nuits fauves.

Elle demande au taxi de s’immobiliser et elle sort, sourire aux lèvres. Son regard embrasse le voisinage, couve cet immeuble qui a plus d’importance pour elle qu’elle ne l’avouera jamais. Son sac au bras, elle pénètre dans la bâtisse, démarche assurée et excitation au creux des reins. Elle a hâte JJ, elle a hâte de voir la tête d’Adam quand il verra son visage, elle a hâte de voir comment il va réagir, elle a hâte de reprendre le jeu. Ses talons claquent contre le sol à intervalle régulier, ses hanches se balancent de gauche à droite plus que de raison et puis elle s’arrête, devant sa porte, devant leur porte. Son sourire s’élargit alors que ses doigts vont cogner contre la porte, deux fois. Elle attend, tapant distraitement du pied au fur et à mesure que les secondes s’écoulent. Elle frappe de nouveau, plus de conviction et d’impatience dans le poignet. Elle n’aime pas attendre, JJ, jamais. Tant pis, il n’est pas là qu’elle se dit. Elle sort sa clé et entre en terrain conquis. Elle jette son sac dans un coin, referme derrière elle puis se perd dans une exploration de l’appartement. Ses prunelles se posent ci et là, en quête de changement, en quête de remplacement mais elle n’a pas peur, JJ, parce qu’elle sait. Elle sait que la bête a besoin de la bête et non de la belle, elle est la seule qui peut le supporter, JJ, elle en est sûre. Comme il est le seul à pouvoir dépasser ses espérances, la bête et la bête, la modernité a ça de beau qu’elle repousse les limites. Elle pousse un soupir, l’appartement est vide, alors, récupérant son sac, elle va faire un tour dans sa chambre, car c’est toujours son territoire à ses yeux. Et elle est contente JJ, contente de voir que rien n’a bougé, que le même bordel artistique règne en maître absolu dans cette pièce lugubre, seul bémol, l’odeur désagréable de renfermé qui vient lui mettre le nez à vif. « Tu aurais pu aérer quand même » elle peste contre Adam et fait claquer la porte derrière elle.  Elle fait une escale à la cuisine avant d’aller s’échouer sur la canapé, une assiette de ce qu’elle a pu trouver en main. Selon ses calculs et ses souvenirs de l’emploi de temps d’Adam, il ne devrait pas tarder, du moins, il a tout intérêt. JJ n’aime pas attendre. Elle allume la télé pour faire passer le temps plus vite.

Ses muscles s’endolorissent, le tiraillent comme si une flamme courait le long de sa peau. Chaque effort est plus violent, plus douloureux, il est à bout, à bout de force et c’est à cet instant, seulement à cet instant qu’il peut arrêter. Arrêter de s’infliger cette torture devenue salvatrice autant que libératrice. Une torture qui le pousse à dénouer chaque nœud de tension, de nervosité qui l’envahissent toujours trop vite. Adam ne prends pas le temps de passer par les douches. Il fera ça chez lui. C’est encore en jogging, sac sur le dos, casque sur la tête qu’il prend le chemin du retour. Le vent, la vitesse n’en ont pas fini de sécher ces gouttes qui perlent sur sa peau et s’imprègnent dans les tissus. Il le sent, il est poisseux, suant, son odeur n’est pas des plus agréables ou distinguées. Mais Adam ça, il s’en fou. Personne ne l’attend à la maison … Garé au pied de l’immeuble, il monte les escaliers quatre par quatre, tourne machinalement la clé dans la serrure. Un tour et la porte cède. Adam se fige, se raidit. Il effectue ce geste tous les jours ou presque depuis deux ans, il sait, il sait qu’il ferme cette foutue porte à double tour. Il n’oublie jamais rien, il a le sens du détail, de l’attention. Il sait que personne ne peux entrer dans son appartement, personne à part … Son cœur se serre puis bat, se serre à nouveau et menace d’exploser dans sa poitrine. Le sang ne fait qu’un tour dans ses veines, lui donne envie d’arracher la porte et le quarantenaire n’attend pas une seconde de plus pour pénétrer dans son appartement et trouver d’un coup d’œil rapide, la crinière brune de la jeune femme paisiblement installée dans son canapé. Rien aucun son, aucune réaction ne lui échappe. L’espace d’une seconde, il a cru perdre la raison, il a cru avoir atteint la folie douce en sentant son parfum dans l’air. Et s’il lui reste quelques onces de lucidité, le retour de JJ sonne sa perte. Il le sait avec elle c’est la vie, mais aussi la mort. Elle est ce mélange toxique, ce poison, cette drogue qui s’infiltre délicieusement dans son corps, dans son esprit tout en le tuant à petit feu. Et cette drogue, Adam ne sait pas s’en passer. Il la veut comme il la déteste … Plus que tout. Il l’observe agir le plus naturellement du monde dans cette pièce où rien a changé, rien depuis son départ. Adam aurait pu lui demander la raison de sa présence, après avoir disparue comme si rien n’avait eu d’importance, comme si lui et leur relation particulière n’avait eu aucune importance. Mais il décida que l’indifférence serait sa plus grande arme face à cette gamine en manque d’attention. A son tour, il dépose ses clés et ses chaussures dans l’entrée. Il se dirige vers le frigo où il se saisit d’une bière puis prend le chemin jusqu’à sa chambre. Là, il balance son sac et enlève son sweat humide, tournant en rond comme un lion en cage, décidément incapable de la sortir de son esprit.

Elle attend, JJ, elle attend. Des secondes. Des minutes. Des heures, même. Elle n’en peut plus, elle voudrait bien aller le chercher par la peau des fesses mais elle ne sait pas où il est, elle voudrait bien lui passer un coup de fil mais elle a perdu son numéro et puis aux oubliettes l’effet de surprise. Et JJ, elle mise tout dessus, elle est douée pour ça, surprendre, choquer, elle te fout au tapis d’étonnement. Alors, elle attend, en bonne petite fille docile. Ses prunelles captent quelques images de la télévision, cependant rien d’assez intéressant pour en faire de même avec son attention. Sa tête retombe mollement sur le canapé, ses membres se lancent dans un mimétisme parfait et son esprit s’en va visiter d’autres contrées, plus sombres dont elle ne revient jamais indemne. Pour y échapper, elle glisse une cigarette entre ses doigts et à peine quelques secondes plus tard, les flammes viennent lui arracher un sourire énigmatique, puis son corps s’affaisse à nouveau, ses jambes se joignent l’une à l’autre, dévoilant la naissance de ses fesses à un spectateur invisible. Son regard s’anime lorsque la plainte sourde de la porte lui parvient, silencieuse, elle s’invente une attitude nonchalante, quoiqu’étudiée ainsi qu’une occupation distrayante. L’excitation se fraie un chemin au creux de ses reins et les questions tambourinent inlassablement dans sa boîte crânienne, comment va-t-il réagir ? Que seront ses premiers mots ? Loquace ou plutôt muet ? L’impatience secoue ses membres inférieurs tandis qu’elle l’écoute progresser dans leur appartement, elle repère mentalement la cuisine ensuite le couloir, puis il disparait de son champ auditif. Venait-il de l’ignorer ? Elle s’était attendue à tout JJ, mais pas à ça. Elle voulait une explosion et non pas cette sensation écrasante d’invisibilité. Vexée et démarche féline à son paroxysme, elle pénètre dans l’antre de la bête, en prenant soin de laisser la porte ouverte. « Ne me dis pas que ta mère a aussi oublié de t’inculquer les règles basiques de politesse ? » Bras croisés, elle le défie comme elle en avait l’habitude. Ne l’ignore pas Adam, elle risque fort de frapper où ça fait mal et les montagnes russes avec elle sont loin d’être agréables. « Bonjour Adam »

Il est entré. Il est passé dans le salon, il a traversé le couloir. Aucun regard, aucune marque d’attention envers elle. Adam n’a pas faiblit. Pas même une seconde. Même lorsque la brune incandescente se présente dans l’encadrement de sa porte. Qu’elle est si proche que son parfum remonte dangereusement jusqu’à ses narines au point de lui en faire perdre la tête. Adam ne la regarde pas mais il ne voit qu’elle. Et elle n’a pas besoin de ses attitudes de provocatrice, de sa folie ou de tous ses apparats obscures pour ça … Pour qu’il ne remarque qu’elle. C’est peut-être ça le plus tragique … Mais il tient bon, le quarantenaire enlève son tee-shirt avec lequel il essuie les dernières traces de sueurs sur sa peau puis le délaisse dans un coin de la pièce. L’ordre n’a jamais été une de ses qualités, même si à force de vivre seul il a du faire preuve d’une certaine organisation. Adam s’approche de la jeune femme, seulement pour venir tirer des vêtements propres de sa commode qui se tient juste à côté d’elle, mais continue de l’ignorer. Non il ne cédera pas à son caprice, pas cette fois ci. C’est trop facile ! Et puis merde ! Que pensait-elle ? Qu’elle pouvait revenir à l’appartement avec ses grands sourires et ses yeux de biches ? Qu’il attendait sagement son retour pour reprendre leur jeu là où ils l’avaient laissé ? Elle avait décidé de partir, de vivre sa vie sans lui et il avait fini par s’en accommoder. Il avait réussi à retrouver un rythme de vie normal, qui lui convenait … Elle ne pouvait pas revenir et tout foutre en l’air encore une fois ! Adam boue, il boue de l’intérieur d’une rage qu’il ne comprend pas, qu’il ne s’explique pas. Mais il ne sera pas le seul dans cet état. Elle parle encore mais les mots sont du bruit, du bruit qu’il n’écoute pas. Qu’il se fait un plaisir d’ignorer en pénétrant dans sa salle de bain. Naturellement, il dépose ses affaires propres sur le coin du lavabo comme il le fait chaque jour, seul, comme si elle n’existait pas. Puis il s’attèle à enlever ses chaussettes dans un mauvais équilibre qui le caractérise. Peut-être qu’à force de l’ignorer, elle finira par disparaître …

S’il y avait une chose que JJ détestait plus que tout sur cette fichue planète, c’était de faire partir du décor. Où qu’elle aille, elle était remarquée, soit par les talons de ses chaussures qui claquaient bruyamment contre le macadam, soit par le mouvement naturellement lascif de ses hanches qui laissaient rarement les hommes indifférents ou bien encore par ses tenues affriolantes. Tout était mis en place pour que l’on sache qui elle était, que l’on se souvienne d’une manière ou une autre. Et pourtant… et pourtant Adam s’évertuait à l’ignorer royalement, autant dire que cela avait le don de la mettre sur les nerfs, encore plus parce qu’il s’agissait de lui, peut-être. Elle ne s’étendit pas plus sur ce fait, le plus urgent était de remettre les choses en ordre. Elle n’était pas une décoration que l’on posait dans un coin de la pièce et que l’on oubliait au fil du temps, loin de là et il était sur le point de le comprendre se fit-elle comme promesse silencieuse. Elle le regarda progresser dans la pièce, la rage grimpant au fur et à mesure que ses gestes se faisaient sans aucune incidence sur sa personne. Il était doué Adam, doué pour la faire sortir de ce chemins savamment tracés qu’elle empruntait pour rejoindre chaque personne avec qui elle avait décidé de se lier. Le contrôle, voilà ce qui importait le plus à ses yeux, garder le contrôle de la situation et avoir un coup d’avance, or, là, il semblerait que son compagnon de jeux se soit montré plus avisé, de quoi croître son irritation. Elle détestait ce sentiment d’être soudainement invisible même si elle savait toute l’influence qu’elle avait sur lui, l’avait-elle réellement… ? Le doute, perfide menaçait de fissurer cette assurance qu’elle avait d’eux, de leur relation et pour comprendre son degré d’agacement, il fallait savoir que JJ ne doutait jamais, ou presque, tout était toujours préparé d’avance, le contrôle vous savez, et à cet instant précis, elle le détestait au plus haut point. Elle le suivit jusqu’à la salle de bain, guidée et animée par toutes les émotions négatives qu’il faisait naitre en elle. C’était nouveau pour elle d’agir ainsi, sans avoir au préalable et grossièrement prévu la façon dont les choses se dérouleraient. Elle profita de la faiblesse du professeur pour le faire tomber, se fichant bien que cela lui fît mal et puis elle le savait apte à encaisser un niveau conséquent de douleur physique, dans le cas contraire, ce ne serait qu’un moindre coût pour tout ce qu’il lui infligeait. Elle ne lui laissa pas le temps de reprendre ses esprits qu’elle s’installait à califourchon sur lui, sa main empoignant violemment sa mâchoire afin que leurs regards se croisent enfin. « A quoi tu joues ? » Sa voix était froide et autoritaire, autant que la lueur qui dansait dans es prunelles et sa prise sur le visage d’Adam se fit encore plus forte, plus qu’elle ne l’aurait voulu, peut-être, elle ne savait plus, aveuglée par sa colère. Sa main gauche, elle, envoyait ses ongles manucurés s'enfoncer dans ce bras qu'elle agrippait avec la force du désespoir. Je te ferai crever Adam.

Adam traverse une nouvelle pièce en prenant le plus grand soin du monde de ne pas se soucier de son invitée qui, en réalité n’en est pas une. Non, il ne l’a pas invitée, il ne l’a jamais invitée à faire partie de sa vie. Il a laissé une porte ouverte, une porte ouverte dans laquelle elle s’engouffre à chaque fois. Peu importe le temps, la distance qui les sépare. Et une partie de lui-même la traînerait encore et encore à travers cette porte si elle ne le ferait pas. Ce qu’il fait peut-être encore aujourd’hui, à cet instant même en jouant avec ses nerfs, en la retenant de la seule façon qu’il sait le faire avec elle, par le mépris. Parce que malgré la colère, la frustration, Adam exulte. Il exulte en ressentant cette tension envahir la pièce dès qu’elle y pénètre à son tour. Il exulte, mais sent bientôt son corps basculer irrémédiablement vers l’arrière et lui faire perdre pied. Le sol carrelé est dur dans son dos mais pas aussi dure que cette main qui vient saisir sa mâchoire, ses doigts se glissant dans sa barbe pour qu’il n’ait d’autre choix que de planter ses yeux contrariés dans ceux de la brune assise à califourchon sur lui. Elle ne lui laisse plus le choix mais le quarantenaire est certain que c’est elle qui n’en a plus … Il le lit dans ses prunelles brunes où dansent la colère et l’incompréhension. Elle ne sait plus quoi faire pour capter son attention et ses ongles qui viennent s’accrocher à la peau de son bras sont pour Adam une nouvelle tentative désespérée de le saisir, de ne pas lui échapper. Étrangement, cet effort traduit pourtant par de la colère, par de la hargne estompe doucement sa propre colère, celle qui ruisselait encore en lui il y’a quelque seconde à peine. Adam est dérouté et reste silencieux, son regard braqué sur le sien durant de longues secondes. Il ne réfléchit pas, il constate simplement ce qu'il se passe dans ses prunelles brunes et insaisissable. Puis soudainement, son visage pris en étau entre ses doigts fins mais autoritaires se détend dans un sourire qui se transforme en un rire bruyant et sincère qui semble provenir du plus profond de sa gorge et de son âme. Adam rit, il rit à n’en plus finir entre ses mains, des rires qui résonnent violemment dans la petite pièce.

Le rire d’Adam résonna dans toute la pièce en une symphonie funeste, annonçant la fin d’une ère. La fin du règne de reine JJ et cette réalisation la frappa de plein fouet comme un tsunami s’abattant sur une ville, rasant tout sur son passage, elle, perdit l’esprit. Ses pensées n’étaient plus qu’imbroglio cacophonique.

Echec.
Game over.
Echec.
Game over.
Echec.
Game over.

Entêtant litanie qui tournait en boucle entre les quatre murs de sa boîte crânienne à la façon d’un vieux disque rayé. Perdre. Ce mot était désagréable en bouche, plus encore à déglutir. Elle avait perdu. Elle peinait à le formuler dans son esprit. Elle était de ceux allergiques à la défaite, du moins dans ce cadre comme celui-ci. La balance de pouvoir se modifiait, la laissant perdue et confuse dans un coin à l’image d’une petite fille dont les repères évanescents avaient subi les assauts du temps.  

Elle relâcha finalement sa prise, l’énervement s’étant fait la malle avant l’écroulement total du château et de toutes ses défenses. Tic-tac. Une émotion nouvelle émotion, proche de l’angoisse, se faisait chemin, lui donnant cette sensation de défaillir ou bien était-ce l’épuisement du retour allié aux souvenirs affluant qui avançaient au-devant de la scène. Elle sentit de plus en plus la fatigue la gagnée, alors, silencieusement, elle enleva ses mains de son visage, puis se releva doucement. Et ce fut également dans un mutisme religieux qu’elle quitta la pièce pour sa chambre sans un regard pour Adam.

Game over (?).

Les rires du quarantenaire sont bruyants, assomants. Ils envahissent la pièce, résonnent contre les murs. Pas d'autre son. Juste lui et ses silences à elle. Des silences qui ne lui vont pas, qui ne ressemblent pas à cette femme qui a l'habitude de remplir une pièce par sa simple présence ...Et malgré ses rires entêtant, Adam garde une once de lucidité qui lui permet de comprendre ce qu'il se passe. Il comprend qu'elle perd pied. Peu à peu. Mais il continu de rire, même lorsque son regard semble s'éloigner, même lorsque ses mains le délivrent, même lorsqu'elle se relève pour quitter la pièce.

Au sol, recroquevillé parce que son estomac, à force de se contracter le fait souffrir, il lâche dès que sa respiration le lui permet : « Alors c'est ça ? » sa voix porte à travers les pièces « C'est ça le retour de JJ Kane ? » Tentant de calmer ce rire qui s'assombrit au fil des minutes, Adam se relève. Instinctivement, il rejoint cette chambre qui nourrissait l'espoir de sa mère, d'y voir y vivre un enfant un jour et qui était malheureusement pour elle, devenu le repère de Kane.

Adam entre sans frapper et déclare, paumes vers le ciel « A quoi tu t'attendais ? Au tapis rouge ? Aux embrassades ? » Son regard prit des teintes de crédulité et de moquerie. « Tu crois que j'attendais ton retour ? » Et peut-être aurait-elle eu raison, un temps avant qu'il ne s'y fasse et qu'il ne passe à autre chose. C'est ça sa vie, perdre, oublier, avancer.

JJ se glissa dans sa chambre avec une dignité qu’elle tenait de ses longues années de danse classique, tête haute et buste aussi droit qu’elle le pouvait malgré ce rire grave qui l’accompagnait. Elle referma la porte derrière elle et alla se perdre dans cette penderie garnie de vieilles choses, fouillant pour trouver une tenue légère. Fouillant, elle se dit qu’il faudrait qu’elle rapatrie rapidement ses affaires depuis son atelier de dessin où elle avait séjourné ces deux dernières semaines. Avisant une robe fleurie, elle se débarrassa de ses vêtements actuels et ce fut à ce moment qu’Adam fit également son entrée, qui ne passa pas inaperçue, il avait finalement retenu deux ou trois choses du temps passé avec JJ. Elle ne se tourna pas immédiatement dans sa direction, cherchant certainement une façon d’agir avec lui sans perdre plus encore la face…l’avait-elle réellement perdue ? Elle aimait à penser que non, elle était JJ après tout et fidèle à elle-même, elle se sentait tout à fait apte à se sortir de toute situation, une pirouette par ci, un masque de telle émotion par là et le tour était joué. Toujours silencieuse, elle finit de se dévêtir puis elle prit le temps de plier ses habits sans accorder la moindre attention au professeur avant de finalement enfiler la robe choisie. Elle s’immobilisa quelques secondes devant le miroir pour inspecter son allure, arranger ce qui devait l’être et finalement, elle se sentit prête à affronter son regard.

« Qu’est-ce que tu veux au final ? »

Elle prit un air quelque peu triste, étudié ou bien était-ce réel ? Ce n’était pas la question à l’heure actuelle, cela ne l’intéressait pas. Ses masques étaient nombreux et voilà longtemps qu’elle se refusait à retrouver le moule d’origine. Elle s’approcha doucement d’Adam, réduisant à néant la distance physique qui subsistait entre eux.

« Que veux-tu que je te dise ? –elle prit un instant pour faire mine de chercher ses mots, un semblant d’émotion en bouche- que j’aurais voulu te manquer ? Que j’aurais voulu que tu penses à moi  autant que moi j’ai pensé à toi ? »

Ses lèvres effleuraient désormais celles de son tuteur, subrepticement. Sa voix était basse, douce et presque sincère. Presque car il s’agissait de JJ et rien n’était jamais au hasard, si l’on ajoutait à cela ces talents de comédienne sur lesquels elle se reposait sans cesse, on finissait par s’y perdre, elle la première.

« Si c’est ça que tu veux alors… »

Et elle prit son visage entre ses mains et l’embrassa sans plus de cérémonie.

C’est l’ultime provocation. L’attaquer lorsqu’elle abandonne, lorsqu’elle semble affaiblit, presque à terre. Ne pas lui laisser la chance de s’échapper. Ne pas laisser cet avantage qu’il n’a que trop peu souvent sur elle. Et frapper encore, parce que la voir chuter est un spectacle dont Adam se délecte. Lui faire du mal comme elle lui en fait, surenchérir encore et encore, la pousser à bout et surtout ne pas être le premier à flancher. C’est le jeu, le défi implicite qu’ils se sont lancés peu importe les dégâts, les conséquences … Elle peut l’ignorer, s’affairer dans sa penderie ou encore se dénuder sous ses yeux en pensant qu’ils seront captivés et envieux de ses formes, pensant qu’il en oubliera le pourquoi du comment en pauvre homme qu’il est … Et c’est ce qui arrive. L’espace d’une seconde avant qu’il ne se concentre à nouveau sur ce qu’il l’amène réellement dans cette chambre.

JJ laisse le silence lui répondre comme si lui et ses mots n’existaient pas. Mais ils sont bien réelles, ils la touchent. Elle n’a pas besoin de parler pour qu’il en soit persuadé. La seule chose qu’il se demande c’est qu’elle sera sa réaction, sa nouvelle parade. Et lorsque son visage se tourne vers le sien, teinté de tristesse il se dit que c’est ça … La pirouette, le nouveau jeu.

Sur la défensive, il la jauge du regard lorsqu’elle s’approche au point de rendre inexistante toute distance entre eux, il la jauge du regard lorsqu’elle lui balance des mots qui s’écrasent lourdement contre ses lèvres, cherchant à dénouer le vrai du faux, cherchant à trouver la faille qui trahira le fond de ses pensées. Mais rien … Rien si ce n’est ses mains qui s’accrochent à son visage et ses lèvres qui retrouvent les siennes.

Dans son cerveau, c’est le bordel.

Ce baiser qu’elle lui offre à un goût de décharge électrique. Son corps tout entier s’anime, traversé de chocs, de piqûres. Et le pire dans tout ça, c’est probablement qu’il a envie de la coller contre un mur, une commode ou le premier putain de meuble qu’il trouvera … En attendant c’est sa main qui s’active à grimper le long de sa colonne vertébrale pour aller retrouver sa chevelure qu’il empoigne brusquement, rompant le baiser. « A quoi tu joues ? Tu te fou de ma gueule c’est ça ? ».