When work is over
« Amelia, regarde où tu mets les pieds, devant toi ! » La fillette se retourne aussitôt, manque trébucher sur jeu laissé là par un autre enfant sans doute. Rapidement, la main de Reed vient agripper le bras de sa fille pour l'aider à esquiver l'objet roulant. La voix maugréante du trentenaire s'élève dans l'air. « Un jour tu vas finir par te faire très mal. » C'est ça, d'avoir une enfant rêveuse, plus préoccupée par tout ce qui se trouve en hauteur que par ce qui est à son niveau. Beaucoup d'enfants sont tête en l'air ou curieux, mais Amelia, elle, montre déjà trop d'intérêt pour le monde des adultes. Reed ne peut rien y faire. Il a une fille qui adore transformer la fin des histoires qu'il lui conte, le plus naturellement possible, ou encore qui adore chercher à comprendre pourquoi tel ou tel personnage a fait ça à untel. Une avalanche de pourquoi, certes, mais aussi une quête inconditionnelle du comment qui a de quoi rendre particulièrement intrigué. Longeant une longue allée bordée de fleurs plus colorées les unes que les autres, ils s'approchent ensemble d'un banc en bois sur lequel Reed s'assied pour lire le journal qu'il vient d'acheter. Les jambes croisées, le papier sur ses cuisses tenu par une main, et la sœur de celle-ci occupée à tenir la cigarette qu'il vient de s'allumer, Reed lance néanmoins quelques coups d'oeil à sa fille qui s'amuse avec sa poupée à deux mètres de lui. Petite habitude du dimanche matin, une fois le petit déjeuner pris.
Les minutes passent, l'homme ne sent pas le temps s'écouler. Tellement captivé par un dossier reportage sur les tensions au Moyen-Orient, il en oublie de regarder Amelia pendant cinq, voire dix minutes. C'est parce qu'il n'entend plus sa voix qu'il comprend tout à coup son erreur. Ses yeux se relèvent de son journal et, ne l'apercevant pas, il se retourne et se lève aussitôt, laissant de côté son journal. « Amelia ?! » Il ne la voit pas. Son coeur se met à cogner violemment dans sa poitrine et son corps, pris par l'angoisse, court partout à la recherche de la fillette. Il crie plusieurs fois son prénom, l'appelle aussi par son surnom, mais rien n'y fait, il ne la trouve pas. Il n'y a pas grand monde dans le parc, mais lorsqu'une femme, dans la cinquantaine s'approche, il s'empresse d'aller la voir, plus inquiet que jamais. « Madame, vous n'auriez pas vu une petite fille d'une dizaine d'années à peine, faisant cette taille, dans les parages ? » La nervosité le contrôle, il en oublie toute forme de politesse. « Non désolée monsieur... » Alors il se prend la tête, passe ses mains dans ses cheveux et les cale dans sa nuque, complètement stressé. Elle ne peut pas avoir disparu bien loin. Cela ne sert à rien de parcourir tout le parc. Si quelqu'un l'avait approchée, elle aurait répliqué, il l'aurait entendu. Il ne peut pas l'avoir complètement perdue, c'est impossible. Criant à nouveau son prénom, il pense à Sarah, son ex-femme. Et surtout, il voit son regard tueur.
Les hommes forts sont ainsi. Au zénith de l'amour, ils réfléchissent encore, ils calculent et leur décision est sans appel. Pancol