T'as rien réussi. Ni à savoir depuis combien de temps ton frère joue les caïds de bac à sable, ni à connaître l'adresse de résidence de cette petite blonde malfaisante, ni à mettre le doigt sur la nature exacte de leur relation. Tout ce que t'es parvenu à extorquer à ton frangin c'est un nom de famille : Wallace. T'en as déduit qu'elle devait bien avoir des parents, de la famille, un tuteur à qui tu pourrais t'adresser pour éviter qu'elle continue à solliciter Tiago. Pour éviter qu'elle n'encourage son trafic ridicule. Pour éviter qu'elle ne s'empoisonne par la même occasion. En moins d'une heure t'as déniché un numéro dans le nord appartenant à son frère, et tu t'es pointé à l'improviste. Alors t'es là, planté dans le couloir, scrutant le chiffre cloué sur la porte du fameux Wallace avec instance avant de te décider. Tu toques, des petits mouvements secs et brefs, et t’attends sans bouger un cil malgré ton impatience. T'ignores totalement si tu vas tomber sur un type indifférent, accablé ou amusé. Tu te demandes à quoi il ressemble, le frère de la mauvaise graine. Tu l’imagines petit, blond, gringalet avec de grands yeux bleus. Tu l’imagines la sclère rougie, une clope entre les lèvres et mal rasé. Négligé, perché. Une version masculine de Maggie, fragile mais culotté. Et devant les minutes qui s’égrènent tu t’impatientes, tu tapes du pied, tu grognes. Tu frappes une nouvelle fois, des coups plus marqués, plus forts, plus agressifs. Mais toujours rien. La déception t’envahit et tu soupires en mordillant ta lèvre. T’es sur le point de te résigner, de retourner chez toi bredouille, de te rendre à l’évidence : l’appartement est vide. Ton corps esquisse même un mouvement de recul mais se fige subitement, alerté par un bruit. Tu retiens presque ta respiration, collant ton oreille et tes mains contre la peinture, silencieusement. T’es convaincu d’avoir entendu quelque chose. Un bruit de pas, une toux, un mot, la chute d’un objet, un claquement de porte. Tu ne sais pas vraiment, mais l’espoir renaît. L’existence d’un animal de compagnie ne t’effleure même pas l’esprit, pour toi c’est forcément un être humain qui t’ignore volontairement. Alors tu te creuses la cervelle pour trouver une astuce convaincante, et tu n’as pas besoin de chercher très longtemps dans tes souvenirs pour dénicher une ruse satisfaisante. « Police, ouvrez la porte ! » Tu gueules presque façon ‘reportage choc’, assénant de nouveaux coups bruyants. Tu ne perds rien à tenter, peut-être que personne ne vient t’ouvrir parce que le frangin est un obèse affalé dans son canapé et qu’il préfère fixer l’écran de télévision plutôt que de se déranger pour un parfait inconnu. La police ça fait autorité, la police ça peut l’obliger à se lever. D’un autre côté, tu crains de l’avoir dissuadé alors qu’il était sur le point de toucher la poignée, et tu l’imagines désormais se glisser par la fenêtre pour t’échapper. Parce qu’étant donné que sa sœur est une consommatrice régulière de drogues, tu te dis que le frère a lui aussi probablement un tas de choses à se reprocher. Ouais, c’est carrément l’hôpital qui se fout de la charité au vu la liste de tes activités illégales qui défie toute concurrence, mais peu importe, tu es d’une mauvaise foi à peine croyable et tu l’assumes. Manquerait plus qu’il s’écrase sur le bitume en essayant de fuir une chimère et que t’aies un mort sur la conscience, ce serait le dénouement parfait d'une journée axée sur l'échec.