Noyé dans le brouhaha. Plongé dans l'obscurité. Perdu dans le vacarme. Isolé dans le noir. Autour de moi, tout le monde s'amuse. Autour de moi, tout le monde danse. Je les regarde tous, avec leurs sourires niais et leurs mines euphoriques. Saouls. Ivres morts. Les imbéciles. Ils s'imaginent sans doute que c'est la meilleure soirée de leur vie ; que l'année annoncée à minuit sera meilleure que celle qui vient de s'écouler. Je les vois déjà venir, avec leurs bonnes résolutions et leurs projets d'avenir. Je les vois arriver, le sourire aux lèvres, et moi, je n'aurai pas d'autre choix que de leur sourire à mon tour alors que je sais, intérieurement, qu'ils vivent un rêve d'imbéciles. Il n'y a pas de meilleure situation pour la race humaine. Le bonheur n'existera jamais de façon permanente : il s'agit uniquement d'une instance éphémère suffisante sur le coup mais insuffisante sur le long terme. Un mensonge que l'on se raconte pour atténuer la douleur. Une invention créée pour masquer la tristesse fondamentale de la condition humaine. Je les méprise, tous présents. Je les vois, assoiffés de leur bonheur, espérant une vie meilleure et je ne peux que me dire que ce sont des idiots. Même Lennox, mon meilleur ami, m'a l'air abruti par l'influence de l'alcool. Au fond de la salle, voilà qu'il est en train de se trémousser avec deux écervelées aussi vulgaires que stupides. Je m'en veux d'avoir accepté de le suivre ici, ce soir, d'ailleurs, alors que tous mes instincts m'avaient pourtant fait savoir que ce n'était pas une bonne idée ... Et pourtant, face à ses prunelles bleues suppliantes, face à son ton implorant et sa réticence à sortir seul, j'avais cédé. "Allez, viens." M'avait-il dit. "Ça te fera du bien." M'avait-il dit. Et comme un imbécile, je l'avais cru. Maintenant, il est vingt-trois heures quarante et je n'attends que le décompte avec impatience afin de pouvoir me barrer d'ici et rentrer chez moi. Un boutonneux à lunettes rouges me parle depuis dix bonnes minutes de World of Warcraft et j'hoche silencieusement de la tête, incapable de prêter attention aux moindres de ses mots. Assis sur un fauteuil, je m'ennuie dans ma dépression et je prie intérieurement pour que quelque chose ne vienne égayer ma soirée. Avant, j'avais au moins James ... Maintenant, je n'ai plus rien, hormis mon frère, Fabio, et autant que je l'adore, c'est une bien faible consolation, avouons le. Je ne pars cependant pas, par respect pour Lennox. Depuis le temps que nous sommes meilleurs amis, il en a fait, des choses pour moi ... Et bien que je m'ennuie à mourir, je lui dois bien ça en guise de rétribution pour tout ce qu'il a apporté à ma vie. C'est ça, aussi l'amitié. C'est faire des compromis et des concessions, parfois. J'aurais simplement préféré que ceux-ci soient plus agréables à effectuer que la lourde tâche d'observer une troupe d'alcooliques anonymes occupés à oublier leurs prénoms.
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