d’œil qui se voulait discrets.

Remember that night

Tout n’était que question d’organisation, rien de plus et pourtant, pour la jeune femme toujours un minimum précise que j’étais il devenait de plus en plus difficile de concilier les longues heures de service à l’hôpital et les cours. En réalité il n’y avait qu’un seul jour qui posait problème et c’était bien le lundi, pourquoi ? Parce que le dimanche j’étais de nuit, je passais donc l’ensemble de la nuit à m’occuper des patients qui en avaient besoin, des urgences qui, hier soir avaient accueilli une vingtaine de patients à cause d’un carambolage. Je m’étais donc retrouvée avec beaucoup de pain sur la planche et j’étais sortie de l’hôpital à dix minutes du début de mon premier cours de la journée. Pas le temps de petit-déjeuner même si je crevais de faim, pas même le temps de faire autre chose que de se retoucher rapidement le maquillage pour avoir l’air présentable, ce que j’étais loin d’être. Vêtue d’un jean slim et d’un vulgaire t-shirt à motifs arrivant volontairement au niveau de mes cuisses. Je ne savais même pas dans quel amphithéâtre est-ce que je devais pour me rendre à mon cours magistral, je m’étais donc empressée de suivre mon instinct pour rejoindre celui qui, d’après mes souvenirs abritait le cours de médecine auquel je devais assister. Je ne m’étais pas trompée, j’avais juste oublié de noter que nous avions un changement temporaire d’amphi pour les deux semaines à venir. Arrivant avec autant de discrétion qu’un hippopotame faisant une bombe dans une piscine je n’avais pas tout de suite regardé qui était le professeur qui était déjà en train de dispenser en cours. Ce n’est qu’en arrivant à sa taille, de manière à ne plus avoir la possibilité de me retourner que je fis cette surprenante découverte, non sans surprise et effroi. Le professeur qui était en train de faire cours ne m’était pas inconnu, pas du tout même puisque je lui avais arraché ses vêtements comme une lionne bondissant sur sa proie pour qu’il me fasse l’amour il n’y a pas si longtemps que ça. J’avais pris du plaisir bien entendu mais… On va dire que je n’en gardais pas forcément le plus gros souvenir de ma vie et c’est pour cette raison que je lui avais donné un faux numéro en quittant son appartement, histoire de ne plus avoir à retomber sur lui. Problème ? Il se trouvait à présent face à moi, en position de dominant. « Entrez et asseyez vous, vous avez du retard » Je n’avais aucune idée d’où je me trouvais, m’installant à une place vacante au premier rang sans faire trop de bruit je m’étais permise d’aborder une étudiante qui se trouvait à côté de moi. « Excuse-moi… On est en cours de quoi ? » La jeune femme marqua un arrêt, comme si elle venait d’être mise sur pause avant de daigner me répondre. « En lettres ! » Oh putain, je n’étais pas la meilleure des étudiantes là-dedans, je voulais devenir médecin et je n’avais du coup pas vraiment eu l’occasion de bénéficier de tels cours dans mon cursus, ça ne m’intéressait pas totalement qui plus est. « Sortez une feuille, l’exercice est d’écrire un texte sur le sentiment de votre choix … » Je n’allais pas me relever, déranger tout le monde en trouvant une excuse bidon, c’est donc résignée que je m’étais installée plus confortablement après avoir sorti une feuille et mon stylo bille. Je savais déjà sur quoi j’allais écrire, la frustration et il me suffisait de jeter un œil au professeur pour trouver les exemples illustrant parfaitement le sentiment.

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Remember that night

La jeune femme semblait perdue, tout du moins perplexe. A en croire son attitude, elle ne devait certainement pas se trouver dans mon cours ce matin. Je ne savais pas dans quel cursus elle était étudiante, je ne savais même pas avant ce matin qu’elle était étudiante … A vrai dire nous avions beaucoup plus agit que parler la dernière fois que nos chemins s’étaient croisés. Et les peu de mots que nous nous étions échangés se résumait à des gémissements torturés. J’étais mal à l’aise de la voir ici, même si notre histoire n’avait rien eu à voir avec l’université. Mais hors de question de la laisser s’échapper. Maintenant qu’elle était là, je la tenais. La jeune femme ne m’avait pas rappelé suite à la nuit que nous avions passée ensemble, elle m’avait même filé un faux numéro. Autant dire que mon égo en prenait un coup depuis quelques semaines avec les femmes. A son air résigné, j’avais aisément compris qu’elle jouerait le jeu, simplement pour ne pas déranger mon cours encore une fois. Elle avait donc sorti une feuille de papier et un stylo pour commencer l’exercice que j’avais lancé à l’amphi. J’avais laissé une demi-heure aux étudiants pour coucher sur papier ce que leur inspirait le sentiment de leur choix. Certains avaient déjà relevé la tête, d’autres grattait toujours le papier. « Bon, le temps est écoulé, on va passer à la lecture ». Je me levais de mon siège, ma feuille à la main pour me mettre devant mon bureau et m’appuyer légèrement contre ce dernier. J’avais pour habitude de me lancer le premier, ça avait le don d’encourager les élèves à poursuivre. Personne ne voulait jamais être le premier lecteur. « Je vais lire mon texte, puis les ceux que le souhaiteront poursuivront ? ». Question rhétorique. Je zieutais quelques élèves au hasard dispersé dans l’amphi puis m’éclaircissait la gorge pour commencer la lecture de mon essai. « Un regard, un regard qui parle, plus explicite que des centaines de mots. Un souffle, le premier souffle, haletant, hésitant, déstabilisant, le souffle qui libère les poumons, autant qu’il les oppresse, les écrase de somptuosité. Un contact, deux êtres qui se rencontrent physiquement, un choc, une alchimie, la peau qui s’éveille, le cœur qui s’emballe … Je suis la passion, je la vis, je la ressens ». A la fin de ses mots, mon regard n’avait pu s’empêcher de croiser celui de Jersey. Entre envie et incompréhension, je l’interrogeais du regard. Pourquoi ? N’avait-elle pas passé une bonne soirée avec moi ? Je me sentais con, humilié de la revoir. Baissant les yeux vers le sol, je me rendais compte qu’un silence c’était installé dans la salle. Immédiatement, je laissais la parole aux étudiants qui le souhaitaient. L’amour, la haine, la colère, l’humiliation, la joie, plusieurs sentiments furent abordés. Des textes parfois très bien ficelés, transcendants. Mon regard se dirigea de nouveau sur la blonde, plus revanchard. « Mademoiselle la retardataire, vous allez peut-être nous faire part de votre écrit … ». Ce n’était pas vraiment une question, plutôt une injonction. Tout l’amphi la regardait, elle n’avait pas vraiment le choix.[/color]

Remember that night

Personne n’allait me venir en aide ? Une quelconque divinité ne passait-elle pas dans le coin pour me sortir du merdier dans lequel je m’étais engouffrée ? A trop jouer avec le feu on finissait par se brûler et cette fois-ci je n’y échapperais de toute évidence sous aucun prétexte. C’est donc résignée que je m’étais installée autour des étudiants prête à suivre un cours qui ne m’intéressait pas et qui, comme si tout n’était déjà pas suffisamment gênant, était de plus animé par l’une de mes dernières conquêtes en date. Je ne pouvais que sentir son regard sur moi lors des trente minutes qui furent peut-être les plus longues de ma vie. J’étais mal à l’aise face à lui, n’ignorant pas que j’étais celle qui lui avait fourni un faux numéro qui, avec un peu de malchance aurait été un bon numéro pour un ou une inconnue dont j’ignorais tout. Comment vous dire que je n’avais pas pour habitude de donner mon numéro à n’importe qui ? Oui il n’était peut-être pas n’importe qui puisque nous avions couché ensemble mais je voulais éviter tout contact autant que possible avec mes conquêtes, surtout lorsque je ne prévoyais pas plus qu’une aventure d’une nuit comme ça avait été le cas pour Adam. La demi-heure s’achevait péniblement et je m’étais prêtée à l’exercice sentant que le vent n’avait pas encore suffisamment tourné et que je risquais de subir une interrogation qui aurait pour effet de m’humilier si je m’étais contentée de faire comme si je préparais quelque chose uniquement. « Bon, le temps est écoulé, on va passer à la lecture » Génial, et si je profitais de ce moment pour filer à l’anglaise ? Bonjour la discrétion que j’allais créer en faisant cela… Fausse bonne idée, j’étais donc condamnée à subir encore un peu plus de temps le cours du beau blond. « Je vais lire mon texte, puis les ceux que le souhaiteront poursuivront ? » Croyait-il vraiment qu’il y aurait des volontaires ? Qui serait assez fou pour lire à haute voix un texte très personnel devant deux-cent personnes ? Certainement pas moi. « Un regard, un regard qui parle, plus explicite que des centaines de mots. Un souffle, le premier souffle, haletant, hésitant, déstabilisant, le souffle qui libère les poumons, autant qu’il les oppresse, les écrase de somptuosité. Un contact, deux êtres qui se rencontrent physiquement, un choc, une alchimie, la peau qui s’éveille, le cœur qui s’emballe … Je suis la passion, je la vis, je la ressens » Comment ne pas me sentir concernée ? Je ressens chacune de ses paroles et il est vrai que cela éveille en moi quelques petits souvenirs hélas dénoués de nostalgique, ce qui le desservait depuis le début d’ailleurs, le manque d’un souvenir de taille qui m’aurait marqué au fer rouge. Je n’étais définitivement plus à l’aise dans cette pièce, je devais trouver une porte de sortie au plus vite, il en était de ma survie. « Mademoiselle la retardataire, vous allez peut-être nous faire part de votre écrit … » Je le sentais venir, il pensait avoir gagné la partie ? Il cherchait la douleur, peut-être était-il sadomasochiste ? Je n’allais pas me gêner pour lui fournir ce dont il avait besoin dans ce cas. « Pendant un moment tu crois ne pas t’être trompée, tu es assise, tu admires en toute indiscrétion cet homme qui se tient devant toi, qui parviens à te charmer à l’aide de mots, d’une attitude qui ne te laisse pas insensible. Tu frémis d’impatience, tu revois tes attentes à la hausse pour finalement décrocher les étoiles… Les étoiles brillant pourtant dans le ciel et apparaissant comme une promesse de plaisir intense ne sont finalement qu’illusion et le ciel bleu s’assombri face à un sentiment d’avoir été cruellement déçue, d’avoir trop valorisé ce qui au final apparait comme quelconque… Je suis la frustration ! » Qu’il y interprète le message de son choix, je ne pouvais pas être plus franche.

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