A toute vitesse, mes doigts pianotent sur le clavier tactile de mon téléphone portable fendant le silence à violent coup d’ongle sur le plastique. J’ai des problèmes Yaël, faut que tu viennes, viens tout de suite me chercher je t’en supplie. J’ajoute l’adresse et mon pouce vient presser la touche d’envoie. Non, je ne le connais pas tant que ça, nous ne sommes même pas amis, du moins, il m’est impossible d’imaginer qu’il ait de quelconque sentiment d’amitié envers moi, tant créer ses liens m’est difficile, voir impossible. Non, je ne compte pas sur ses sentiments d’amitié pour moi, je compte sur sa conscience parce qu’il m’est simplement impossible d’imaginer que sa motivation soit autre. N’est-il pas flic après tout ? Ces types là ne résistent pas à la détresse. Sans gênes, sans hontes, je le manipule. Parce que c’est bien le seul moyen pour le voir, parce qu’il m’évite et que je sais, je sais à l’avoir longuement observé, qu’il viendra. Alors, petit à petit, j’ai tissé ma toile autour de lui, ce soir ma proie glissera lentement jusqu’à moi. Je l’attends sagement au centre pour jeunes en difficultés, dans lequel on s’est rencontré et fermé à cette heure tardive de la nuit. Assise en tailleurs sur le piano auquel il a l’habitude de jouer, quel endroit plus approprié ? J’entends au loin des bruits de pas, taper contre le béton et instinctivement un sourire malsain naît sur mon visage. J’ignore pourquoi, j’ai ce besoin, impulsif, dévorant, de pousser encore et encore des individus dans leurs retranchements, dans le pire d’eux même que je trouve étincelant. Soumise à mes pulsions, soumise à ce moi que je déteste mais qui prend l’avantage, je serre le petit paquet en plastique enfermant ses cauchemars, ses démons en une fine poudre blanche entre mes doigts caché dans le fond de mon sac. Et lorsque son visage pale apparait, livide sous les néons blancs de la pièce, mon sourire disparaît pour ne plus afficher qu’un rictus. « C’est difficile de te voir en ce moment … ». Lâché-je d’une voix non accusatrice. A présent, il est ici, avec moi et je n’ai aucune envie de le faire fuir … Au contraire, j’ai beaucoup d’autres projets le concernant pour la soirée.