Les moteurs des énormes machines à coudre ronronnent et vrombissent. Les bobines de soie déversent leur fil à coudre en filets longs et colorés. Le frénétique mouvement de va-et-vient des aiguilles portent leurs aigus au-dessus des graves des mécaniques.
Le plafond haut est quadrillé par des néons surpuissants. Blancs. La lumière carrée tombe sur les ouvrières couturières sous l’œil attentif du garde de sécurité.
Le coton, la laine, la soie, la guipure, le jacquard, le brocart, le chintz... Sont découpés, assemblés, cousus, pliés, repliés, recousus par des centaines de doigts habiles et patients. De ces femmes silencieuses, on ne voit que le dessus du crâne, tant elles se penchent sur leur ouvrage et leur machine. Et leurs mains. Nues. Sans vernis.
Ethan louvoie entre chaque machine et chaque femme. La haute couture est un monde de poudre et d’alcôve. Aucune femme ne lève la tête vers cet homme qui glisse entre elles comme un chat étranger à leur monde mutique. Au fond de l’atelier, le garde se lève. Grand, carré, latino. Ethan montre son badge.
- Monsieur Clark m’envoie. Je viens pour Mademoiselle Pearson.
- C’est la deuxième salle du fond.
- Merci.
La salle suivante est la salle des découpes et des patrons. Des mannequins en pied, hauts comme des top models juchés sur leurs talons, sont alignés en garde-à-vous. Certains sont habillés de feuilles de papier beige, d’autres déjà sont parés de modèles en tissus colorés. La haie d’honneur, immobile et sans tête, laisse Ethan songeur. Il traverse cependant ce monde de femmes décapitées.
La seconde salle est la salle des stylistes. Les grandes tables sont recouvertes de patrons et de dessins. Toutes sont abandonnées. 18h. Il est presque tard. Les stylistes sont déjà partis. Le prochain show est pour bientôt et seules les ouvrières, pour le moment, sont nécessaires à cette heure du jour. Et, visiblement, la plus jeune des stylistes aussi.
Ethan s’avance, dans son costume deux pièces gris foncé. Taillé dans un tissu à trame légèrement apparente et rigide, le tomber est celui des costumes faits pour durer. Son costume n’a de moderne que la coupe, très cintrée et le pantalon près du corps. Dans son classicisme de professeur, il a pourtant l’allure d’un adolescent dont les épaules n’ont pas encore eu le temps de s’élargir tout à fait.
Arrivé à un mètre de la jeune styliste, il s’incline légèrement. Montre son badge.
- Mademoiselle Pearson ? Bonsoir. Je m’appelle Ethan Dunn. L’organisateur de votre dernière exposition m’a donné votre nom et votre employeuse m’a permis d’entrer.
Il se redresse, tend la main au-dessus du bureau. Son bras est lent. Il ne sait pas s’il la dérange ou s’il ne lui a pas fait peur. Dans un monde de femmes, un homme est-il réellement le bienvenu ? Un homme n’est-il pas l’étranger ? Lui en tout cas, se sent mal à l’aise. De la couture, il connait surtout les petits ateliers, les artisans indépendants. Ses costumes sont faits par des hommes, sur mesure, dans l’étroitesse de pièces qui sentent le bois, l’amidon et le fer chaud. La couture a cent visages et Ethan ne connait pas celui de la haute qui a pignon sur rue.
- Excusez-moi de vous déranger. Je suis venu vous demander un modèle pour ma mère. Elle a été invitée à une soirée organisée par la styliste Hirschmiller pour le lancement de son atelier à Los Angeles.
Curieux, il ne peut empêcher son regard de tomber sur la table de la jeune styliste. Il a repéré ses modèles lors de la dernière exposition. Des modèles qui semblent pouvoir plaire à sa mère. Des robes qui embrassent les corps et les exaltent de leurs baisers.
Il espère ne pas s’être trompé sur elle. Mais il relève vite le regard pourtant. Il n’aimerait pas qu’on cherche dans ses dossiers de professeur. Il suppose que la jeune femme n’aimerait pas qu’on regarde ses modèles avant le verdict de la styliste principale. Au final, qui aime montrer au grand jour un travail inachevé ?
- Mh. Excusez-moi. La curiosité.
Il se racle doucement la gorge, du bout des muqueuses.
- Avez-vous quelques minutes à m’accorder ? Je sais que votre prochain show est pour bientôt.
Le plafond haut est quadrillé par des néons surpuissants. Blancs. La lumière carrée tombe sur les ouvrières couturières sous l’œil attentif du garde de sécurité.
Le coton, la laine, la soie, la guipure, le jacquard, le brocart, le chintz... Sont découpés, assemblés, cousus, pliés, repliés, recousus par des centaines de doigts habiles et patients. De ces femmes silencieuses, on ne voit que le dessus du crâne, tant elles se penchent sur leur ouvrage et leur machine. Et leurs mains. Nues. Sans vernis.
Ethan louvoie entre chaque machine et chaque femme. La haute couture est un monde de poudre et d’alcôve. Aucune femme ne lève la tête vers cet homme qui glisse entre elles comme un chat étranger à leur monde mutique. Au fond de l’atelier, le garde se lève. Grand, carré, latino. Ethan montre son badge.
- Monsieur Clark m’envoie. Je viens pour Mademoiselle Pearson.
- C’est la deuxième salle du fond.
- Merci.
La salle suivante est la salle des découpes et des patrons. Des mannequins en pied, hauts comme des top models juchés sur leurs talons, sont alignés en garde-à-vous. Certains sont habillés de feuilles de papier beige, d’autres déjà sont parés de modèles en tissus colorés. La haie d’honneur, immobile et sans tête, laisse Ethan songeur. Il traverse cependant ce monde de femmes décapitées.
La seconde salle est la salle des stylistes. Les grandes tables sont recouvertes de patrons et de dessins. Toutes sont abandonnées. 18h. Il est presque tard. Les stylistes sont déjà partis. Le prochain show est pour bientôt et seules les ouvrières, pour le moment, sont nécessaires à cette heure du jour. Et, visiblement, la plus jeune des stylistes aussi.
Ethan s’avance, dans son costume deux pièces gris foncé. Taillé dans un tissu à trame légèrement apparente et rigide, le tomber est celui des costumes faits pour durer. Son costume n’a de moderne que la coupe, très cintrée et le pantalon près du corps. Dans son classicisme de professeur, il a pourtant l’allure d’un adolescent dont les épaules n’ont pas encore eu le temps de s’élargir tout à fait.
Arrivé à un mètre de la jeune styliste, il s’incline légèrement. Montre son badge.
- Mademoiselle Pearson ? Bonsoir. Je m’appelle Ethan Dunn. L’organisateur de votre dernière exposition m’a donné votre nom et votre employeuse m’a permis d’entrer.
Il se redresse, tend la main au-dessus du bureau. Son bras est lent. Il ne sait pas s’il la dérange ou s’il ne lui a pas fait peur. Dans un monde de femmes, un homme est-il réellement le bienvenu ? Un homme n’est-il pas l’étranger ? Lui en tout cas, se sent mal à l’aise. De la couture, il connait surtout les petits ateliers, les artisans indépendants. Ses costumes sont faits par des hommes, sur mesure, dans l’étroitesse de pièces qui sentent le bois, l’amidon et le fer chaud. La couture a cent visages et Ethan ne connait pas celui de la haute qui a pignon sur rue.
- Excusez-moi de vous déranger. Je suis venu vous demander un modèle pour ma mère. Elle a été invitée à une soirée organisée par la styliste Hirschmiller pour le lancement de son atelier à Los Angeles.
Curieux, il ne peut empêcher son regard de tomber sur la table de la jeune styliste. Il a repéré ses modèles lors de la dernière exposition. Des modèles qui semblent pouvoir plaire à sa mère. Des robes qui embrassent les corps et les exaltent de leurs baisers.
Il espère ne pas s’être trompé sur elle. Mais il relève vite le regard pourtant. Il n’aimerait pas qu’on cherche dans ses dossiers de professeur. Il suppose que la jeune femme n’aimerait pas qu’on regarde ses modèles avant le verdict de la styliste principale. Au final, qui aime montrer au grand jour un travail inachevé ?
- Mh. Excusez-moi. La curiosité.
Il se racle doucement la gorge, du bout des muqueuses.
- Avez-vous quelques minutes à m’accorder ? Je sais que votre prochain show est pour bientôt.