THE ONE THAT GOT AWAY
Mes doigts enserrent la clé au fond de la poche de ma veste et la font tourner dans tous les sens tandis que mes pas me rapprochent chaque seconde un peu plus de la façade détériorée de ce vieux bâtiment du South. La devanture de ce dernier est autant marquée par le temps que par l’encrassement accumulé au fil des années. Le ravalement s’efface petit à petit et on parvient même à observer le contour des pierres à certains endroits… Oh, ça ajoute un petit charme, un qui a peut-être réussi à charmer Riley, même si je me doute que c’est plutôt le prix qui l’a convaincue.
Aux alentours, il n’y a pas une grande activité. Le jour s’est levé depuis déjà deux bonnes heures mais il faut croire que les gens dans le South ont une vie un peu décalée. Pas comme celle de mon amie qui, si mes souvenirs sont bons, se rend tous les mercredi matin tôt dans son atelier afin d’y travailler. J’ai eu plusieurs fois l’occasion de l’y retrouver pour faire de multiples essayages, faisant office contre toute attente d’une remarquable poupée pour ses doigts et yeux méticuleux. Mais si je m’y rends aujourd’hui, ce n’est pas parce qu’elle m’y a donné rendez-vous. Le rendez-vous, je me le suis donné tout seul parce que ça fait un moment que je n’ai pas entendu le son de sa voix, ni même que je l’ai croisée. Et puis, qu’on se le dise, je ne suis pas totalement blanc ; l’envie de la surprendre dans son propre atelier me réjouit d’avance et m’incite même à accélérer l’allure.
La clé que j’insère dans la porte, c’est un double qu’elle m’avait donné par arrangement il y a de cela plusieurs semaines, sans néanmoins penser à me la redemander au moment où on s’était quittés. Un oubli dont elle n’a pas dû se souvenir depuis et encore moins s’inquiéter. De toute façon, ce n’est pas comme si j’avais grand intérêt à aller semer la pagaille dans son antre de créatrice, bien au contraire. Une fois arrivé dans la pièce principale, de taille moyenne, je cherche du regard un endroit susceptible de me dissimuler pendant quelques minutes, le temps qu’elle mette pieds ici. Je n’ai même pas l’opportunité de zieuter tout ce qui traîne, couleurs, tissus et outils, car j’entends le bruit de la porte d’entrée se rouvrir. Je me précipite alors sous une pile de tissus dans un coin, suffisamment haute pour me recouvrir tout entier. Et puisque seuls mes yeux ne sont pas recouverts, j’en profite, quand elle entre, pour laisser mon regard l’observer, dans le plus grand des silences. La suite ne sera qu’improvisation mais déjà l’adrénaline circule dans mes veines.
Je serais juste l'attrape-cœurs et tout. D'accord, c'est dingue, mais c'est vraiment ce que je voudrais être. Seulement ça. Salinger