Ce n'était que son 3ème jours de repos et Evangeline s'ennuyait déjà comme un rat mort. On lui avait conseiller de prendre des vacances, du temps pour elle mais c'était la dernière chose qu'elle voulait faire. Lorsqu'elle était occupée à tout et rien, au moins elle ne réfléchissait pas. Là elle faisait les cents pas chez elle, tel un lion en cage. L'été était bel et bien arrivé à Los Angeles, un grand soleil brillait dans le ciel sans le moindre nuage, le parc d'attraction et la plage était probablement bondé et c'était bien le dernier endroit où elle souhaitait se rendre. Se retrouver seule au sein d'une telle foule n'arriverait qu'à lui filer le bourdon.
Au lieu de ça, la jeune artiste attrapa son tote bag avec son carnet de dessin et ses crayons aquarellables et se mit en route. Elle laissait ses pas la guider sans trop réfléchir, l'emmenant d'abord dans un parc en direction de Dowtown. Elle s'y arrête quelques heures avant de reprendre son chemin et d'être prise d'un terrible coup de cafard en arrivant à une fontaine qu'elle n'avait que trop bien connu une dizaine d'année plus tôt. Le parc et les bâtiments environnants avaient tant changé qu'en arrivant par le côté opposé elle ne l'avait pas reconnu. La blonde se force à respirer lentement et à continuer d'avancer malgré la panique qui lui monte doucement à la gorge. Elle évite délibérément la rue du coffee shop où ils se rendaient presque tous les matins, même si elle meurt d'envie de voir s'il le café est toujours là. Elle continue de déambuler dans les rues de la ville, s’arrêtant parfois le temps de croquer une statue ou une scène de vie qui a accroché son regard et de reprendre sa route.
Elle finit par arriver devant la façade d'un bar et réalise que ses pas ne l'ont pas guidé n'importe où. Elle se retrouve devant son bar préféré lorsqu'elle était encore avec Adam. Maintenant qu'elle est là, autant prendre le taureau par les cornes et entrer.
Rien n'a changé. La scène où se produisait des artistes les mardis et jeudis est toujours là, dans le coin avec le vieux piano droit et les fauteuils usés dont le cuir craque légèrement. De l'autre côté les banquettes ont été rénovées, le bois est resté le même mais l'horrible velours côtelé dont la couleur d'origine était indéfinie après tant d'années d'utilisation avait enfin été remplacée par des couleurs plus neutre et moderne. Le comptoir quand a lui n'avait pas changé non plus, toujours ce même bois marqué par les verres qui s'y sont succédé. C'était cette authenticité qu'elle aimait tant, le fait que ce bar racontait des milliers d'histoire si on y prêtait un peu attention, si on prenait le temps d'observer les photos et les articles de presse qui ornaient les murs.
Perdue dans ses souvenirs, elle ne l'avait pas remarqué en entrant. Il était là, seul, accoudé au comptoir. Elle eu un pincement au cœur en le voyant, elle ne savait pas si elle était contente qu'il soit seul ou triste pour lui. Quoi qu'il en soit, elle avait le sentiment de s'être jeté dans la gueule du loup car même s'il lui tournait le dos à l'heure actuelle, il finirait bien par se retourner et la voir. Il la reconnaîtrait forcément, de la même façon qu'elle le reconnaîtrait toujours au milieu d'une foule, même de dos. Est-ce qu'il l'ignorerait ou est-ce qu'il viendrait lui parler ? Est-ce qu'elle était sûre de vouloir connaître la réponse à cette question ? Probablement pas. Ca lui ferait bien trop mal de le voir l'ignorer alors qu'elle est encore prise de panique lorsqu'elle se retrouve par hasard dans des lieux qui était à eux, qui transpire leur histoire comme cette fontaine où elle était passé un peu plus tôt.
L'artiste s'installe inconsciemment à une table suffisamment en retrait pour être en partie cachée, mais pas trop non plus pour que ses yeux de lynx puissent surveiller Adam à une bonne distance. Un serveur vient prendre sa commande, un cosmopolitain comme à l'époque, et repart aussitôt. Eve en profite pour sortir son carnet de croquis et mettre un peu de couleur à ces travaux de l'après midi. Le serveur revient quelques minutes plus tard avec son verre et Eve plonge entièrement dans sa bulle, mordillant un crayon tout en coloriant avec un autre. Elle entend de loin une voix d'homme qu'elle ne reconnaît pas et à laquelle elle ne porte pas plus d'attention, elle décide de faire l'autruche jusqu'à ce que cette voix se fasse plus insistante. Elle finit par tourner la tête d'un sa direction pour apercevoir un homme d'une petite quarantaine d'année probablement, déjà fortement alcoolisé qui semble la draguer, du moins tenter. Elle l'éconduit gentiment en lui disant qu'elle ne souhaite pas de compagnie et qu'elle attend quelqu'un qui ne devrait pas tarder.
Vous avez déjà essayé d'éconduire un mec bourré vous ? Oui ? Alors vous vous doutez bien que ça n'a pas été très efficace. Il continue d'insister et de se rapprocher et finit par lui attraper le bras. Probablement la plus grosse erreur de sa soirée même s'il n'en a pas encore conscience. D'un geste brusque Eve le repousse et il tombe à la renverse, l'alcool ayant rendu son équilibre très précaire. Blessé dans son égo, il se relève et devient plus menaçant, tentant de l'attraper par les cheveux. Ses réflexes prennent le relais avant même qu'elle ne réalise et l'assaillant se retrouve la tête contre la table, le bras qui avait tenté de l'attraper dans le dos.