La main de Lola se heurte violemment au visage d'Oxanna. Le coup en lui-même est désagréable, mais la sensation d'avoir touché un point sensible est si agréable qu'Anna en sourit malicieusement. Ça lui fait plaisir, de voir qu'elle peut encore obtenir une réaction. Qu'après tout ce temps, elle a encore une emprise sur Lola. Elle sourit d'un mal victorieux, d'une force qu'elle ne se connaissait pas.
La main qui a laissé sa marque sur la joue de mademoiselle Sterling a pourtant la même empreinte que celle qui serrait ses doigts sous la couverture, il y a des années, il y a deux ou trois vies. Anna devrait ressentir quelque chose, une pointe de culpabilité, un soupçon de remords, mais une malice en elle se dit que c'est la seule façon dont elle pourra à présent être touchée par Lola. Que cette violence, Anna la prendra, l'acceptera. Parce que c'est tout ce qu'elle mérite, parce qu'elle ne mérite pas Lola. Cette noirceur n'est pourtant pas innée chez Anna. Ces ombres lui collent aux os par cet environnement dans lequel elle a grandis, par les traumas qui hantent encore ses nuits et ses interactions avec les vivants.
Ce coup, n'a pourtant rien à voir avec le mal qu'on lui a fait dans le passé. Ce coup, c'est une caresse. Jamais Lola ne retiendrait Anna contre son gré, jamais Lola ne l'étranglerais pour l'empêcher de crier. Tout ce qu'elle pourra lui faire, sera doux, comparé à ces autres fois où Anna a été touchée.
La joue rougie d'Anna est portée comme un badge d'honneur. C'est sa victoire. Les yeux de Lola ont craqué, laissant voir la faiblesse à travers la faille. Oxanna a tout vu, tout apprécié, de cette façon malsaine dont elle ne semble pas vouloir laisser filer Lola, de cette façon presque prédestinée où elles s'entrecroisent, leurs vies tressées autour du même axe.
They would rather see you all alone.
Imaginary Enemy.
We are much less different than we know.
Imaginary Enemy.
We are much less different than we know.
Les jours glissent en place. Les sentiments d'Anna passent du noir au blanc, pour rester d'un gris sale, d'une honte qui fait mal, d'un besoin malsain. Du haut des escaliers, Oxanna observe, faucon social, les interactions de Lola avec une de ces Gamma. Elle observe la façon dont Lola regarde derrière son épaule, angoissée, observée. Seulement, toutes ces images ne sont que le fuit d'une imagination qui tourne en rond. Rien n'est vrai, perçu par des yeux meurtris, perçu à travers les cicatrices du temps. Pourtant, Oxanna croit voir Lola sourire, là-bas, au loin, hors de portée, et cette tangible démonstration de bonheur lui fait plus mal que la gifle. Parce qu'Anna se plait à imaginer le malheur de Lola, et de la voir sourire sincèrement lui brise le coeur. Ça rassurait Anna, de croire que Lola aussi portait ce masque de porcelaine, de la croire fausse et vaine, de l'imaginer aussi fourbe qu'elle. Il y a des mensonges qu'on donne aux autres et des mensonges dans lesquels on se complait. Il y a des mensonges et des gens faux, il y a Oxanna Sterling et ses remparts destructeurs.
I will not ever understand.
Just how it got this way,
and how it got so bad.
Just how it got this way,
and how it got so bad.
Sous les obsessions, se cachent des malaises, des insécurités, des fins non bouclées. Cette nuit, Anna a rêvé. Ce n'était pas les horreurs habituelles, ce n'était pas ces mains noires qui la touchent et cet homme sans nom et sans visage qui la pourchasse. Ça n'était pas ces deux mains qui tirent ses membres dans deux directions différentes alors qu'elle crie le nom de ses parents sans que personne ne vienne jamais la sauver. Ça n'était rien de ça. Cette nuit, elle a rêvé qu'une main douce prenait la sienne sous les couvertures pour veiller à ce qu'aucun monstre ne la torture durant les heures terribles de la nuit. Pour la première fois depuis des semaines, Anna a bien dormi.
Who taught me to hate you,
when I don't even know you?
Who Created the enemy?
when I don't even know you?
Who Created the enemy?
Les souvenirs d'Anna semblent jouer à la chaise musicale avec les histoires qu'elle se raconte. Ses pensées voudraient trouver la cause. Durant un instant, elle voudrait remonter le temps. Pas pour empêcher ses agressions, pour comprendre pourquoi les choses se sont terminées ainsi, avec Lola.
Elle est partout. Dans les couloirs, entre deux cours. En ville, entre deux courses. Dans sa tête, entre deux distractions.
Les doigts d'Oxanna n'arrivent plus à avoir d'emprise sur Lola. Elle semble glisser entre ses phalanges. La distance plus violente au coeur d'Anna que tous les mots crachés, mâchés, avalés.
Mademoiselle Sterling s'est faite investigatrice. Comment Lola a-t-elle su pour Charly. Aucun des deux héritiers ne le crie sur les toits, aucun d'eux ne veut rendre publique cette humiliation paternelle, ce chantage vieux jeu. Quelques questions indiscrètes plus loin, Anna a obtenu ce qu'elle désirait. Une partie d'elle voulait simplement des information, mais le savoir est une forme de pouvoir et Oxanna est une Sterling, ayant comme son père quelques tendances monarchiques.
C'est avec ce savoir qu'elle attends Lola, chez Charly, alors qu'elle le sait absent, s'était faite entrer par un double donné par Monsieur Von Bodman, pour une excuse bidon de la part d'Anna. Parce que tant qu'à jouer le jeu, elle a choisi le rôle de la future belle-fille. Celui du minois parfait qui rêve des mêmes ambitions sociales que ce duo de paternels. C'est avec innocence qu'elle se pose sur le divan, les jambes croisées, les bras étendus, les yeux fixes. Tous les moyens sont bons, elle aura un peu de Lola. Elle prendra ce qu'elle veut bien donner. Violence, mots, indifférence. Ses bonnes intentions se sont envolées. C'est avec égoïsme qu'Oxanna se pose dans le chemin de son amie au passé, de son ennemie au présent.
nothing scares me anymore
⊹There she was my new best friend. High heels in her hands, swayin' in the wind While she starts to cry, mascara runnin' down her little Bambi eyes (by anaëlle)