Hanna n’avait pas cours avant la fin de l’après-midi, mais elle avait toutefois décidé que ce ne serait pas une excuse valable pour rester comme une larve sous sa couette toute la journée. Non, aujourd’hui elle avait prévu de se lever — de bonne humeur si possible, ce qui semblait exceptionnel ces derniers temps — et de faire quelque chose. Quoi faire, par contre, elle n’en avait encore aucune idée. Mais où il y a motivation, il y a réalisation, c’était sa nouvelle devise. C’est donc pleine d’énergie à revendre que la jolie rousse passa sous la douche, s’enfila un cookie et un verre de jus d’orange en guise de petit-déjeuner, puis se vêtit d’une jupe bleue marine à pois blancs ainsi que d’un débardeur gris clair et de ses indémodables Converses. Elle embrassa la truffe de son labrador Willow, lui promettant qu’elle reviendrait bientôt, et commença à déambuler dans les rues. Au bout d’un petit quart d’heure de marche, elle se trouva devant la vitrine de la librairie Griffin et y entra. Sans grande surprise, elle en ressortit avec trois nouveaux bouquins, bien qu’elle en ait déjà une vingtaine qui attendaient sagement d’être feuilletés à la maison. Elle ne les lirait sûrement pas avant l’été prochain. Tant pis. Elle ne regrettait jamais un achat compulsif de livres. Continuant sa promenade matinale, elle franchit les portes du parc de la ville et se laissa guider par les multiples chemins avant d’arriver devant son endroit préféré : le puits aux voeux. Hanna n’était pas naturellement superstitieuse ou friande de ce genre de procédés — de toute façon, elle pensait que tout était déjà écrit d’avance, et que lancer un pauvre petit cent ne ferait rien changer au cours de l’univers — mais lorsqu’elle voyait toutes ces pièces briller au fond du trou cela la rendait heureuse et pensive. Combien de voeux se sont déjà réalisés ? Quel a été le souhait le plus fou que quelqu’un ait fait ? Y a-t-il des gens qui espèrent tout le contraire de ce qu’ils ont souhaité au moment où ils avaient lancé une pièce ? Toutes ces questions qui la laissaient songeuse n’auraient jamais de réponses mais elle appréciait donner à son esprit le pouvoir d’imaginer. Hanna resta perdue dans ses réflexions quelques minutes jusqu’à ce qu’elle entende un bruit qui lui était familier. Un couinement apeuré. Elle essaya de trouver d’où provenait ce son et débusqua un berger allemand assez mal à point couché derrière un buisson. "Hé bah, ça a pas l’air d’être la forme mon pépère…" dit-elle en s’approchant de lui avec précaution, s’agenouillant progressivement. Elle put caresser son encolure sans grande difficulté et n’y trouva aucun collier. Immédiatement, elle pensa plutôt à un abandon qu’à une fugue. "T’as pas l’air d’avoir de maître toi, et je connais même pas ton petit nom. T’inquiète pas, t’es en sécurité avec moi. Je vais t’emmener quelque part, t’y seras vraiment bien." Certaines personnes pensaient qu’il était totalement absurde de parler aux bêtes mais Hanna savait que, même s’ils ne comprenaient pas le langage humain, cela les apaisait et leur permettait alors d’être plus en confiance et dociles. La question qui se posait à présent était celle du trajet jusqu’au refuge. Celui-ci se situait à plusieurs kilomètres et il aurait été impossible pour Hanna de s’y rendre avec un chien qui tenait à peine debout. La solution lui vint assez facilement et elle n’eut pas à chercher longtemps dans les appels récents de son téléphone pour que le nom de Clarence s’affiche. Elle avait rencontré le jeune homme lors d’un stage qu’elle réalisait dans un zoo au début de ses études et ils avaient tout de suite accroché. Les deux terribles évènements qu’ils avaient vécus — le décès de sa meilleure amie pour Hanna, la fusillade pour Clarence — n’y étaient pas pour rien et les avaient fortement rapprochés. Ils avaient trouvé du réconfort à se parler et les choses avaient même pris une tournure assez particulière mais aucun des deux n’avait jugé que ce qui en découlerait serait positif. Ils étaient donc restés très proches, de bons amis, et Hanna savait qu’il était la personne parfaite à appeler à ce moment-là. Elle espérait juste qu’il n’était pas occupé. Par chance, il décrocha à la deuxième sonnerie. "Clay ? Hé, c’est Hanna. Tu vas rire mais… non, allez je te dis rien, ce sera une surprise. Il faut que tu viennes. Tout de suite. On aura besoin de ta voiture. Tu vois le puits aux voeux du parc de la ville ? Retrouve-moi ici." Après avoir raccroché elle s’assit dans l’herbe à côté du chien, le gratouillant derrière les oreilles, ce qu’il semblait apprécier et attendit impatiemment l’arrivée de son ami.