VIOLET & REED
Un calme clair de lune, triste et beau, faisant rêver les oiseaux dans les arbres, faisant sangloter d'extase les jets d'eau sveltes parmi les marbres … Un paysage ayant déjà si bien inspiré Paul Verlaine, pour son légendaire Clair de lune … Les célèbres lignes du poème viennent à l'esprit de Reed quand il entre dans le parc McArthur. Une pluie de senteurs florales se déverse sur lui et freine la marche de l'homme, lui qui quitte pendant un temps l'effervescence de la ville. Il dit au revoir à toutes ces teintes de gris, si fades et si corrompues, pour saluer les nuances plus colorées du parc, celles pleines de vie, celles qui éveillent toujours, au plus profond de son être, ces élans littéraires qui ont fait de lui, quelques années en arrière, l'un des meilleurs étudiants en lettres de sa promotion.
Ce soir, il se présente sans cette carapace sévère, froide et impartiale qu'il s'est construite avec les années et qu'il revêt toujours dans les locaux du Times. Il vient en simple citoyen, en l'humble et honnête homme qu'il a toujours tenté d'être. De même, il a essayé de ne pas venir accompagné de ses préjugés et de ses idées toutes faites, altérées par l'absence du réel. Mais voilà qui se révèle être une délicate entreprise, en fin de compte … Une partie de lui aimerait redécouvrir Violet comme s'il n'avait jamais reçu ses lettres, comme s'il ne les avait jamais attendues, comme s'il ne les avait jamais aimées de la façon dont il les a aimées. Comme si elle était l'une de ses fleurs qu'il découvre sur son chemin, celui menant au lieu de rendez-vous. Il aimerait … tant de choses, qui prouvent avant tout une certaine appréhension, celle qui représente la métamorphose de la plume pour quelque chose de plus physique, lourd et impressionnant. De tellement plus réel, tout compte fait. Il pensait que cette peur lui serait étrangère le soir venu mais finalement, il n'est qu'un être humain de plus sur cette Terre, plein de complexité et sujet à tant d'émotions internes.
Et puis, une autre partie de lui se souvient, immanquablement. De chaque mot, de chaque pensée et visions engendrées par ceux-là. Cette partie, à l'évidence, nourrit l'espoir de se retrouver face à la femme qu'il a imaginée et celle que, intimement, il a commencé à apprécier. Ce ne sont pas des sentiments habituels qu'il a développés. Ce sont des rêves et des chimères, en quelque sorte. Des idéaux sur lesquels il ne pose aucune vérité, aucun mensonge, pas tant qu'il n'aura pas croisé enfin son clair regard. A cet instant seulement, tout pourra prendre vie. Tout pourra commencer.***
Son cœur se resserre quand il sort de ce sentier sombre et que son regard vient se poser, au loin, sur la silhouette longiligne. Le voilà, ce fameux instant où tout prend réalité. Et aussi puissantes soient les idées toutes faites, la force de la réalité vient aussitôt écraser le reste, tout ce qui a pu exister auparavant. Reed reste immobile une seconde, deux peut-être, les yeux rivés sur ce dos svelte, sur cette longue chevelure brune qui lui rappelle une photographie. Son visage à lui, il ne laisse aucune émotion le trahir. Reed Gallagher n'est pas un homme particulièrement expressif. Nul ne le connaîtra jamais ainsi, et certainement pas Violet. C'est ainsi qu'il se décide à reprendre sa marche finalement, plus détendu qu'une ou deux minutes en arrière, plus confiant.
Retourne-toi …
…
Retourne-toi donc.
Et un bruit de pas doit l'alerter, car son visage se tourne vers lui et exauce ainsi ses prières. Un léger, très léger sourire se forme sur les lèvres du trentenaire quand leurs prunelles se croisent. Un contact électrisant auquel il avait évité de penser mais qu'il affronte désormais … avec un étrange plaisir.
Belle. Fragile. Éblouissante.
De quoi éteindre une voix, et pourtant … « Bonsoir. » Dit-il d'une voix calme et forte à la fois, mais aussi dénuée de timidité. S'il ne lâche pas ses iris, ce n'est pas tant par bienséance mais bel et bien parce que cela lui est impossible. Malgré ces quelques secondes silencieuses, malgré tout ce qui plane dans l'air entre eux à cet instant, Reed est captivé, bien plus qu'il ne voudrait l'admettre. « Il y a un endroit particulièrement beau à quelques minutes d'ici. Si tu ne crains pas trop te laisser embarquer par un étranger, j'aimerais t'y emmener. » A quel degré est-il encore un étranger ? Il l'ignore. Mais finalement, cette part de mystère pourrait bien être source de toute la beauté de cette soirée …
Les hommes forts sont ainsi. Au zénith de l'amour, ils réfléchissent encore, ils calculent et leur décision est sans appel. Pancol