Penchée sur sa tasse de thé, elle contemple le léger dépôt de quelques feuilles, au fond de la faïence pâle. Ses doigts feuillettent un magazine de mode, nerveusement, à la recherche d'inspiration, notant ça et là une idée, une matière, une forme ou un motif.
Elle a beau tenter de se mentir, son esprit est ailleurs.
Elle songe à cette dernière année scolaire, réussie si difficilement.
Elle songe à sa principale source de distraction.
Elle angoisse.
Il est 3h du matin et à la veille du premier cours qui l'obliger à côtoyer Riley, Lola fuit le sommeil, fuit ses colocataires. Elle s'est réfugiée dans la maison de sa fraternité, les gammas, cette seconde famille qui, sous peu, accueillera, avec la rentrée, de nouvelles membres. Elle profite de relative tranquillité de cette soirée. Quelque part, là-haut,une soirée pyjama se meurt à petit feu. Lola y a bien participé, un peu, en début de soirée, mais avec les heures, alors que sa distraction grandissait, alors que ses pensées s'égaraient et que ses traits se figeaient, dans une expression distante, froide, ses sœurs ont cessé de tenter de l'inclure dans leurs activités.
On connait son tempérament.
Douce et serviable, souvent.
Parfois nerveuse et coupante.
Elle s'est éloignée d'elle-même, lorsqu'elle a abandonné le combat, réalisé que les clowneries des filles ne suffiraient pas à retenir son attention. Et, dans la cuisine, à présent, elle attend que ses petits biscuits au citron soient prêts à quitter le four. Elle essaie de lire, en attendant. Se demande ce qu'elle fera ensuite. Refuse d'y songer. Ne veut se concentrer que sur les pensées qui pourraient être plaisantes.
Pas sur les interrogations.
Pas sur les incertitudes...
Elle ne veut pas avoir peur.
Un parfum de farine et de beurre cuits, un arôme de citron zesté, une odeur dorée, répandue, minute après minute, d eplus en plus forte. La minuterie, sur son smartphone, l'informe qu'il reste 4 minutes de cuisson. Elle se penche sur le four, soupire, se redresse, vide sa tasse de thé, grimace, vient récupérer sur sa langue une feuille de thé. S epenche à nouveau. Patiente. S'impatiente. Décide de ne plus attendre. Coupe le four. Y plonge un gant de cuisine. Extirpe la plaque du four.
Se brûle la paume.
Hurle. Un cri glapi.
Jure. Aigus discordants.
Métal contre pierre.
Plaque de cuisson sur pavé.
Heurt brutal, bruyant.
Larmes aux yeux, Lola, debout au milieu d'une pluie de brisure de biscuits, fait couler de l'eau tiède sur sa paume, en étouffant son envie de maudire le monde entier.