La pluie fine tombait sur le parapluie qu’il tenait avec désinvolture dans sa main gauche. Cet été n’avait pas été le plus ensoleillé mais ce n’était pas si grave. Après la pluie, le beau temps. Et, avec la chaleur de ces derniers jours, cette pluie s’avérait rafraichissante. Dans sa main droite, il tenait une fine cigarette qu’il faisait aller et venir jusqu’à ses lèvres dans un geste mécanique, presque automatique. Il portait à l’épaule un banal sac en jute, d’une quelconque marque, avec un tas de choses improbables, trois ou quatre pièces qui s’entrechoquaient à chaque pas et un nombre incroyable de tickets de caisse jetés au fond. Il pénétra dans le quartier chinois par l’imposante porte rouge sans vraiment tenir compte à ce qui se passait. Il savait exactement ce qu’il faisait là. A force de travailler dans le café, avec la chaleur et l’air conditionné qui y étaient associés, il avait fini par développer des migraines chroniques qui l’empêchaient tout bonnement d’étudier et de se mettre à écrire en rentrant. Cela faisait plusieurs jours que cela durait et sa réserve de baume du Tigre s’était amincie à vue d’œil. Il y avait sur la Bambou Plaza une petite pharmacie, à la devanture verte sans trop être criarde qui n’attendait que lui. Il y avait bien entendu de nombreuses pharmacies sur son chemin, plus proches de son misérable appartement mais celle tenue par un jeune Asiatique avait des prix plus … attractifs. En échange d’un petit clin d’œil, voire d’une caresse de la main, il pouvait être certain de s’en sortir pour pas trop cher. Et marcher sous la pluie ne le dérangeait pas grandement. A force de travailler, il en oubliait presque combien il était agréable d’entendre les gouttes tomber sur son parapluie. D’ailleurs, il n’était pas le seul à traîner dans les rues. Les touristes l’exaspéraient au plus haut point mais il fallait bien avouer qu’ils savaient faire vivre l’économie locale en dépensant leurs espèces sonnantes et trébuchantes dans les premières boutiques venues. Slalomant avec grâce entre les trainards devant lui, il chantait dans sa tête Nancy Sinatra. « I know I stand in line until you think you have a time to spend an evening with me. » Il n’avait pas beaucoup de temps devant lui et avait depuis déjà plusieurs semaines perdu la patience d’attendre sagement derrière les hordes de touristes qui transhument tranquillement, ne se rendant sans doute pas compte des travailleurs qui font fonctionner la ville si parfaitement. « Excusez-moi. » cria-t-il en poussant un touriste sur le côté pour se libérer un passage sur le trottoir bondé. « Poussez-vous » annonça-t-il en photo-bombant une photo prise devant un énième dragon chinois doré. Les touristes pensent qu’ils sont les seuls en ville et cela avait le don de l’exaspérer. Il ne s’excusa même pas en faisant tomber de la cendre sur une grand-mère qui avançait avec une lenteur digne d’une tortue. « Excusez-vous. Poussez-moi. » Il pouffa dans son coin, fier de sa blague. De toute façon, ces ignorants ne parlaient sûrement pas un mot d’anglais ou ne le comprenaient pas avec autant de subtilité qu’un natif. Ces barbares qui saccageaient son langage ne méritaient que de la condescendance. « I practice every day to find some clever lines to say. » repris-t-il mentalement.