"Crève en silence ce sera plus beau." ▬ Hiroki.

Mon cœur s’est emballé, trop vite, trop fort, j’ai perdu ma respiration, j’ai cru que c’était bon. J’ai tenté de rire, de rire aux éclats, de faire comme si c’était rien, qu’après tout ça ne devait se passer comme ça. Mais le rire m’a quitté, l’espoir aussi c’est vrai. Je me souviens de mon père qui m’a pris dans ses bras, il n’a pas appelé d’ambulance, n’a pas appelé les urgences. Deux jours que je suis là, en convalescence ou je ne sais quoi. Hier je n’avais pas le droit de me lever, aujourd’hui les battements se sont stabilisés. On n’est passé près du coma, c’est ce qu’ils ont dit quand j’ai ouvert les yeux et qu’ils ont expliqué le tout à papa. « Violet, si tu ne fais pas plus attention, tu mourras. » Ils ne prennent plus de pincettes, depuis quelques temps déjà. Mais j’ai hurlé, je leur ai demandé sans arrêt si je pouvais faire quelques pas. Sortir de ma chambre, faire comme si tout allait bien, comme si je n’étais pas un cadavre ambulant. Je veux juste avoir le droit de faire encore semblant. Après plusieurs négociations, j’ai eu le droit, je voulais fumer, mais ça ils n’ont pas accepté. Alors j’ai choisi de m’aventurer jusqu’au distributeur, et c’est donc derrière un homme que j’attends, en robe d’hôpital, j’ai quitté mon fauteuil roulant, pour ça aussi j’ai bataillé, mais je ne voulais pas me dire qu’on allait me voir comme ça, je garde ma fierté, malgré tout, malgré moi. Je soupire une fois, deux fois, impatiente pour rien, si ce n’est pour l’embêter. Quand il se retourne, je lui souris et d’une petite voix je lui dis « Je suis mourante et je n’ai pas d’argent. » Faire pitié j’ai horreur de ça, mais parfois ça me fait rire, juste comme ça.

Il marche dans les couloirs en boitant, une main bandée, comme sa cheville, des bleus et égratignures un peu partout sur la face et les mains. Il soupire doucement, il est pâle, il a dû mal à se remettre de tout ça. Elle est réveillée, oui, mais elle est amnésique. Le cauchemar recommence. Il ne sait pas comment il va bien pouvoir affronter encore ça. Il ferme ses yeux doucement avant de s’arrêter et de se laisser doucement retomber contre un mur pour s’y tenir. Il est épuisé. Il est à peine rentré à la maison pour se doucher, dormir une heure, manger deux grammes et repartir ici au plus vite, comme il l’avait fait avant avec sa mère. Il ne tient cependant plus assez bien debout et de la caféine serait vraiment la bienvenue. La machine est au bout du couloir, c’est presque trop loin pour lui. Il traîne de la patte avec ses écouteurs sur les oreilles et se décide à les retirer sans couper la musique pour autant. Ed Sheeran continuera à chanter sans auditoire de toute façon. Il s’y retrouve enfin et s’arrêter avant de sortir son portefeuille de sa poche et de fixer tout ça dans une petite moue légèrement boudeuse. Il en prend un noir bien sucré avant de poser son front contre la paroi fraîche de la machine. Un frisson lui secoue l’échine. « Je suis mourante et je n’ai pas d’argent. » Il tourne doucement sa tête en pensant à une mauvaise blague, mais quand il voit la demoiselle, il en a le souffle légèrement coupé. Elle est belle, jeune, comment peut-elle être mourante ? Il se remet un peu plus droit et la toise depuis sa petite hauteur avant de prendre un billet de 10$ et de lui donner. Après tout, il ne sait pas ce qu’elle veut et comme ça, elle pourra s’en reprendre plus tard. Il attrape sa boisson prêt à s’en aller quand il voit le fauteuil pas loin d’eux et comprend que c’est le sien. Son regard sombre se plante alors dans le sien, il récupère le billet et lui met dans une petite poche avant d’insérer des pièces dans la machine. « Vous voulez quoi ? » Elle aura besoin d’aide pour retourner à sa chambre de toute façon. Il peut bien l’aider.

Mon visage s’incline lorsque j’attends une réaction de sa part, pour dire vrai, je pense qu’il va faire comme le monde entier, quand on sait qu’une personne est malade on se met de suite à la plaindre, à se dire que ce n’est pas juste et que la vie devrait être autrement. Alors oui, j’attends cela, mais le fait est que dans un premier temps, il se contente de me tendre un billet, et grâce à la surprise qu’il m’offre j’ai envie de le remercier, mes paupières se plissent et je m’apprête à me débrouiller seule pensant qu’à présent qu’il a fait sa BA de la journée, il va filer. Mais le voilà à nouveau face à moi, et les tuméfactions qu’il porte au visage me choquent quelques secondes. Je me demande en détournant le regard pourquoi il reste là, mais je comprends bien vite que mon fauteuil a parlé pour moi. Alors si je pensais pouvoir rire un peu, m’amuser, j’avais tort, parce que j’ai déjà mal à l’estomac quand je réalise qu’il agit comme le monde entier, d’abord différent, mais égal aux autres à présent. Il reste parce qu'il sait que je ne mens pas, que si je suis ici c'est pour attendre la fin de la vie. « Vous voulez quoi ? » Peu importe, quelque chose qui ne sente pas la mort et les comprimés, quelque chose qui donne envie et non la nausée. Quelque chose d’euphorisant, de géant. Un truc qui fait rêver, qui me permettrais de ne pas me dire, une nouvelle fois, que je suis condamnée. J’aimerai voir le monde en une seule bouchée, en une seule gorgée. Alors un sourire fin se place sur mon visage de poupée, il n’y a pas de mensonges possible lorsque je suis ici, pas de jeu non plus, je suis juste une fille trop jeune pour mourir, et quoi que je fasse, entre ses murs hospitaliers, c’est tout ce que je suis, tout ce qui peut me résumer. C’est triste, mais je n’y peux rien, ne peut pas l’éviter. « N’importe quoi. » Et parce que je suis une habituée ici, je me permets d’ajouter. « Surprends-moi. » Egayes ma journée, aide-moi à croire qu’un jour, de ces murs, justement, je serai libérée. Par la mort ou l’oubli, que ce soit l’un ou l’autre, j’ai si hâte que ce soit finit.

Elle est terriblement belle, ça en est presque déroutant à vrai dire. Il ne peut s’empêcher de scruter son visage, ses formes, ses courbes, son charisme, parce que oui, malgré tout ça, elle reste très charismatique. « N’importe quoi. » Il hausse un sourcil tout en la fixant avec stupeur. « Surprends-moi. » Carrément ? Il affiche un petit sourire en coin avant de retenir un petit rire. Il ne s’attendait pas à ce genre de réponse à vrai dire. Il observe alors la machine et regarde les programmes avant de lui prendre un café chocolaté avec une « mousse de lait », m’enfin, tout le monde sait que la mousse est plus une sorte de buée presque invisible et terriblement éphémère. Il regarde le liquide qui s’écoule avec force et lenteur dans le gobelet en plastique avant de l’attraper, puis de lui mettre délicatement dans la main. Il la regarde encore, assez intensément d’ailleurs et lentement, il affiche un léger sourire. « Tu as déjà fait des photos ? » Il croise ses bras avant de la regarder de haut en bas tout en penchant la tête sur le côté. « Tu es très belle, vraiment. » Il se caresse le menton doucement d’un air songeur avant de fourrer ses mains dans ses poches. « Je n’ai jamais photographié une mourante. » ça paraît égoïste, ça l’est sûrement d’ailleurs, mais elle a ce quelque chose, ce on ne sait quoi qui lui confère une réellement beauté. Il attrape une serviette sur le toit de la machine et le stylo dans sa poche afin d’y noter son numéro de téléphone. Il lui tend en gardant un visage neutre, mais son regard lui, reste intense. Pas besoin de sourire ou de trop parler parfois. « Réfléchis si ça t’intéresse. » Il attrape son breuvage et commence à s’éloigner doucement.

J’incline le visage, afin de ne rien louper de sa réaction, après tout, ce n’est pas comme si on pouvait réellement surprendre une personne devant une machine à café. Cependant, il ne soupire pas, il ne semble pas agacer, non, bien au contraire, j’ai l’impression qu’il tente du mieux qu’il le peut de relever ce défi étrange que je viens de lui donner. Intriguée, je le regarde commander un je ne sais quoi, et un sourire ne quitte pas mes lèvres quand les secondes passent jusqu’à ce qu’il se retourne vers moi, un gobelet fumant à la main. Je devine un café, quelque chose de chaud, de bien. Je l’attrape et m’apprête à dire merci, parce que je suis de celles à qui on a appris à être polie. « Tu as déjà fait des photos ? » Alors je comprends l’origine de ce sourire sur ses lèvres dessinées, de son espièglerie dans ce regard qui doit surement savoir charmer. Des photos, moi ? Jamais. Ou bien un ou deux fois, en étant bébé. « Tu es très belle, vraiment. » Là je soupire, et je pense à mon accoutrement. Habits de malade, apparats de mourant. Je suis belle, vraiment ? Bien que je n’en ai jamais douté, de mon côté un brin angélique, j’en suis toujours arrivée à obtenir la moindre de mes volontés. Princesse désenchantée. « Je n’ai jamais photographié une mourante. » Et le retour à la réalité, être comme une bête de foire, à jamais, ou bien jusqu’à ce que la vie s’arrache à moi. Photographier une mourante, ça doit être drôle, rien que ça. Je le regarde faire, attraper une serviette, y écrire son numéro, son prénom peut-être, même si je ne le vois pas le faire, je m’en doute fortement. Pendant quelques secondes je me demande si c’est comme cela qu’il fait pour attirer des filles dans ses filets. « Réfléchis si ça t’intéresse. » La serviette avec son numéro tremble entre mes doigts fatigués, je sais que je devrai m’assoir dans cette chaise qui m’est attitrée. Mais je soupire et je fais semblant, que tout va bien et que je sais m’en sortir dans ce monde si vaste, si grand. Je me reprends en assurance, ai peut-être envie de l’agacer et je lui lance quelque chose qui ressemble vaguement à « T’as trouvé rien de mieux pour me draguer ? » d’une voix faible et pour le coup incontrôlée. Mes doigts resserrent la serviette, le gobelet tremble encore, et ma main se porte finalement vers mon cœur, emplit d’une nouvelle douleur. Je m’approche de ma chaise, dans le couloir, à petits pas, doucement Violet, c’est ça … Frissonnant, je m’assoie finalement. Je ne sais si j’ai envie de rajouter autre chose, je sais juste que je veux m’allonger, réaliser une nouvelle fois que la vie n’est pas toujours rose.

Il fait son speech, elle ne dit rien. Elle pourrait pourtant. Elle pourrait être flattée, être dégoûtée, vouloir en savoir plus, lui renvoyer ses compliments à la figure ou être indignée mais elle semble rester passive. Il l’observe encore un moment tout en lui laissant cette serviette maudite dans la main comme si elle pouvait réellement être une planche de salut entre eux. Il se fourvoie mais il ne s’en aperçoit pas encore à vrai dire parce qu’il est convaincu par le bien-fondé de ses paroles à la con. Comme si ça pouvait être une consolation d’être jolie en étant mourante. Il n’a jamais eu la prétention d’être parfait, mais il s’est toujours vanté d’être plutôt sage, sauf que pour le coup, il ne l’est pas du tout. Elle retourne à sa place dans une lenteur infinie, il veut retourner vers Madison, surtout pour reposer sa cheville fragilisée par sa chute totalement stupide, mais la voix de la belle brune se met à résonner. « T’as trouvé rien de mieux pour me draguer ? » Il s’arrête de marcher et se tourne avec nonchalance vers elle pour croiser son regard pénétrant. Il sourit faiblement. « Je n’ai jamais eu de réelles techniques de drague à vrai dire et si jamais ça en été une, alors autant me donner directement la palme du plus gros naze. » Le pire dans tout ça, c’est qu’il est totalement sincère. « J’étais sincère. » Ses pas le ramènent vers elle pour se trouver face à la belle. « J’ai dû manquer de tact cela dit. » Il peut bien le concevoir, depuis la veille, il ne sait plus faire les choses normalement. L’adrénaline a pris le dessus sur tout. « Tu ne seras pas une bête de foire, personne n’a besoin de voir les photos là, elles pourront partir dans la tombe avec toi. » Avec difficulté, il se met accroupi devant elle, lui laissant l’occasion de lui coller une baffe ou de ne rien faire. « Désolé si je t’ai blessée. » Il n’a pas la prétention de la connaître après tout, il ne peut pas vraiment savoir si cela a pu la chambouler ou pas. « Tu veux que je te ramène ? » Il laisse son regard plonger dans le sien sans aucune pudeur.

Mon corps tout entier semble s’affaisser lorsque je me permets à contre cœur de m’assoir dans cette chaise que je n’aurai pas voulu utiliser. Que j’ai essayé tant bien que mal d’oublier. Mais l’organe qui contrôle ma carcasse toute entière décide pour moi, et aujourd’hui, depuis quelques années, mois, jours je ne sais pas, il se plait de me contrôler, de me rappeler à l’ordre, de me démontrer que si je suis à l’hôpital ce n’est pas pour jouer. Et le jeune homme se retourne vers moi, interloqué peut-être par la phrase que je viens de prononcer, et non seulement pour mon aspect fragile, des mots pour se défendre, je l’espère agile. « Je n’ai jamais eu de réelles techniques de drague à vrai dire et si jamais ça en été une, alors autant me donner directement la palme du plus gros naze. » Et je soutiens son regard, inclinant mon visage poupin, fronçant mes paupières pour réfléchir, vaguement. Je ne saurai dire si ce serait cette palme là qu’il aurait, à dire vrai, je me dirai juste qu’il est pathétique, un brin mélodramatique. Draguer une fille qu’on sait mourante, qui le fait ? Si ce n’est quelqu’un de désespéré. « J’étais sincère. » C’est bien ce dont ma raison se désillusionne d’avance. A quoi bon photographier une mourante ? S’il veut une bonne cliente, autant qu’il en choisisse une qui aime la vie. Pas moi qui se contente de l’avoir en horreur, tant elle rend des milliers d’hommes rêveurs. « J’ai dû manquer de tact cela dit. » Et j’ai envie de rire, pas longtemps, juste parce qu’il semble penser que j’ai pris à cœur ses paroles, comme si elles avaient pu me blesser. Pour tout avouer, je ne sais même plus ce que j’ai ressenti lorsqu’il les a prononcés. « Tu ne seras pas une bête de foire, personne n’a besoin de voir les photos là, elles pourront partir dans la tombe avec toi. » Me voilà en train de m’imaginer lui demander pourquoi, à quoi ça servirait ? De toutes les façons, je prévois d’être brulée. Mais je n’en ai jamais parlé à personne, il parait, que ce genre de sujet, fait partie de ceux qui ont le don de déranger. Je me souviens encore quand je l’ai dit à mon père la première fois … J’ai pris une claque, pour la première fois. « Dis papa, pourquoi, jamais, tu ne me donnes le choix ? » « Désolé si je t’ai blessée. » Mon visage se tord en un sourire étriqué. J’ai mal, mal à cause de ce cœur qui bat. Son corps s’abaisse vers le mien, et me rappelle combien je suis amoindrie, depuis que je suis ici. J’exècre une vague de nausée, réalisant qu’il faut que je retourne me faire perfuser. « Quelques minutes, Violet, quelques minutes de liberté. » Mon temps est écoulé. « Tu veux que je te ramène ? » Je soupire, porte mon verre à mes lèvres et savoure le fait que ça brûle un peu, me persuade que de cette façon-là, je continue à torturer mon intérieur. Je mets un temps à répondre, parce que je ne saurai dire si oui, je veux qu’il me ramène, mais quand j’envisage de pousser ma chaise jusqu’à ma chambre, je ne peux nier l’évidence, je n’en suis pas capable. Et je choisi d’être raisonnable. « Si tu promets de ne pas sortir ton appareil photo, pourquoi pas. » Un sourire, amical, surement, et avant qu’il ne se relève pour passer derrière moi, je lui murmure, juste comme ça. « Il en faut plus pour me blesser. » Je ne suis pas de ces filles fragiles, je vais mourir, et je l’ai accepté, réalise combien pour d’autres c’est compliqué d’arrêter de pleurer.