A
llongée en culotte sur le lit, devant un film d’horreur aussi choquant que la nouvelle coiffure du professeur d’art dramatique, je m’endormais, chose passablement rare. Mais de plus en plus fréquente depuis que j’étais entrée à UCLA. La vie à Los Angeles avait beau être cool et relativement trépidante, il manquait quelque chose, il manquait toujours quelque chose en fait, aucun endroit au monde ne semblait pouvoir me satisfaire. Les premiers jours, c’était toujours grisant, surprenant, intéressant, et puis les semaines passaient et l’envie de partir me reprenait. Ici ou ailleurs, je n’arrivais pas à trouver une maison. Un lieu, un espace où je voudrai rester, m’installer, vieillir. J’étais une éternelle insatisfaite, et je finissais par avoir peur de mes propres envies. Est ce que j’allais passer ma à barouder à droite à gauche ou est ce que j’allais finir par trouver une ville où je me sentirai enfin à l’aise ? Question. Bonne question. Stop. Je devais arrêter de réfléchir, déjà parce qu’à l’évidence mon cas nécessitait des mois de psychanalyse et aussi parce que chaque minute passée à monologuer mentalement sur mon futur me faisait revenir à mon passé, à mes parents et à Eliana, et ça, je refusais. L’écran de l’Iphone s’est allumé et les vibrations m’ont tiré de mes réflexions morbides, au moment même où la blonde en débardeur blanc mouillé sans soutif plus culotte/string se faisait enfin rattraper par Freddy. J’ai décroché. Dix minutes plus tard j’avais enfilé un jean, des converses et je déboulais dans le bar, celui juste à côté de l’université où tout le monde se rejoignait toujours après les cours.
Je m’ennuyais. Et j’en étais au sixième verre de whisky-coca-redbull, c’est pour dire. Une heure que la conversation tournait autour du cul du nouveau stagiaire d’art dramatique, cul que je n’avais pas eu l’occasion d’apprécier. Une heure donc à parler de quelqu’un que je ne connaissais pas. Aucun intérêt. Déjà en temps normal parler des autres c’était pas tellement mon truc, parler tout court c’était pas tellement mon truc, j’étais plutôt le genre à faire qu’à dire. Je m’étais laissée aller à regarder les lumières de la rue à travers la fenêtre quand j’ai senti cette main sur ma hanche et cette voix que je connaissais si bien couler dans mon oreille. Lachlan. Merci. Merci, merci, merci.
« Tu veux que je te laisse avec tes potes ? » J’ai ravalé de justesse un non un peu trop précipité, qui, d’après ma tante, pouvait vexer, parce que, règle numéro un en société : ne jamais montrer que l’on s’ennuie. Et règle numéro deux, ne pas être attirée par le garçon qui t’enseigne plus ou moins la photographie et avec qui tu passes trop de temps. Sur ce point là, j’étais, je pense, en train d'enfreindre la règle. Un autre sujet auquel j’évitais de penser. Penser c’est mal.
« Surtout pas » J’ai chuchoté, droit dans le creux de son oreille et j’ai presque hurlé le reste de la phrase
« Doch ! Comment ton oncle ? Ca va pas. Ca se voit que ça va pas. T’as besoin d’en parler. T’as besoin d’air. Je t’accompagne. » J’ai attrapé mon portable posé sur la table, lancé un bref signe de main au petit groupe et je l’ai attrapé par le bras en le tirant vers la foule, vers la sortie, ou l’entrée ça dépend comment on voit les choses.
« On s'en va vite » Dehors, je respire enfin.
« Tu viens de donner vie à la définition de tomber à pic, tu le sais ça ? Merci, j'en tomberai presque amoureuse de toi » Je l’adorais, Jésus, je l’adorais, tous les jours et ce soir, encore plus. Lui, ses blagues nulles, son sourire, ses yeux, son mystère et tout le reste. Je l’embrasse sur la joue et lui lance un sourire espiègle.
« Maintenant on va acheter à boire, trouver un toit où grimper et tu vas me raconter comment va ton oncle imaginaire atteint d’un cancer du pancréas ». Ma soirée commençait enfin, même si, j'aurai raisonnablement dû m'éloigner de Lachlan parce que les choses commençaient à irrémédiablement m'échapper et que j'en étais arrivée à avoir peur de lui, et de l'état d'esprit dans lequel j'étais quand il était dans les parages. Mais j'étais déraisonnable, malheureusement.