Keep calm and enjoy coffee (Gabriel)

KEEP CALM AND ENJOY COFFEE

Gabriel & Adélaïde

Si l'enseigne était connue pour ses cafés brûlants et ses chocolats chauds en tout genre, ce n'était pas sa principale activité lorsque le soleil frappait Los Angeles de plein fouet et ce, dès le début de la journée. Evidemment, ils continuaient à en produire en masse mais un élément non négligeable s'ajoutait à chaque recette: des glaçons! Des boissons glacées, frappées, peu importe, la fraîcheur était le leitmotiv de ce début d'été particulièrement chaud. Adélaïde faisait partie de ces personnes du matin droguées au café et maintenant qu'elle avait fait sa séance en salle de sport et pris une douche réparatrice, c'est bien la porte du starbucks qu'elle poussait dans les alentours de dix heure du matin pour s'octroyer un petit réconfort. Après quelques minutes d'attente à cause de la file de personnes déjà présente, c'est armée d'un caramel macchiato glacé qu'elle trouvait une place au bar de la grande salle déjà pas mal bondée. Si les étudiants étaient en vacances, elle trouvait étonnant que tant de monde soit déjà là, et surtout des trentenaires à vrai dire. Tout le monde était déjà en congés ou était-ce une simple coïncidence? Elle n'en savait rien, tout ce qu'elle constatait c'est qu'elle s'installait, justement, à côté de l'un d'eux, de trentenaire. C'est du moins l'apparence qu'il en avait. « J'espère que la place n'est pas prise. » Parce que c'était possible qu'il attende quelqu'un et que la place soit réservée après tout... ce qui serait relativement embêtant aussi parce qu'elle serait obligée de se retrouver dehors, la place au bar étant la seule restante dans ce brouhaha caféiné et Adélaïde n'était pas une adepte des banquettes où si elle avait le malheur d'y poser ses fesses, elle n'en bougerait plus pendant des heures.

« Adélaïde. » se présentait-elle avec un sourire poli sur les lèvres avant de coincer la paille de sa boisson entre ses dents pour en boire un peu. Bon sang ce que ça faisait du bien! Une boisson fraîche, une salle climatisée, possiblement une nouvelle rencontre s'il était un peu bavard, un bon coup de boost pour la journée en somme! Si la plupart des personnes voyait ce lieu comme un lieu de passage, la jeune femme de son côté profitait toujours de cet endroit pour faire des rencontres et pour se détendre et la concernant, la détente passait par le dessin. C'est d'ailleurs pour cette seule et unique raison qu'elle attrapait une serviette à la disponibilité des clients et qu'elle acceptait avec un sourire le crayon qu'une des employés lui tendait. « Merci Jil. » Habituée des lieux, elle connaissait presque tous les employés et ils avaient l'habitude de la voir au bar tous les matins ou presque en train de dessiner sur une serviette en papier qu'elle dissimulait ensuite dans les autres pour laisser la surprise à un inconnu. Malheureusement ce matin, panne d'inspiration. C'est donc naturellement qu'elle se tournait vers son voisin. « Vous auriez une idée de ce que je pourrais dessiner? »

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L’atmosphère déjà, en cette matinée d’été, était irrespirable. Chaude, voire brûlante. Brise, air, souffle du vent. Inexistant. Le mercure promettait de flirter avec les plus hautes températures. Avant de me rendre à la librairie, je profitai pour aller boire un café frappé au Starbuck. Je poussai la porte. Magique. La climatisation fonctionnait. Ni trop forte, ni trop faible. Longue inspiration. Je balayai la salle du regard. Peu de monde. Je n’étais pas agoraphobe, mais j’aimais bien les endroits sans trop de populace. J’approchai du comptoir. Des places étaient libres. Inutile de m’accaparer des banquettes. Seul. Inutile. Désolant. Je m’installai. Je fis signe à un serveur. Je passai ma commande. J’attrapai un journal à côté de moi. Je balayai la une tandis que mon café frappé poignait le bout de son nez. L’odeur du café vint titillait mes narines. Attrapant ma tasse, je portai le précieux breuvage à mes lèvres. Rafraîchissant. Mon attention se porta, déformation professionnelle, sur les critiques des derniers ouvrages parus. Certaines critiques n’y allaient pas avec le dos de la cuillère. Elles étaient très éclairantes. Toutefois, je me ferais, pour certains ouvrages ma propre opinion. Les goûts et les couleurs ne se discutent pas après tout. Je tournai les pages, une à une, m’informant de la situation dans le pays, dans le monde. Je bus une gorgée de café glacé. Mes yeux étaient absorbés par les articles qui se succédaient les uns après les autres. Le Starbuck se remplissait. Les conversations fleurissaient à droit, à gauche.

Je sentis soudainement une présence à mes côtés. Voix délicate. Elle s’inquiéta de savoir si la place était réservée. Je les yeux vers l’origine de cette voix. Une chevelure blonde. Des yeux magnifiques. Je ne vis aucune objection qu’elle s’assied à mes côtés. J’étais seul. « Maintenant oui ! ». Dis-je, avec un léger sourire, bienveillant. Elle se présenta. Adélaïde. Comme la mère de l’héroïne d’Une vie de Guy de Maupassant. La baronne Adélaïde, mère de Jeanne Le Perthuis des Vauds. Prénom des plus ravissant. Elle aspira dans la paille quelques gorgées de sa boisson. Dans un souffle, je lui répondis : « Enchanté. Gabriel ! ». Je me délectai d’une rasade de ma boisson. Les yeux tournaient vers elle, je la vis attraper une serviette. Une serveuse qui répondait au prénom de Jill et qu’elle semblait connaître lui prêta un stylo. Je n’eus pas de difficultés à imaginer son objectif. Dessiner. Ma propre mère, lorsqu’elle était plus jeune dessinait un peu sur tous les supports qui lui tombaient sous la main. Serviettes, boîtes de médicament, sets de table en papier. « Vous avez une âme de Picasso ? Lui aussi s’adonnait au dessin sur des serviettes en papier ! Sans pour autant les signer bien sûr ! ». Dis-je en souriant. Pas folle la guêpe. Il connaissait sa popularité. Il n’allait pas apposer sa signature n’importe où. N’ayant visiblement pas d’inspiration, elle me demanda si je n’avais pas une idée de dessin. Vaste question. « Fermez vos yeux. Respirez doucement et couchez sur le papier ce que vous voyez ! Paysage, personne, monument… » Dis-je calmement. Vider son esprit était une bonne solution pour trouver un sujet d’inspiration. Cette méthode, simple, avait fait ses preuves, notamment avec moi, lorsque ma mère tentait de m’inculquer son art.

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Gabriel & Adélaïde

Un seul but à sa venue: se rafraîchir et se requinquer un peu de sa séance de sport intensive. La chaleur de Los Angeles devenait de moins en moins supportable et les différentes enseignes qui jonchaient les rues ouvraient leurs portes ou, au contraire, les gardait précieusement fermées avec la clim en route. C'était le cas du Starbucks où, paradoxalement, on pouvait vous servir un café chaud dans un endroit frais. Il parait que boire du chaud aidait au rafraîchissement... Adélaïde n'avait jamais eu envie de tester cette hypothèse et encore moins aujourd'hui alors qu'elle tirait sur sa paille pour boire de sa boisson tout en se présentant au jeune homme près de qui elle prenait place. Dès qu'il se présentait, bêtement, c'est un sourire qui apparaissait sur le visage de la blonde. Étrangement, elle trouvait qu'il ressemblait un peu à l'acteur qui jouait l'archange Gabriel dans une série... de loin, certes. Et forcément, son esprit se tournait indéniablement comme tout le monde vers le véritable archange Gabriel, messager de Dieu... ou un truc comme ça... à vrai dire elle ne s'intéressait pas spécialement à la religion m'enfin soit, c'était un joli prénom en tout cas.

Attrapant une serviette et un stylo, elle se penchait dessus comme on pourrait se pencher sur un journal ou sur un carnet, avec cette concentration et cette attention particulière. Un sourire aux lèvres, elle relevait son regard vers Gabriel. « J'ai pas la prétention d'avoir une âme de Picasso, seulement un coup de crayon qui pourrait être plaisant et réconfortant pour quelqu'un. » Tout simplement, elle ne cherchait pas plus que cela malgré les études qu'elle avait entreprises. Contrairement à Picasso, ou peut-être était-ce un point commun, elle ne savait pas trop, elle avait une petite panne d'inspiration et c'est naturellement qu'elle avait demandé un petit coup de pouce à son voisin. Attentive à ses mots, elle n'en fit pourtant rien, le regard fixe sur lui. « J'ai pas besoin de fermer les yeux pour voir quelque chose ou quelqu'un finalement. » Un sourire malicieux sur les lèvres, elle commençait à donner quelques coups de crayon, son regard passant de la serviette à Gabriel, ses prunelles pleines de concentration. Oui elle était en train de le dessiner, et sans son autorisation en plus. Enfin, s'il n'avait pas envie que sa trouille soit piochée par un inconnu, il n'aurait qu'à garder la serviette ou la mettre à la poubelle de lui-même, peu importe pour la jeune femme tant qu'elle arrivait à se détendre en dessinant un peu. « Vous avez un aperçu de ce que j'étudie quand on est pas en vacances. Et vous, vous faites quoi? » Demandait-elle sans se stopper dans ce qu'elle faisait pour autant. Au bout de quelques minutes, c'est sans prétention qu'un petit dessin sur le coin de la serviette faisait son apparition. Serviette qu'elle faisait glisser sur le comptoir jusqu'à Gabriel où l'on pouvait l'apercevoir, visiblement de bon matin. « Petit cadeau. Pour vous, pour quelqu'un de proche ou non, ou même la poubelle, a vous de choisir. »

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L’âme de Picasso. Impossible. Picasso est un artiste unique. Impossible de surpasser le maître. Elle était lucide. J’appréciai sa maxime. Plaire. Réconforter. Le dessin c’était partager. Elle ne cherchait pas la perfection. Juste à transmettre une émotion aux hommes et aux femmes qui l’entouraient. En toute simplicité. Credo louable. Une serviette en main. Pensive. Touchée par le syndrome de la page blanche ? Elle me demanda conseil. J’en fus honoré. Je ne suis pas certain qu’elle l’ait écouté. Fermer les yeux. Evacuer toute pensée néfaste. Laisser sa main la guider. Finalement tracer ce qu’elle voyait. Pourtant, malgré son regard fixé sur moi, son écoute attentive, elle avait choisi sa propre voie. Je la vis rapidement griffonner sur la serviette. Je bus une gorgée, ne souhaitant pas regarder au-dessus de son épaule. Pourtant ma curiosité grandissait et devenait difficilement tenable. Je sentais son regard sur moi. J’entendais, malgré le brouhaha, le frottement de son stylo sur la serviette. Peut-être me concentrais-je seulement sur les mouvements de sa main. Elle faisait cela avec dextérité, tout en nourrissant la conversation. Elle aussi étudiait l’art donc. Ces derniers mois j’en croisais des étudiants en art. Liam, puis elle, Adélaïde. Ce n’était pas commun, même pour moi qui pourtant baigner depuis ma prime jeunesse dans le monde des arts. Elle termina sa tirade en me questionnant sur mon travail. Normal. Je souris. Bêtement à coup sûr. Je n’étais pas certain qu’elle ait pu le voir, trop concentrée sur son dessin : « Ecoutez, j’ai un métier moins artistique. Je suis libraire ! » Et fier de l’être. Je parlais livre. Je pensais livre. Je vivais livre. Le livre était ma vie. Ma vie était un livre. Des joies, des peines. Des rencontres, des déceptions. Ce qui fait le piment de la vie. La tasse de café, portée à mes lèvres, je ne remarquai pas qu’elle glissa sa toile improvisée sous mon nez. Posant la tasse, je zieutai l’œuvre. Le cadeau de sa part. Ressemblant. Même si je n’étais pas rasé ce matin. En quelques instants, elle avait su croquer l’être que j’étais. Sans lui montrer, j’étais touché. Certes, ma mère l’avait fait des dizaines et des dizaines de fois, mais là, une inconnue. Emouvant. Poubelle. Non ! Ce croquis ne méritait pas un tel sort. Le sujet était banal, certes, mais de là à vouloir m’en débarrasser. Non ! Je ne pourrais faire ce geste. Je n’oserais le faire. « Vous avez du talent ! Je vous remercie pour ce cadeau plaisant » Je m’interrompis une seconde afin de reprendre ma respiration. « Soyez rassurée ! Votre dessin ne terminera pas à la benne ! C’est de l’art ! Je suis un piètre artiste mais l’art me touche, tous les jours, dans sa variété ! » . J’étais allé à bonne école avec Alice Hartt comme mère même si mon manque de talent l’attristait. Malheureusement, je n’avais pas le sien. Je bus une gorgée de café frappé. Rafraîchissant. J’observai toujours mon portrait. Narcissique ? Un peu ! Il faut l’être de temps en temps. Je relevai les yeux vers la jeune femme : « Que faites-vous de vos vacances, à part dessiner par plaisir des inconnus accoudés au comptoir. » Une manière pour moi d’en connaître un peu plus sur ma voisine.

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Gabriel & Adélaïde

Tout en dessinant, elle l'interrogeait naturellement sur ce qu'il faisait dans la vie. Après tout, il lui avait posé la question en premier, elle pouvait bien se permettre de la lui retourner. Elle était attentive à ce qu'il disait, son dessin qui ressemblait étrangement à un croquis n'ayant pas besoin de réelle concentration. Il était libraire. Une forme moins artistique selon lui. Ça dépendait du point de vue à vrai dire. « L'art de connaitre bon nombre d'auteurs et leurs œuvres, et pas seulement de titre ou de vues. De savoir les raconter, les conseiller, les vendre au premier venu indécis, ce n'est pas donné à tout le monde. » C'était une forme d'art de savoir conseiller, orienter, faire aimer un bouquin alors qu'on aurait habituellement jamais posé les yeux dessus. Certes, un art très différent mais en soi, ce n'était pas donné à n'importe qui d'avoir cette capacité de persuasion et d'attention. Du moins elle l'imaginait ainsi. Après tout une libraire qui ne sait pas convaincre, c'est probablement un libraire au bord de la faillite et même si elle ignorait la situation actuelle de la boutique de Gabriel, il semblait plutôt zen comme type, bien loin de l'attitude d'une personne sur le point de tout perdre.

Un sourire aux lèvres, elle l'écoutait parler avec amusement. Qu'on parle de ses dessins de la sorte, ça lui faisait toujours aussi bizarre. Elle avait intégré l'université que cette année, qui plus est en fin d'année. Jusque-là, elle n'avait connu que les cours à domicile et on était loin de traiter ses dessins ainsi. Evidemment, on ne disait pas que c'était de la merde, certes ils étaient bien, mais il y avait toujours des conseils à donner, des rectifications possibles à faire, des détails à peaufiner et dire qu'un croquis était de l'art, c'était amusant pour elle, et bizarre, peu habituée à employer ce mot. « Faut se dire que c'est une serviette en papier. Une fois usée, c'est sa place la poubelle. Mais je suis flattée que ce sort ne sera pas le sien aujourd'hui. On sait jamais, ça pourrait vous rapporter gros dans quelques années avec un peu de chance. » Disait-elle avec le sourire. C'était possible mais ça pouvait être totalement faux. Peu importe pour Adélaïde, elle pouvait ne pas être reconnue qu'elle s'en fichait tant qu'il lui restait du temps pour dessiner, c'était le plus important. « Je crois que je fais un peu comme tous les jeunes de mon âge. Je fais la fête, je profite du soleil, de la mer, de la piscine, du temps libre avec les copains, je fais de la danse aussi et je profite de mon lit quand j'en ai le temps. » Paradoxal pour des vacances, n'est-ce pas. « Et vous? Vous êtes en vacances ou faites partie des travailleurs malchanceux par ce temps estival? » Parce qu'il fallait avouer qu'avec un temps pareil, on avait probablement envie de faire autre chose que travailler, peu importe si notre métier est passionnant ou non. « Si ça se trouve, je vous met en retard pour vous rendre à votre travail d'ailleurs. » Pipelette qu'elle était.

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Dans le fond, elle n’avait pas tort. Il s’agit d’un art de jongler avec autant de référence à la fois. C’était un travail intellectuel particulier. Une vraie gymnastique. Je l’écoutai enjoliver mon métier, qui pour beaucoup est poussiéreux. « En effet, il faut parfois être un orateur ! Pour convaincre les plus sceptiques du bien fondé d’une lecture ! Ce n’est pas chose aisée, surtout lorsque l’on tente d’embarquer les lecteurs en dehors des sentiers battus, de ce qu’ils connaissent et apprécient. » Justement, mon rôle c’est de les inciter à découvrir autre chose. Des livres qu’ils n’auraient probablement jamais ouverts si je leurs avais pas fait connaître. C’est une petite victoire pour moi, chaque fois qu’une personne acquiert un ouvrage que je lui ai conseillé. La victoire est d’autant plus belle si la personne revient satisfaite.

Non, je n’allais pas jeter son dessin. J’étais assez touché par son geste pour le faire. Sur le ton de la plaisanterie, j’imaginais que dans quelques décennies il pourrait me rapporter des sous. Peut-être. L’avenir nous le dira bien assez tôt. Ma mère avait galéré de nombreuses années avant d’être reconnue par ses pairs. Dure vie d’artiste. Heureusement qu’elle avait le soutien indéfectible de mon père. En souriant, je la taquinais : « Pour qu’il ait une valeur numéraire dans l’avenir, il faudrait une signature ! ». Ne pas faire comme Pablo Picasso, qui connaissait la valeur que prendrait son croquis signé. J’agitai sous ses yeux la feuille pour accentuer les choses. Bien sûr je ne la forçais en rien. Après, si elle voulait y glisser son numéro de téléphone, pourquoi pas. Toutefois, jel n’en étais pas encore là.

Elle lui énuméra tout ce qu’elle aimait. Beaucoup de chose. Elle profitait amplement de ses congés. Pour ma part ce n’était pas le cas. Je travaillais. Etre libraire c’est travaillé six jours sur sept, et avoir des congés limités. Mais c’était ma passion, je ne m’en lassais pas. Au contraire. Chaque jour je rencontrais de nouvelles personnes. Chaque jour je partageais ma passion. Chaque jour je découvrais de nouveaux livres, de nouvelles perles littéraires. « Contrairement à vous, je ne suis pas en vacances et, soyez rassurée, vous ne me mettez pas en retard pour mon travail ! » Pour l’instant. Je vis qu’elle avait de la discussion, et de la curiosité également. Ce n’était pas pour me déplaire. Je regardais ma montre, j’avais encore un peu de marge pour arriver à la librairie, d’autant plus que je ne faisais pas l’ouverture aujourd’hui. « Nous avons encore le temps de partager une autre boisson. Sauf si vous devez aller croquer d’autres personnes ! » La phrase terminée, je me rendis compte du double sens qu’elle pouvait avoir. Je n’avais pas pourtant devant moi une cannibale, mais plutôt une ravissante demoiselle pleine de ressources. Je repris : « Sauf si vous devez vous exercer sur d’autres personnes ! »

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Gabriel & Adélaïde

Haussant un peu les épaules, un sourire sincère sur les lèvres, elle ne rajoutait qu'une conclusion à leurs paroles. « Tu vois finalement, t'es un peu artistique quand même comme garçon. » Naturellement le tutoiement avait fini par s’immiscer dans la conversation et Adélaïde ne s'en excusait pas pour la simple et bonne raison qu'elle n'en voyait pas l'intérêt. S'il n'aimait pas ça, il allait vite lui faire comprendre sans qu'elle n'ait à dire quoi ce soit, elle lui faisait confiance pour cela. Tout comme elle lui faisait confiance lorsqu'il avouait qu'il ne comptait pas jeter son dessin, même si de son côté, elle s'en fichait un peu, plaisantant même sur la possible fortune qu'il pourrait se faire avec ce croquis un peu plus tard si elle était amenée à être connue du grand public. Cela dit, Gabriel notait un point peu négligeable: la signature manquante sur le morceau de serviette. C'est vrai qu'en y pensant, c'était une sacrée preuve de vérité et si certains artistes ne signent pas leurs œuvres pour éviter qu'on puisse se faire de l'argent sur eux, du côté d'Adélaïde, ça n'avait pas d'importance. Elle avait déjà plus d'argent qu'elle ne pourrait jamais en dépenser, alors si quelqu'un peut se faire un peu d'argent lui-même avec ses dessins, pourquoi pas. C'est pour cette raison qu'elle attrapait la serviette agitée par Gabriel pour y apposer sa signature. « Voilà, t'as toutes les chances de ton côté maintenant pour avoir un futur petit trésor chez toi, peut-être. »

Finalement la conversation finissait par se tourner vers le jeune homme, la curiosité de la demoiselle piquée. Qu'est-ce qu'il faisait dans la vie? Que faisait-il lors de ses vacances si jamais il était en vacances? Adélaïde mettait-elle Gabriel en retard à son travail? Des questions qui se retournaient naturellement, des questions qu'elle se posait, curieusement. Il était rare qu'elle s'intéresse spontanément à des inconnus après tout, elle reste humaine et tout le monde sait que les humains ont cette peur de l'inconnu, ont cette tendance à rester en groupe avec ceux qui leur ressemblent. Étrangement, il semblait y avoir de bonnes ondes entre eux, assez pour qu'il lui propose une seconde boisson sur le temps qu'il lui restait avant d’emboîter sur son boulot. Un rire passait le seuil de ses lèvres alors que Gabriel se rattrapait aux branches comme il pouvait. Le pauvre s'enfonçait tout seul. « Je n'ai personne d'autres à croquer. » Insistait-elle, le regard amusé, presque moqueur. « Par contre c'est dans un cupcake red velvet que je croquerais bien. Je meurs de faim! » La séance de sport commençait à se faire ressentir sur son estomac et si habituellement elle prenait des encas plus sains pour la santé, elle s'autorisait ce genre de plaisir de temps en temps. « Je pourrais peut-être manger mon gâteau et toi boire ta boisson en allant vers ton boulot si tu veux. » L'accompagner, elle n'avait que cela à faire de toute façon s'il voulait.

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Elle n’avait personne d’autre à croquer dans les environs immédiat, du moins pas d’humain. Elle désirait simplement croquer dans une pâtisserie. Le contrecoup de sa séance de sport matinale. Elle voulait un cup cake red velvet. Je ne connaissais pas. Elle proposa du tac au tac de m’accompagner jusqu’à la librairie. Idée sympathique. Je lui lançai un sourire. « Volontiers ! ». Je fis signe à un serveur. Quelques secondes plus tard l’un d’eux arriva, le sourire aux lèvres, prêt à prendre notre commande. « Un cup cake red velvet et un café, à emporter. Merci ! ». Il s’éclipsa avec la commande. Je me tournai vers la belle blonde prêt à enchaîner la conversation quand le serveur revint. Rapide le mec. Il tendit dans un premier temps le cup cake. Vraiment appétissant. Puis le café. Je payai la note. « Je comprends pourquoi vous vouliez croquer dans ce cup cake. Comment résister ? ». Il s’agissait pour la jeune femme du petit réconfort matinal, pour se requinquer après tant d’effort. Après l’effort, le réconfort dit l’expression consacrée.

Je bus une gorgée de mon café avant de me lever. « On y va doucement ? » Je ne voulais surtout pas la presser, mais il fallait quand même que je me rende à la librairie. Je n’étais pas en retard, mais il ne fallait pas que je traine. « Après m’avoir accompagné jusqu’à la librairie, qu’avez-vous prévu de faire de votre journée ? » Demandai-je machinalement pour poursuivre la conversation. J’ouvris la porte, la tint afin qu’elle sorte avant de lui indiquer ma direction. A droite. La chaleur extérieure était déjà, à cette heure-ci, presque étouffante. Il fallait arriver rapidement à la librairie pour pouvoir goûter à nouveau aux délices de la climatisation. « Je ne veux pas vous poussez à la consommation mais je pense avoir dans ma librairie des ouvrages sur l’art qui peuvent vous plaire ! ». De beaux livres sur Frida Kahlo, Rubens, Raphaël ou encore Dali. Les lui montrer ne serait-ce que pour le plaisir des yeux.

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Gabriel & Adélaïde

Finalement, Adélaïde avait décidé d'accompagner Gabriel jusqu'à son travail, si ce dernier était partant bien évidemment. Elle qui n'a pas toujours été très ouverte aux autres, elle se sentait plutôt à l'aise en sa présence et elle trouvait cela dommage de couper court à leur conversation maintenant. Heureusement pour elle, le jeune homme acceptait sans difficulté sa proposition. Elle le laissait alors commander, attendant patiemment le serveur qui ne mettait pas de temps à revenir vers eux non plus. Attrapant son cupcake, elle remerciait le serveur d'un sourire avant de se tourner vers son interlocuteur. « Merci pour le cupcake. » Après tout, c'est lui qui venait de payer, c'était le minimum que de le remercier. « Tu veux goûter peut-être? » Lui demandait-elle en lui tendant le gâteau, au cas où. Il est vrai qu'il avait raison, elle résistait rarement au pâtisserie et tout particulièrement face à ce cupcake, même s'il était plus chimique qu'autre chose, il fallait l'avouer, cette couleur rouge flamboyante n'avait clairement rien de naturel m'enfin cela, elle s'en fichait un peu, elle était loin d'être de ces filles à suivre les modes vegan, sans gluten et blablabla. Elle mangeait ce qu'elle voulait et son envie s'était porté sur ce gâteau individuel.

Hochant doucement la tête, elle suivait le jeune homme à l'extérieur du café, décidée à l'accompagner. Réfléchissant un instant, elle haussait doucement les épaules. « A vrai dire, c'est plutôt rare que je prévois mes journées quand je suis en vacances. Je vis au jour le jour comme on dit et pour le moment j'ai rien de prévu mais il est fort possible que dans le courant de la journée je me baigne et/ou je dessine ou je danse. » Parce que d'une part, l'été étouffant faisait qu'elle profitait largement de la piscine de la villa de son père et d'autre part, ses passions finissaient toujours par faire surface à un moment ou un autre. Suivant méticuleusement son compagnon de route, elle croquait dans son cupcake qu'elle savourait à chaque bouchée avant d'aligner quelques mots une fois sa bouche vidée. « Et toi qu'est-ce que tu comptes faire? A part continuer à me vouvoyer alors que tu pourrais me tutoyer comme je le fais. » Un sourire malicieux rempli de bêtise sur les lèvres, elle hochait finalement la tête. « J'ai hâte de les voir alors. » Ne serait-ce que les feuilleter vite fait, par curiosité ou les acheter pour ceux qu'elle pourrait aimer. Une hâte qui se lisait un peu sur son visage enjoué, l'art lui faisant toujours cet effet, ou presque toujours. « Tu n'as aucune autre passion ou centre d'intérêt à part tes livres? »

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Elle me proposa de goûter à son cup cake. Il est vrai qu’il faisait envie. Sa robe rouge flamboyant, son glaçage. Il était vraiment appétissant. J’y aurais bien mordu dedans. Très volontiers. Mais je ne voulais pas succomber à la tentation. Il était son petit plaisir. A elle. Autant qu’elle le savoure. Elle l’avait bien mérité. « Non, c’est gentil ! Je ne veux pas vous priver d’une portion de ce plaisir ! », Tout en ramenant à ma bouche le café. Puis nous quittâmes l’établissement pour nous mêler à la foule des travailleurs se rendant à leur travail, affrontant par la même occasion la chaleur matinale qui recouvrait la ville à peine sortie de sa torpeur. Alors que je lui demandai le programme de sa journée, si elle en avait un, elle me répondit qu’elle vivait au jour le jour. Excellent crédo. Le libraire que j’étais, commença alors à lui citer l’extrait d’un poème : « Cueille dès maintenant les fleurs de la vie, car la mort est si pressée que le frêle bouton qui s’ouvre aujourd’hui aura bientôt trépassé. ». Il faut profiter du temps présent, ne pas s’accrochait au passé, mais apprendre de ses erreurs.

« Vous dansez ? Classique, moderne, contemporaine ? » Interrogeai-je curieux, moi qui ais toujours été un piètre danseur. J’étais plus réputé pour marcher sur les pieds, plutôt que de les mouvoir avec grâce et légèreté. A mes yeux, elle apparaissait, petit à petit, comme une véritable artiste. Puis elle me retourna la question, et m’envoya par la même occasion une pique. Elle me reprochait mon vouvoiement à son encontre. Déformation professionnelle. L’habitude de vouvoyer les inconnus, les clients qui visitent la librairie. Cela était devenu une habitude. « Excusez-moi, enfin… Euh… Excuse-moi… » Dis-je avant de sourire. « On se défait que trop rarement des habitudes. Je préfère vouvoyer au premier abord. Mais si tu préfères… ». Je bus une gorgée de café avant de reprendre. « Travail jusqu’à dix-neuf heures ! Peut-être qu’après j’irais me faire une toile, ou une ballade nocturne ! Je ne sais pas encore. ». Profiter ainsi de la fraicheur d’une salle climatisée, et ainsi parfaire ma culture cinématographique ou profiter tout simplement de la fraicheur du soir, et confier mes pensées aux étoiles et à la lune.

Lorsque je lui parlai de livres d’art, de beaux livres, elle semblait intéressée. « Vous avez des peintres, dessinateurs, artistes fétiches, qui vous inspirent dans vos dessins ? ». Je venais de me rendre compte que le vouvoiement, naturellement, avait repris sa place initiale. Avec un sourire gêné je lui présentais des excuses : « Je vais y arriver ! Excuse-moi ! ». Je bus une nouvelle gorgée de café. Nous continuâmes de marcher vers la librairie lorsqu’elle me demanda si j’avais d’autres passions que les livres. Je commençai à rire. Je ne cherchais pas à me moquer d’elle, mais plutôt je riais de l’image que je lui renvoyais. Visiblement, à par les livres, je n’avais pas d’autres passions. Certes, la librairie était un peu comme mon bébé, elle était ma vie car elle me permettait de gagner mon pain, mais j’étais tout de même attiré par d’autres domaines : « Je ne suis pas un vieux libraire seulement amoureux de ses livres qu’il considère comme ses propres enfants, je vous… je te rassure ! J’aime le cinéma, je me fais des toiles, de temps en temps, l’art en général, ma mère est d’ailleurs artiste peintre. Je fais du sport : footing, natation… Il faut bien s’entretenir… J’aime bien apprendre et découvrir de nouvelles choses. Je suis très ouvert ! » Me confiai-je dans cette longue tirade.

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Gabriel & Adélaïde

« Comme tu veux. » Disait-elle en croquant dans son cupcake, prenant le soin de ne pas s'en mettre partout, tout de même. Elle aurait pu prendre son temps pour le manger, le dévorer par petites bouchées, toutes bien espacées pour pouvoir en profiter un maximum de temps mais à vrai dire, la chaleur était tellement écrasante déjà de bon matin qu'elle savait que le glaçage ne tiendrait jamais le choc si elle ne le mangeait pas maintenant. Bien entendu, n'allez pas croire qu'elle faisait sa morfale non plus, Adélaïde avait toujours cette part d'elle qui avait une éducation de haute société et forcément, savoir se tenir en public, c'était devenu naturel pour elle. Continuant son chemin en compagnie de Gabriel, elle le suivait tranquillement, prenant soin de ne pas trop s'éloigner pour ne pas le perdre, il ne fallait pas croire, la foule de Los Angeles était à même de vous éloigner d'une personne si vous ne le suivez pas de près. L'écoutant d'une oreille attentive, elle souriait un peu à ce qu'il citait. Elle ne pouvait pas prétendre connaître parce que ce n'était pas le cas. En revanche... « Je trouve ça joli. D'où ça sort? » Une soif de curiosité jamais étanchée.

« A vrai dire, j'ai commencé par du classique quand j'étais petite et au fil du temps ça a évolué vers le contemporain je dirais mais quand on observe bien, je n'ai pas vraiment de style particulier, j'ai gardé quelques mouvements du classique, j'ai appris un peu de moderne aussi. Disons que c'est un mélange de tous les genres mais essentiellement basé sur le contemporain quand même. » Finalement, elle-même ne savait pas vraiment ce qu'elle faisait. A partir du moment où le tout était joliment construit en restant dans la finesse, cela lui importait peu ce qu'elle pouvait faire ou non. C'est en lui retournant la question qu'elle en profitait pour lui demander de la tutoyer, bien plus à l'aise avec ça. Il était vrai que pour le coup, elle était peut-être un peu égoïste parce que si elle était plus à l'aise de son côté, ce n'était peut-être pas le cas de Gabriel mais franchement, non seulement ils avaient actuellement une relation d'inconnu à inconnu voir de connaissances mais en plus, ils n'étaient pas assez vieux, au regard d'Adélaïde en tout cas, pour rester bloquer sur le vouvoiement éternellement. Elle était comme ça, une rapide en besogne! En tout cas pour ce genre de détail. « T'excuses pas, c'est pas grave. Il y a pas mort d'homme. »

Un sourire poli et gentil sur le visage, elle préférait se concentrer sur ce qu'il lui disait. « C'est un programme plutôt calme à ce que je vois. » Elle n'en tirait pas forcément de conclusion hâtive, elle ne faisait qu'émettre les faits bien qu'il semblait plutôt calme en général comme homme au premier abord. « Et ça serait quoi comme film? Tu as déjà regardé ce qui passait en ce moment? » Une simple question qui cachait pourtant le désir d'en savoir davantage sur lui et sur ses goûts. Était-il plus film d'action, romantique, drame, thriller? « Non, je n'ai pas spécialement de favoris. Je m'inspire plus de ce qui m'entoure, de mon histoire que des autres artistes même si ça m'empêche pas d'apprécier ce qu'ils font. Il y a un artiste dont j'aime beaucoup les œuvres en ce moment, il s'appelle Patrice Murciano. » Son cupcake terminé, elle profitait de leur passage près d'une poubelle pour jeter sa serviette et la coupelle de papier du gâteau, elle attrapait aussi sa bouteille d'eau dans son sac pour quelques gorgées fraîches tout en tendant l'oreille. « Et t'as jamais tenté autre chose en dehors de l'art et du sport? Comme la cuisine par exemple. » De son côté, c'était une piètre cuisinière mais ça, c'était une autre histoire.

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Elle me demanda d’où provenaient ces beaux verres. Je laissais planer quelques secondes de suspense avant de répondre, posément : « De l’œuvre de Walt Whitman pour les puristes… Du Cercle des poètes disparus pour les profanes ! » . Réplique de feu Robin Williams alias Monsieur Keating. Un de mes films préférés. Robin Williams est juste magistral dans ce chef-d’œuvre du septième art. Puis, elle me confia que sa danse de prédilection restait la danse contemporaine bien qu’elle ait des aptitudes en danses classiques et modernes. Elle devait, sans difficulté se débrouiller mieux que moi. « Je suis pour ma part un piètre danseur… Jambes trop raides ! » . Je me fais vieux surtout. 30 ans. Je commence à rouiller. Je n’ai plus les gambettes de mes 15 ans, malheureusement. Puis je bafouillai entre tutoiement et vouvoiement, sous les yeux amusés de la jolie blonde.

Lorsque je lui indiquai ma potentielle soirée. Une toile, probablement, elle releva le côté, calme, tranquille de la soirée. Bien trop tranquille. Curieuse, elle me demanda si j’avais une idée du film que je comptais voir. Je n’en avais pas la moindre idée. A vrai dire, cela faisait un petit moment que je ne m’étais pas octroyé une soirée cinéma. J’ignorais les dernières sorties. Démuni je levai simplement les épaules. « Aucune idée ! Peut-être que vous… tu as un film à me proposer ? » Nous continuâmes notre chemin vers la librairie. A présent, elle me dit qu’elle s’inspirait plus du monde de la nature, de son histoire personne plutôt que des autres artistes… Silence. « Pourtant, un artiste s’inspire forcément d’une école, un mouvement artistique, même de loin ! » Silence. « J’aime beaucoup Patrice Murciano. Ses œuvres sont de vrais arcs-en-ciel ! Deux m’ont particulièrement marquées : le portrait de Nelson Mandela et le tableau intitulé « Freedom ». C’est un artiste qui en met plein les yeux ! ».

Nous nous faufilâmes entre la population de Los Angeles, dense en cette matinée étouffante alors que je lui énumérai mes passions, mes passe-temps. Elle me demanda si, à côté de l’art et du sport, je n’avais pas d’autres hobbies. La cuisine. J’aime la cuisine, les émissions de cuisine particulièrement Cauchemar en cuisine avec Gordon Ramsay mais après je ne suis pas quelqu’un qui aime prendre le temps de cuisiner. Je n’ai pas assez de patience pour cela. « Je n’ai pas le goût de cuisiner… Personne a qui mitonner des petits plats… Plus personne. » Je me mordis les lèvres, pour stopper mon débit de paroles. Je ne voulais pas aller plus loin, lui offrir encore du grain à moudre. Je ne voulais pas l’assommer, la faire fuir avec mes histoires, d’une tristesse déconcertante. Je repris le pas sur mes émotions et lui indiquai « Nous sommes bientôt arrivés ! »

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Gabriel & Adélaïde

Un sourire aux lèvres, elle haussait un peu les épaules, visiblement peu d'accord avec lui avec sa conclusion qu'elle trouvait hâtive. « Je pense pas que des jambes sont trop raides, trop molles ou pas aptes à danser tout simplement. Tout est une question d'habitude et d'entraînement. » Après tout, ne dit-on pas c'est en forgeant qu'on devient forgeron? Adélaïde était de cette école, persuadée que tout était question de formation, d'apprentissage sur le terrain. La danse, ce n'était pas inné chez elle non plus. Elle avait eu de nombreuses heures d'entraînement, de souffrance, de sueur avant d'atteindre son niveau. Elle avait eu beaucoup d'heures de stretching, et ce encore aujourd'hui, pour gagner en élégance et en souplesse, pour rendre sa danse plus fluide, plus belle. Oui, définitivement, et elle en avait visiblement l'expérience, rien n'était impossible, il suffisait de prendre sur soi, ne rien lâcher et s'y mettre à fond pour y arriver. Qui ne tente rien à rien après tout. La conservation tournait finalement vite sur le cinéma. Si elle n'était pas une grande adoratrice de cet art, elle n'en restait pas moins une jeune femme intéressée, curieuse et forcément friande de films d'actions, de comédies et parfois même d'histoires à l'eau de rose, comme tous les jeunes de son âge. « Si tu préfères les films d'auteur ou de production indépendante, je peux pas trop t'aider. Je suis plus du genre à aller voir les bons gros films américains, genre blockbuster tu vois donc bon, à mon avis, comme tout le monde, je pourrais que te proposer des films dont tu as déjà entendu parler. » Autant dire qu'elle n'était pas vraiment d'une grande aide.

Approuvant en silence et avec un hochement de tête les propos de Gabriel, elle ne pouvait nier que les œuvres de Patrice Murciano étaient de véritables palettes de couleurs flamboyantes mais elle aimait aussi beaucoup ce qu'il avait pu faire dans le passé, notamment cette période que l'artiste avait lui-même appelé "les gribouillis." Des dessins pour le moins réalistes aux coups de crayon si visibles et délicats à la fois, si particuliers aux yeux de la grande blonde. Mais elle ne rajoutait rien à cette conversation, son attention étrangement focalisé sur les mots qu'il employait. Mots teintés d'une tristesse presque palpable dans l'air. Hum, pour le coup, elle ne voulait pas se mêler de ce qui ne la regardait clairement pas et par conséquent, elle préférait mettre l'accent sur le présent et surtout sur la présence et la vie de l'homme qui lui faisait face. « T'es bien là toi pourtant. C'est important de se faire plaisir en se cuisinant à soi-même des bons petits plats comme tu dis. » Un sourire pour le moins navré mais rassurant sur le visage, elle rajoutait quelques mots pour dédramatiser tout cela, jouant par la même occasion sur l'autodérision. « Enfin je dis ça mais dans le genre je suis pas mieux. C'est pas que je veux pas cuisiner, j'essaie, mais je rate tout ce que j'entreprend, j'ai tendance à tout faire brûler ou à pas faire cuir assez, du coup l'un comme l'autre, c'est pas bon. » Rigolant d'elle-même, elle haussait les épaules, amusée. « Je suis pas encore bonne à marier je crois. » Le suivant toujours d'un pas plus ou moins rapide, elle ne pouvait s'empêcher de constater une petite chose. « Dis donc, c'est que ta boutique est relativement loin de là où tu prends ton café. » Bon après, ça n'avait rien d'étonnant non plus. Los Angeles étant une grande ville, il fallait être chanceux pour réussir à trouver un local de travail près de chez soi et puis, peut-être que Gabriel aimait prendre l'air avant de se mettre au boulot, c'était aussi une possibilité.

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Je ne pus que la croire lorsqu’elle me certifia que la seule chose qui me manquer pour danser c’était de l’entraînement. Oui, avec de l’entraînement mes jambes ne seraient plus deux poids morts. Avec de la persévérance, du dépassement de soi, il me serait possible de devenir un danseur amateur respectable. Pourtant, il me manquait peut-être, une chose, une seule chose : de la motivation. Eléonore aimait la danse, elle avait tenté à maintes reprises de m’entraîner avec elle. Je déclinai sans cesse. Elle était tellement gracieuse seule que je ne voulais pas tout briser sa parfaite maîtrise des pas de danse. Je préférais la regarder, tel un ange, mon ange. A présent, je regrette de ne pas avoir voulu partager une danse avec elle. Sa virtuosité restait seulement gravée dans mon esprit. A jamais.

Je n’ajoutai rien à ses propos et la conversation dériva d’elle-même vers le cinéma. Malheureusement pour moi, elle ne put guère m’éclairer sur un film en particulier, ne se laissant séduire par les grosses productions hollywoodiennes. J’aurais pourtant beaucoup aimé avoir son avis sur le dernier film qu’elle avait pu voir, je ne sais pas. « Tu sais, je suis bon public ! S’il y a un film qui t’a particulièrement marqué en bien, tu peux m’en parler même si c’est gros film… Je ne suis pas du genre à suivre l’actualité cinématographique ! » Je lisais quelques articles de ci, de là. Je voyais quelques bandes annonces dans les journaux télévisées parfois mais sans plus. Si elle le souhaitait elle pouvait m’éclairer. Actuellement je ne connaissais pas les films à l’affiche.

Petit détour par le monde artistique avec Patrice Murciano avant que nous parlions cuisine. Alors que j’éprouvais le profond regret de n’avoir personne pour qui cuisiner, elle me conseilla de me faire plaisir. Mais cuisiner pour moi tout seul ce n’était pas simple, pas le goût de me proposer des envolées gustatives. « Pour moi tout seul ? Pourquoi je m’embêterais ? » Soufflai-je dépité. Le visage d’Eléonore réapparaissait dans mon esprit. Cuisiner pour elle. Avec plaisir. Sinon, non. Adélaïde confia qu’elle était une piètre cuisinière. Après tout, on ne peut pas être bon dans tous les domaines. Elle termina par un constat. Celui qu’elle n’était pas bonne à marier. J’eus un léger sourire qui apparut au coin des lèvres. « Ma femme était une mauvaise cuisinière. Chaque fois qu’elle avait la lubie de vouloir passer derrière les fourneaux, je risquais ma vie. Pourtant nous nous sommes mariés… Mais c’est moi qui cuisinais… sinon même les pâtes devenaient immangeables » Ce n’était pas pour ses talents de cuisinière que j’avais décidé de demander Eléonore en mariage, mais simplement parce qu’elle était mon âme sœur, la femme de ma vie tout simplement.

Nous continuâmes à marcher lorsqu’elle me fit une petite réflexion sur mon lieu de travail. Elle le trouvait très loin du lieu où nous avions pris le café. Pourtant nous n’étions pas loin, je voyais au loin la devanture de la librairie, de mon bébé. « Non non, je t’assure, on est bientôt arrivé. Regarde ! Elle est là-bas ! » Fier de la lui montrer. Elle les attendait à trois cents mètres environs.

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Gabriel & Adélaïde

Son esprit s'en allait un peu ailleurs, dans ses souvenirs, dans ce qu'elle se souvenait des affiches qu'elle avait vu en ville ou des bandes annonces qu'elle avait pu voir dans les cinémas ou sur internet. Lui donner les noms des films comme ça, juste en claquant des doigts, c'était assez difficile mais heureusement, elle connaissait quelques titres que tout le monde, ou presque, avait croisé ces derniers temps dans les rues de Los Angeles ou entendu dans la bouche de leurs proches. « Et bien, si tu aimes les films d'horreur il y a les dossiers du vatican. Si tu aimes bien les films musicaux il y a magic mike XXL ou pitch perfect 2. Sinon côté romance, il y a the longest ride et en comédie et science fiction il y a pixels. » Haussant un peu les épaules, Adélaïde rajoutait quelques mots. « Je n'ai vu que the longest ride. Je m'attendais à un truc un peu cucul, comme d'habitude mais finalement, le fait d'avoir deux histoires en parallèle, j'ai trouvé ça cool. J'ai d'ailleurs préféré l'histoire du vieux monsieur que des deux jeunes mais ça après, chacun ses goûts. » Marquant un temps de pause, elle ne pouvait s'empêcher de rire à la petite réflexion qu'elle se faisait à elle-même et qu'elle exposait immédiatement à Gabriel. « Quoi que Scott Eastwood quasiment nu, c'est pas moche à regarder non plus. » Quoi? Il était canon cet acteur, il fallait l'admettre!

Bien vite la conversation se tournait vers la cuisine. Adélaïde était une mauvaise cuisinière, elle ne cuisinait donc pas pour elle-même - quoi que ça devait être comme la danse, c'était sûrement une question d'entraînement mais bon - en revanche, Gabriel semblait plutôt à l'aise dans ce domaine et par conséquent, elle trouvait fortement dommage que ce dernier ne cuisine pas pour lui-même. A quoi bon qu'il disait, quel intérêt. « Pour le plaisir. Personnellement tout ce qui se fait cuir, j'ai tendance à le faire brûler comme je te disais mais j'adore me faire des salades en été par exemple et j'y prend du plaisir de me faire une belle salade qui a du goût. » Comme une évidence, comme un devoir envers soi-même. « Enfin je sais pas, je trouve ça important de bien manger, de se faire plaisir en mangeant, sinon on déprime. » C'était probablement la gourmande qui parlait mais c'était plutôt logique au fond. Combien de personne qui sont au régime déprime? Beaucoup. Combien de personne sont tannés de manger toujours la même chose ou des choses toutes prêtes? Beaucoup. Alors forcément, Adélaïde trouvait dommage qu'il ne profite pas de ses capacité en cuisine pour se faire plaisir mais après c'était son choix, elle ne pouvait pas vraiment aller contre ça, encore plus de par son statut d'illustre inconnue pour lui. Un sourire aux lèvres, elle trouvait son histoire mignonne et heureusement réaliste. On épousait pas quelqu'un pour ses talents dans tel ou tel domaine. « Je note qu'avoir un mari cuisinier serait donc un bonus pour moi... sinon tant pis, on passera notre vie à commander à manger chez les traiteurs ou ailleurs. » Un constat qui la faisait sourire, l'idée n'était pas mauvaise après tout si ce n'était pas tout le temps de la junk food.

Arrivés face à la librairie de Gabriel, la jeune femme s'autorisait un regard critique sur la devanture. C'était simple mais plutôt joli à vrai dire. Discret et en même temps assez cosy, assez attirant pour le côté calme et cocooning que cela dégageait. Patiente, elle attendait qu'il ouvre sa boutique pour mieux le suivre à l'intérieur et avoir un aperçu du lieu bien plus précis. « Tiens, c'est marrant, ça sent meilleur que la plupart des librairies. » Il fallait le dire, ou peut-être avait-elle un préjugé, mais la plupart de ces lieux avaient tendance à sentir le livre un peu vieilli, le papier à l'âge passé ou la poussière. Ici, ce n'était pas le cas et c'est la première chose agréable qu'elle notait avant que son regard ne se pose sur divers endroits de l'endroit. Evidemment, et comme dans toutes les librairies, les rayonnages étaient notés et inexorablement, Adélaïde était attirée par le rayon des arts où elle se dirigeait sans attendre. Ses iris se posaient sur les tranches des livres avant d'en saisir un qu'elle ne connaissait ni d’Ève ni d'Adam pour mieux le feuilleter. « T'as vraiment connaissance de tous les livres qu'il y a ici? » Demandait-elle sans lever les yeux du bouquin. La curiosité finirait par la perdre un jour ou l'autre.

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