Elle pouvait entrevoir que ça ne lui plaisait pas. Elle pouvait le comprendre. Non seulement il avait autre chose à faire selon ses dires et son emploi du temps tout court mais en plus, et bien qu'Arwen semblait maîtriser son langage et qu'elle gardait un ton poli, il n'était jamais agréable de recevoir une personne dans son bureau surtout lorsque celle-ci vient pour se plaindre. C'est exactement ce que la jeune femme était en train de faire. Elle ne se plaignait pas des conditions de travail mais du travail tout court. Elle qui avait dut gérer des étudiants en droit en stage dans son propre cabinet, elle savait très bien ce que c'était. Ce n'est pas toujours facile de donner un travail à faire à une personne qui n'en a pas la capacité, mais comme elle lorsqu'elle était étudiante en droit et comme elle lorsqu'elle était maître de stage à son tour, elle savait que les étudiants ne cherchaient qu'une chose: apprendre pour s'améliorer. Et Arwen, de retour à la case stagiaire, avait de nouveau envie de ça, d'apprendre, de comprendre, de s'améliorer, d'enregistrer et de progresser. C'était ça le processus d'un stage. Prendre en confiance dans un travail bien fait, digne d'un salarié de l'entreprise mais pour cela, il fallait passer par l'apprentissage. Et ici, elle n'en avait pas. On la laissait s'entraîner certes, on lui donnait un avis, aussi. Mais on la conseillait pas. C'est trop romancé pour être un article. Oui et après? Comment était-elle cesser s'y prendre? Elle devait faire moins romancer, c'était une évidence mais comment? Elle avait besoin des clés pour y arriver, ce qu'on refusait visiblement de lui donner. « Je n'en attends pas moins de vous. » De ne pas être un ange, de ne pas la caresser dans le sens du poil. Elle avait appris au fil des jours qu'il n'était pas comme cela et elle n'était pas en droit de lui demander de changer sa façon de faire. Au contraire, la fermeté ne serait que bénéfique, mais quitte à être ferme, elle en attendait un peu plus de la part d'un maître de stage envers son stagiaire, que ce soit elle ou un autre d'ailleurs. Comme par exemple de l'aide ajoutée à une explication mais ils n'avaient visiblement pas la même façon de penser et c'était probablement là tout le cœur du problème.
Ne le lâchant pas du regard elle observait ses faits et gestes mais surtout elle l'écoutait. Attendez, il était sérieux là? Le léger froncement de sourcils d'Arwen laissait savoir que ce qu'il venait de dire ne la satisfaisait pas. Il doutait pouvoir la rendre plus compétente dans le sens où il l'entend. Mais que faisait-elle là alors au juste? Il lui semblait pourtant qu'un maître de stage est là pour former plus ou moins les stagiaires, pour leur apprendre à se plier aux bases du métier et il était en train de dire qu'il doutait être capable de cela avec elle? Alors pourquoi l'avoir acceptée? Elle ne disait rien, peut-être qu'elle devinerait où il voulait en venir une fois qu'il aurait fini de parler, elle l'espérait en tout cas. Toujours positionnée en face de la porte, elle écoutait le moindre de ses mots tandis qu'il posait ses ébauches sur le bureau. Tiens, ils étaient encore en vie eux, étonnant... Elle imaginait plutôt Reed comme une personne quasiment sans pitié qui, le soir venu, se défoulait en brûlant les papiers insatisfaisant, mais visiblement ce n'était pas le cas. Le regard d'Arwen allait et venait entre ses ébauches et le regard de monsieur Gallagher. « Dans ce cas je vous retourne la question. Pourquoi m'avoir acceptée dans votre équipe si je n'ai rien à y faire? Il me semble avoir passé un entretien et l'avoir obtenu, c'est que vous aviez un minimum de confiance aussi bien en moi qu'en vous pour faire de moi autre chose qu'une romancière. » Son regard fixait soudainement les ébauches qu'il avait toujours sous la main. « Et si je peux me permettre vous l'avez dit vous-même. Ce sont des ébauches. Des ébauches qui peuvent se travailler, s'améliorer un tant soit peu si on me donne les clés pour le faire. C'est tout ce que je demande. » Qu'on lui explique ce qui ne va pas c'était fait. Ce qu'elle voulait c'était des explications ou peut-être même des exemples pour qu'elle puisse régler ce problème et l'éradiquer de ses écrits. Finalement elle tentait le tout pour le tout. S'approchant du bureau, elle attrapait la première ébauche du tas, celle qui concernait la psychose des américains face à Ebola avançant chaque jour et faisant de plus en plus de décès dans son pays de propagation. « Pour répondre à votre question, je suis ici pour apprendre. Un bon romancier ne doit pas être seulement ça. Il doit être capable de maîtriser tous les styles, même les plus courts, les plus concis et précis qu'il peut y avoir. Voilà ce que je fais ici. » Et parce qu'il fallait l'avouer, être romancier à succès c'était un coup de chance et de buzz et si elle n'avait pas cette chance, elle comptait se rabattre sur un métier d'écriture comme le journalisme. Attrapant un crayon rouge sur le bureau de Reed, elle lui tentait d'une main tandis que l'autre abattait son ébauche sur le bureau. « Vous êtes un professionnel, vous savez ce que vous voulez. Je suis sûre que dans la vingtaine de minutes qui vous restent vous êtes capable de me dire ce qui pose problème mais surtout comment régler ça. C'est bien beau de lire et relire, de dire ce qui va pas, mais si vous voulez mieux, va falloir m'expliquer quoi faire et comment. Je peux rien faire ni m'améliorer si on me donne pas les clés en disant ce qui est nécessaire et ce qui ne l'est pas pour avoir un bon article. » La proximité entre les deux protagonistes, le ton calme mais motivé qu'elle empruntait, ne laissaient aucun doute. C'était à prendre ou à laisser mais il pouvait être convaincu qu'elle ne lâcherait pas le morceau.