Pink or blue
AARON CAMPBELL & SHAE M. ANTONELLI
Peut-être est-ce le fait de porter cet enfant, tout un symbole d’avenir. Toutes nos discussions portent précisément sur le futur, sur ce que nous allons faire ou plutôt sur ce que nous allons devoir faire. Passer Noël à l’hôpital, rencontrer sa mère, préparer une chambre … Des choses qui m’effraient, qui me paralysent et pourtant … Il ne suffit que d’un regard, d’un sourire, d’un baiser de sa part et tout s’envole, tout s’évapore. Les doutes, les frayeurs, tout se dissout et disparaît. Seul reste le bonheur. Le bonheur de construire quelque chose avec lui. Avec cet homme que j’aime plus que tout au monde et dans lequel je me perds, je me fonds. Nous pourrions être dix dans cet ascenseur, je ne voyais que lui. Lui seul, jusqu’à ce qu’un homme me percute et me fasse lever la main par réflexe devant moi. Peut-être est-il pressé, peut-être n’a-t-il pas fait attention et pourtant, aucun mot, aucune n’excuse ne s’échappent de ses lèvres. Aaron me demande si tout va bien. « Oui ça va ». Mes sourcils se froncent sur mon front. Mais avant que je n’aie le temps de dire quoi que ce soit, le photographe lui fait remarquer son manque de correction. Immédiatement, je sens une certaine tension s’emparer de lui. Il n’est pas cordial, il n’est pas poli, il est énervé. Ce qui n’empêche pas l’inconnu de se tourner vers nous avec dédain et de s’enfoncer dans l’impolitesse et le mépris le plus total. « Excusez-moi ? ». Choquée par sa réponse autant que par sa façon de parler, je m’avance et me plante devant lui pour qu’il me regarde, lui qui ne semblait même pas vouloir nous accorder quelques secondes de son attention. « Vou… ». C’est d’abord cette vague qui me serre la gorge, une odeur d’alcool, d’alcool fort qui suinte de chacun de ses ports, qui jaunie ses yeux, ses dents et qui gonfle son visage. Puis ce visage, que je revois dès lors que je tourne la tête vers Aaron. La même mâchoire, le même front imposant. Les mêmes yeux, bien qu’un regard totalement différent. La même dentition mais pas un sourire. Mon dieu. Ce visage qu’il arbore, détruit par la haine et l’alcool. C’est celui d’Aaron. Mon cœur se paralyse dans ma poitrine, mon regard se braque contre celui de mon petit ami qui semble perdu, perdu dans un monde du passé, un monde de terreur et de violence. « Qu’est-ce que vous avez à m’faire chier à la fin ? ». Il aboie. Je sursaute. Son regard perçant s’inscrit dans mes prunelles, me pétrifie. Il la porte, il la porte dans ses yeux, la violence, la haine, le dédain, le mépris. Comment cet homme, comment un père peut-il parler ainsi d'un enfant … Si différent, il est si différent … Je recule d’un pas, mon dos frôle Aaron. Inconsciemment, je cherche à faire barrage, à le cacher pour que son père ne le découvre pas, ne le reconnaisse pas bien qu’il fasse une tête de plus que moi. Inconsciemment, je cherche à protéger le petit garçon qu'il était et qu'il redevient face à cet homme. Qu’il parte, qu’il continue de cracher, d'haïr, de mépriser. Aaron n’a pas besoin de ça, nous n’avons pas besoin de ça. Et comme pour le faire revenir sur terre, pour le rassurer, mes doigts viennent s’enlacer contre les siens. Aaron reviens avec moi, je t'en prie …