spread your wings and prepare to fly. [/w. Owen]

Papillon, Papillon ... C'est joli, un papillon ... Coloré, vif, volant avec agilité et rapidité ... ! Papillon, Papillon, Papillon ... Puis, le Papillon s'envole, disparaissant par la porte d'entrée. Une gigantesque empreinte, marque indélébile étant venue altérer à vie cette toile qu'est la peau. Encore une cliente satisfaite. Encore un tatouage d'effectué. Un sourire se dessine sur mes lèvres tandis que celles-ci s'abandonnent à un tendre soupir afin de meubler le silence environnant. Fabio est dans la salle au fond, avec un autre client ... Et moi, patiemment, je continue de faire les comptes.

Quatre-vingt, soixante-dix, quatre-vingt, deux cent ... Mes yeux descendent le long de la feuille tandis que mes doigts comptent l'argent. Puis, je recommence mon rituel, du début cette fois-ci. Un, deux, trois ... Afin de vérifier que tout y est et que tous les frais notés sur la feuille ont bien été encaissés à la fin de la journée. C'est une tâche fastidieuse, pour ne pas dire complètement ennuyante. Il faut dire que les mathématiques n'ont jamais réellement été mon domaine de prédilection. Ah ... Si seulement l'on pouvait se contenter de ne faire que les choses que l'on aime faire dans la vie ... Ça ne s'appellerait probablement plus la vie. Je crois même que certains appellent ça le Paradis. Ce serait cool que ça existe réellement, tiens, le Paradis ...

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2013

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2023

Mes bottent tapent le béton. J'ai congé aujourd'hui, de quoi me permettre de ramasser quelques bouquins pour divertir mes nuits, mes matinées, pour combler la poche arrière de mon jeans. Il y a cette magnifique boutique de livres usagés qui empile les merveilles sur ses tablettes dans des châteaux précaires. C'est toujours une aventure, je ne sais jamais avec quels ouvrages je vais en ressortir. C'est dans ce quartier un peu glauque, entre un magasin érotique et un lavothon.

Il y a un truc qui vole devant mon visage, stoppant mon pas, de peur de l'avaler tout rond. J'en observe ce qui m'entoure, et quelque chose capte mon oeil dans une vitrine. Je pousse la porte du commerce, observant le dessin au mur, c'est beau, géométrique, avec une sorte de script illisible en fond, les détails sont magnifiques. Je réalise seulement que je suis en plein milieu du chemin et qu'un client veut sortir. « Désolé » Que je m'exclame, m'approchant en même temps du morceau de papier qui m'intéresse. Le type au comptoir semble sympa, pas trop dérangé par ma présence. « Wow, j'ai jamais pensé à me faire tatouer, mais je crois que si je devais me lancer, ça serait quelque chose dans ce style.  C'est toi qui a dessiné ça ? » C'est beau sans être cliché, c'est carré et rond à la fois. J'aime bien, et c'est le hasard. Si cet insecte volant ne m'avais pas attaqué, je ne me serais jamais retrouvé ici.

Une voix. La voix. Celle qui me tire de mes songes, me sort de mes rêveries. Celle qui me permet de m'éloigner, de m'échapper et de m'évader, à nouveau ... Loin de ces chiffres, de ces billets, de ces feuilles, de ces nombres ... Loin de ces comptes, loin de toutes ces choses qui, jusqu'alors, m'occupaient entièrement. Celle qui me transporte jusqu'à son propriétaire, à ses yeux clairs, à son visage appréciable et à son allure ... Piacevole.

Piacevole ... Agréable, sympathique, chaleureux. Voilà exactement les mots qui me reviennent à la tête lorsque je pense à ces tendres traits et à cette barbe légèrement (mais pas trop, juste assez) négligée. Il me déclare qu'il n'a jamais pensé à se faire tatouer avant de me montrer l'un des dessins de Fabio et de me demander s'il s'agit du mien. Souriant aussi chaleureusement que possible, j'essaie de paraître ouvert et abordable, chassant ma timidité naturelle autant que possible, priant que celle-ci ne revienne pas immédiatement au galop, comme d'habitude.

- Non, c'est mon frère. Moi, je ne fais que les comptes, de temps en temps, pour dépanner. Dessiner, ce n'est pas vraiment pour moi, haha.

Bon, j'avais déjà fait un ou deux dessins pour Fabio mais il ne s'agissait pas de quelque chose de bien spectaculaire. Je me rappellerai toujours du jour où il avait décidé de se faire tatouer pour la troisième fois. "Cette fois-ci, j'ai envie que tu le dessines. Comme ça, j'aurai quelque chose de toi avec moi partout où je vais." Je n'avais pas réellement compris mais je l'avais quand même fait. C'est celui qu'il a sur la cuisse gauche, donc je ne le vois presque jamais.

Souriant à nouveau au potentiel nouveau client, je cherche quelque chose à dire afin de le faire rester. Peut être bien qu'il se décidera à aller se faire tatouer, après tout, ce qui nous aiderait à arrondir les fins de mois ... Et puis, cela me permettrait de me perdre dans l'univers de ses iris un peu plus longtemps. Lorsqu'enfin, je crois avoir trouvé un bon moyen de prolonger la conversation, j'ajoute :

- Oui, Fabio dessine tout le temps ... Mais ce modèle fait partie de ses créations les plus populaires !

Je me rends compte que certains préfèrent cependant avoir un tatouage unique. Quelque chose qui leur parle, à eux, directement. Quelque chose qui leur raconte une histoire, et pas n'importe laquelle : leur histoire. Pas un vulgaire tatouage identique à celui d'une demi-douzaine d'autres personnes ... J'ai peut être gaffé sur ce coup là, en fait, et c'est donc avec empressement que je tente de rectifier le tir.

- ... Mais il fait également des tatouages sur mesure. Bien sûr, ceux là coûtent plus cher ... Mais le rendu final est réellement unique.

Voilà. Avec un peu de chance, cela devrait faire l'affaire. Mon sourire, toujours affiché jusqu'à là, ne s'efface toujours pas.

- Est-ce que je peux t'aider avec autre chose ? Peut être que tu as envie de renseignements ?

Proposer de l'aide, guider, assister, aiguiller. Puisque je suis là, autant tenter de faciliter l'échange entre mon frère et ses potentiels clients, après tout. Ce n'est pas comme si j'étais complètement désintéressé, après tout.

Spoiler :

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Et il est là, au comptoir, un peu trop délicat pour cette ambiance intemporellement ultime qu'a le studio. On dirait qu'il est sorti d'un de ces dessins, des contours au marqueur, mais des traits fins. Je l'écoute parler de son frère et c'est pas difficile de les imaginer proches sans pour autant être semblables. Il semble bien ce type, avec son coeur au fond des yeux, tranquille mais attachant. Je sais pas pourquoi, mais ça m’a coupé les idées. Je sais plus vraiment ce que je faisais, avant d’être poussé ici, avant qu’il entre dans ma vie. Il ne se contente pas d’énoncer un oui ou un non à ma question. Il me donne des petits morceaux de lui à travers ses mots. Alors je reste, captivé par les gens qui donnent d’eux-mêmes, ceux qui montrent plus que cette indifférence forcée. Et il souris, avec candeur. Je me dis que c’est une belle journée, que ça prends un rien, parfois, pour faire tourner la balance. « Est-ce que je peux t'aider avec autre chose ? Peut être que tu as envie de renseignements ? » Qu’il questionne, avenant.

Je le regarde un peu, me disant que non, j’ai pas besoin de ce genre de renseignements. Je ne serait probablement jamais un grand motard tatoué, ou un de ces types sombres avec les bras couverts d’encre. Mais ça me plait de rêver. Peut-être qu’un jour, j’aurai quelque chose de permanent sous la peau. « Nah, ça va, merci. » Que je réponds, ne voulant pas l’embêter avec ça.

Mes pieds se dirigent vers la porte, mais je me retourne vant de poser les doigts sur la poignée. Tant pis, s’il trouve que ça sort de nulle part, ou s’il a mieux à faire. « Hey, tu fais quoi, après la fermeture ? » Que je commence, avec un air malicieux. « Je vais faire un tour au bar du coin, si t’as envie de me rejoindre. » Que je lui propose, me disant pourquoi pas, il a l’air sympa.

Pendant un instant, j'y ai cru.

Puis, ses lèvres se sont entrouvertes, à nouveau. Les mots sont sortis, encore une fois, un par un, intriguant, taquinant et titillant cet espoir s'installant progressivement en moi. Peut être qu'il restera, peut être qu'il parlera, peut être qu'il voudra en savoir plus, ce monsieur jolis yeux ... Puis, il s'arrête de parler. Mon coeur retombe, parce que je comprends que c'est terminé. Comme ça. En un claquement de doigts. Plus d'échange. Plus de regard. Plus de monsieur jolis yeux.

Mon coeur se resserre, un peu. Pas trop.

C'est toujours la même chose, après.
Un joli coeur, un jolis yeux ou un joli nez ... Un joli monsieur ... Viendra, posera quelques questions. Se fera tatouer, ou non. Puis repartira. Et moi, quand je suis là, je peux les voir, les observer. Parfois même leur parler. Mais ça ne dure jamais longtemps, et après, c'est terminé. Joli monsieur repart. Reste Oscar, son coeur lourd, ses grandes idées. Quel pathétique je fais ...

Monsieur jolis yeux pose ses doigts sur la poignée et mon coeur se resserre, davantage.

Lui, il ne reviendra pas, et alors, jamais je ne le reverrai ... Me dictent mes pensées tandis que je le regarde partir, un sourire forcé aux lèvres. Lorsque je vois qu'il ne se retourne pas, cependant, j'arrête ma comédie, abaissant mes yeux à nouveau, cherchant désespérément à me plonger dans mes comptes, ces chiffres qui m'empêchent de trop penser.

C'est alors que sa voix résonne à nouveau, me poussant à relever mes yeux, une nouvelle fois, vers lui et ses prunelles bleues. Il me demande ce que je fais, après la fermeture, un air espiègle affiché sur le visage, un peu à l'image de ces anti-héros de comédies romantiques, un peu bad boys, qui promettent une nuit particulièrement amusante à l'héroïne, elle, plus réservée. Le genre de types un peu vulgaires, mais pas trop, avec, malgré, un bon coeur, un bon fond. Le genre de types qui n'existent pas vraiment, en réalité, mais que Hollywood adore nous montrer pour nous donner l'illusion qu'on pourrait un jour en rencontrer un. Inutile de dire qu'il s'agit un peu là d'un de mes plus grand fantasmes. Mon plus gros rêve, en fait. Puis, sa question ...

Sa question, qui me surprend, me choque, m'étonne.

Il ... s'intéresse à moi ... ?

Les gens qui viennent ici s'intéressent rarement à moi ... Enfin, ceux qui m'intéressent, en tous les cas. Ceux qui me repoussent ou m'indiffèrent, c'est une toute autre histoire ... Mais évidemment, tous ceux que je remarque, que j'admire, et dont je rêverais la moindre invitation, se contentent de me sourire poliment avant de s'en aller. Parfois, ils ne prennent même pas la peine de sourire, ni de dire au revoir, d'ailleurs, disparaissant par la porte d'entrée en un rien de temps, me laissant ici, seul et abandonné.

Il veut savoir ce que je fais après la fermeture, et je crois même qu'il m'a invité à l'accompagner "au bar du coin". Ohmondieuohmondieuohmondieuohmon ... Surpris, étonné, ébahi, choqué, il doit me trouver bizarre, à le fixer de mes yeux globuleux. Pourtant, je suis incapable de formuler le moindre son, la moindre parole, la moindre pensée ...

Puis, je cligne des yeux.
Et je lui réponds. En bégayant, un peu, évidemment.

- ... Je ... Je ... Oh, oui, pourquoi pas, tiens ? Ça ... Ça pourrait être sympa ! J'essaie de lui faire mon sourire le plus encourageant et enthousiaste mais je ne suis pas sûr qu'il ait été vraiment très efficace ni même réussi. Saloperie. Reprenant un peu d'assurance, c'est avec sérieux et professionnalisme que je jette un coup d'oeil à ma montre.

- Fabio ferme officiellement dans quinze minutes, même s'il reste toujours un peu plus longtemps avec le dernier client de la journée. Mais il ne m'en voudra pas si je pars un peu plus tôt, enfin, je ne pense pas, je l'ai déjà fait avant.

Je tourne alors ma tête vers l'arrière, comme pour essayer de le voir bien que je sais d'office que ce ne sera pas possible, pas d'ici ni de cet angle. Je me retourne donc vers monsieur jolis yeux.

- Je peux partir dans quinze minutes, je pense.

Ohmondieuohmondieuohmondieuohmon ...

Me voilà tout retourné.

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