Appel de Oks' à Leroy

Le passé est une chose bien compliquée parfois, nous n'étions pas encore totalement divorcé. Ces derniers temps les rendez-vous avec mon avocat me stressait énormément et le fait qu'on bosse au même endroit n'était pas tous les jours facile. Je devais contacter Leroy enfin tout simplement, je trouvais plus respectueux de le faire moi. Je pris mon portable et l'appelait j'avais toujours son numéro. Biiiip bipppp.
Allô? C'est Oksana. sans le désirer ma voix c'était faite toute petite.

Ces jours-ci avaient été difficiles, enfin… en fait non, ils avaient été semblables aux autres. Je ne dormais toujours pas plus, je profitais de mes cours pour voir un peu de monde, et lorsque je rentrais, je fumais cigarettes sur cigarettes jusqu’à attendre que Morphée veuille bien m’envelopper de ses bras. Je me laissais végéter, si bien que je ne récoltais même plus mon courrier, si bien que j’en oubliais presque que j’étais en instance de divorce. Lexie me tannait cependant tous les jours pour que j’appelle Oksana afin de régler tous les problèmes, car dans son monde parfait, ce divorce ne serait qu’une pure connerie, si elle savait… D’un coup mon portable se mettait à sonner, dans le noir, je tentais de l’attraper et je le positionnais sur mon oreille sans regarder l’écran. « Oksana ? Qu’est-ce que… enfin tu… ça va ? » Je tentais de balbutier quelque chose, je ne pouvais l’éviter, toute cette histoire me hantait, au même titre que la guerre d’ailleurs, seulement c’était plus… compliqué.

Lorsqu'il répondit, sa voix me mit presque en émoi enfin ça me faisait bizarre. Avant j'avais l'habitude de l'entendre si souvent alors que depuis quelques mois, je passais mon temps à l'éviter. Non ce n'est pas que je ne voulais plus jamais le voir mais, c'était trop compliqué pour moi et je n'ai jamais aimé les prises de têtes. Je mis une bonne seconde à lui répondre. Je heu, ouais ça va et toi? Quelques secondes de blanc encore et je reprenais. Je voulais te dire que les papiers sont prêts, on a plus qu'à fixer un rendez-vous pour les signer. Le sujet était délicat et loin de moi l'envie de le mettre au pied du mur. Je me mordillais la lèvre, un peu anxieuse heureusement qu'il ne pouvait me voir. Merci la technologie.

J’avais la tête ailleurs, je ne pensais plus du tout au divorce qui me pendait au nez. L’époque où la rousse et moi étions ensemble n’était pas si lointaine, et pourtant j’avais l’impression d’avoir pris de l’âge en une fraction de seconde, comme si cela faisait une éternité que nous nous étions pas parlé. Je soufflais longuement, j’avais été stupide de lui demander comment elle allait, quel bon à rien je faisais. J’avalais alors ma salive et la laissais parler, ne préférant pas répondre à la question de l’habituel ça va. Je passais alors une main dans mes cheveux courts tout en fermant les yeux. Les papiers du divorce, je les avais presque oubliés. Ils étaient restés des mois sur ma table avant que je ne daigne les regarder, que d’un œil, forcément. « Je vois… » Lâchais-je simplement, d’un ton toujours aussi débité. « Tu souhaites le rendez-vous pour quand ? »

Dieu ce que je n'aimais pas avoir à faire cela. Pourtant en appelant ce soir je m'étais dit que ce serait toujours mieux qu'un appel d'un avocat en costard cravate qui se fichait totalement de notre pitoyable plantage de vie. Il semblait un peu vague ou ailleurs peut-être enfin, je ne pouvais que me fier au son de sa voix. Je frissonnais, vraiment je ne pensais pas que cet appel serait si difficile à passer au final. Quand? Oui quand, je ne sais pas le plus vite je crois? Ben je pense que rapidement ce serait judicieux, on aura un poids en moi sur nos têtes, non? Pourquoi diable l'avais-je dont formulé en question plus qu'en affirmation?

Le divorce était l’échec que je refusais de voir, je ne voulais pas voir la vérité en face car j’étais la cause de tout cela. Tout était si parfait avec Oksana auparavant, il y avait toute une harmonie nous enveloppant dans un cocon, puis il y avait eu mon retour de guerre où j’avais tout foiré, mes terreurs nocturnes, mes sautes d’humeurs, mes angoisses, et j’en passe. Je serrais les mâchoires comme si de rien n’était, après tout c’était le dernier carat, on ne pouvait rien faire de plus, même si on le voulait. « Possible. » Lâchais-je ailleurs. J’attrapais alors le paquet de cigarette à côté de moi ainsi que le briquet pour m’en allumer une. Je tirais alors deux trois bouffées de nicotine afin de calmer mes nerfs et certains spasmes que j'avais dans les mains.

C'était presque le silence totale au bout de la ligne et le pire c'est que j'étais encore plus bloquée que lui, je l'avais écouté silencieusement me répondre un petit possible. J'avais même pu entendre le déclic de son briquet à l'autre bout de la ligne. C'était compliqué, étrange, tout ce que vous voulez mais, il semblait moins assuré aujourd'hui que par le passé. Je n'étais pas du genre à m'accrocher enfin... Tu es encore en train de fumer, un jour ça va te tuer. Oui je n'ai pas pu m'empêcher de lui sortir l'éternelle ritournelle comme auparavant. Je me tus alors écoutant son souffle et je me demandais soudainement s'il allait bien. Tu es sûr? Enfin je veux dire certain que tout va bien? dis-je maladroitement. J'étais prise par l'envie soudaine de le voir.

La cigarette, l’alcool, voilà à quoi j’occupais mes journées lorsque je ne passais pas du temps à l’hôpital ou lorsque je ne donnais pas de cours. Je n’avais envie de rien en ce moment, chez moi je restais souvent amorphe dans le canapé, les volets clos à regarder la télé tel un pantin inanimé. « En quoi ça te regarde maintenant ? » J’avais lancé ça sur un ton sec, je ne m’en rendais compte que la seconde d’après, et je me mettais à sourire. Je ne souriais pas parce que j’étais heureux, mais bien au contraire, je me rendais juste compte que c’était à cause de ça, de mon agressivité que le temps nous avait séparé, que le temps m’avait pris l’amour de ma moitié. « Je suis désolé…Excuse-moi. » Disais-je calmement, la suppliant presque de m’excuser. Je l’aimais encore, c’était inévitable et toute cette histoire me déchirait. Je ne répondais cependant pas à son autre question, j’étais hésitant, qu’est-ce que je pouvais répondre après tout ?

Je n'avais pas pu me retenir et j'aurai mieux fait de m'abstenir car il me répondit d'un ton à couper au couteau. J'avais horreur de ça, c'était comme quand il s'emportait avant et que j'avais envie de gueuler plus fort pour le faire redevenir plus doux, sauf que ça marchait rarement. J'aurai pu répondre d'un ton aussi sec et avec sarcasme seulement je savais que ça ne servirait strictement à rien. Ouais en rien sûrement... lâchais-je presque trop doucement. Il y avait un moment qu'il m'avait vaincue. Que je ne luttais plus. J'avais lutté contre une envie de raccrocher. Lorsqu'il se mit à s'excuser. Mais, c'était foutu j'étais guindée et je ne savais plus quoi lui dire, moi si bavarde d'habitude, un simple coup de téléphone à Leroy et je devenais aussi muette qu'une carpe dans un lac. Notre relation s'était étiolée au vent sans que je ne le réalise vraiment pourtant jusque là on s'était battu contre la distance. C'est rien t'inquiètes pas... et c'est vrai, je ne lui en voulait pas. Mes sentiments étaient encore présents enfin je crois. Faudrait qu'on en discute de vive voix enfin... Je crois. Je venais de m'allonger dans mon canapé, les yeux rivés au plafond me disant que j'étais vraiment nulle de chercher le moyen de prolonger notre conversation tout ça pour entendre sa voix.

Depuis mon retour, j’étais totalement déboussolé, à chaque seconde j’avais l’impression de devenir fou, je voyais la violence partout, même dans les bras de Morphée, conséquence, je faisais tout pour ne pas fermer les yeux et ne pas souffrir durant de nombreux cauchemars. Je voyais la mort tout autour de moi, voilà pourquoi je pétais les plombs, mais ce qui me mettait encore plus hors de moi c’est le fait que je n’arrivais pas à me contrôler, après tout ça venait de me coûter mon couple. Je revoyais souvent la scène qui me tiraillait encore le cœur maintenant, celle où la rousse m’avait hurlé qu’elle voulait le divorce durant une énième dispute. Pour une fois, au lieu de tout envoyer en l’air dans un accès de violence, je m’étais calmé et sans dire un mot j’avais tourné les talons. « Peut-être bien… » Lâchais-je avant de m’enfoncer un peu plus sur mon canapé, regardant ma cigarette se consumer entre mes doigts abimés. J’avais beau être médecin, mes mains n’étaient pas dignes de celles des grands chirurgiens qui les faisaient souvent assuré. Je soufflais alors qu’un blanc s’installait de nouveau. J’aimais entendre sa voix, mais ne rien entendre également ne me rassurait, c’est comme si elle était encore près de moi. « Oksana… ? » Je me pinçais les lèvres pour ne rien dévoiler, c’était stupide après tout. Mais la rousse ne semblait pas vouloir que je garde le silence, elle insista et je lâchais la bombe. « Comment ça a pu nous arriver… ?! »

Peut-être bien, et si? Etc Ma mère me disait souvent qu'avec des et si on va à Paris et qu'avec des peut-être on ne va pas bien loin? Parfois, elle manquait, elle et la Russie. Ici je n'avais que quelques rares amis, des collègues et Leroy. Plusieurs fois l'idée de m'en aller s'était imposée. Je fermais les yeux en écoutant le son de sa voix si grave, celle qui la première fois m'avait fait frissonner longuement. J'aimais sa voix et l'avoir là au bout du fil, j'avais l'impression de pouvoir le toucher. Pourtant dieu sait qu'une partie de notre relation de couple avait été constitué de mails, et d'appels. Quand il était encore à l'armée. L'entendre dire mon prénom fit naitre un sourire sur mon visage, le premier depuis ce coup de fil. J'aimais l'entendre le prononcer à haute voix. Oui? dis-je une petite voix comme pour le rassurer que j'étais toujours là. Je ne pense pas que j'aurai eu le cran de raccrocher sauf s'il s'était mis à hurler. Lorsqu'il reprit la parole en me posant cette étrange question, je me mordis la lèvre inférieure comme si j'avais fais la plus grosse erreur de ma vie. Je calai quelques longues secondes. Comment, pourquoi? Je ne sais pas; parce qu'on est allé trop vite, parce qu'on ne s'aimait pas assez, parce qu'on était pas compatible, oui pourquoi? Je réfléchissais à un tas de raison sans en trouver une suffisamment bonne dans le fond. Je sais pas Leroy, parce qu'on arrêtait plus de se disputer? Qu'on était pas assez mature pour gérer ça? On m'a dit un jour que tout les couples se disputent qu'un couple en parfait accord, ne tient pas la route. J'avoue, mes histoires sentimentales n'ont jamais été qu'une suite de lamentables drames.

D’après certaines études, l’amour ne dure que trois ans, mais que ce passe-t-il alors pour les relations ne dure pas, est-ce une certaine incompatibilité créée par le destin ? Et pour les couples qui fêtent leur 80ième années de rencontre, comment ça se passe pour eux, est-ce qu’ils se mentent comme je me mens à moi-même en ce moment même, en me forçant à prendre un air détaché, en me forçant également à ne pas penser à toutes ces lettres, ces mails et ces moments délicieux et attendrissants passés en sa compagnie. Mon cœur était déchiré et je ne pouvais faire l’impasse dessus, il était en miettes, comme mon corps, mon esprit, oui mon âme tout entière était déchue. Je me contentais alors de souffler en fermant les yeux, je sentais la fumée me chatouiller les narines, je tirais alors une énième fois sur ma cigarette et l’éloignais de mon visage en gardant la fumée dans mes poumons, comme si cela pouvait me tuer un peu plus vite. Elle n’en savait rien, en même temps qui pouvait savoir ce genre de chose à part le créateur lui-même ? Enfin s’il existait. « Peut-être bien… » Ma réponse était vague, comme toutes les autres, c’était peut-être le résultat de ma vague à l’âme, sans doute. Je laissais alors à nouveau le silence s’installer, on n’avait beau rien dire, j’aurais pu rester des heures accroché à ce téléphone en me disant qu’elle était à l’autre bout du fil, comme lorsque je le faisais en étant à l’armée, car pendant ces temps-là, elle me rassurait, me raccrochait à une réalité plus douce qui s’était aujourd’hui envolée.

J'avais répondu à sa question comme, je le pouvais. J'avais à présent d'énormes doutes et je me demandais moi-même à quel moment notre histoire avait dérapé. Je me remémorais la difficulté que j'avais d'être à des kilomètres de lui, combien de fois je me morfondais de ne pouvoir le sentir à mes côtés pour me blottir dans ses bras, juste pour le sentir enfin là. J'avais tenu bon tout ce temps et pour quoi? Me voir séparée à nouveau comme ce soir à l'autre bout du fil. Il était à nouveau silencieux ou presque, limite cela me fit anormalement sourire. Un si léger sourire doux de penser au passé. C'était bizarre, cela me rappelait nos appels quand il en avait la possibilité. Leroy? Tu me manques tu sais... Je me mordis presque instantanément la lèvre. Diable pourquoi venais-je de lui dire ça. Mais, ce fut ce que j'avais envie de lui dire tout simplement, c'était sortit trop vite, trop spontanément. Et c'était en fait tellement vrai, il me manquait.

Le temps où j’étais soldat n’était pas si éloigné et pourtant, j’avais l’impression que c’était définitivement le passé dont je gardais simplement les cicatrices aujourd’hui. J’étais pourtant, à cette époque-là, dans la torture quotidienne, dans l’arrachement de chaque vie, et surtout loin d’Oksana, et pourtant, nous restions unis. Je repensais parfois à ma demande, stupide, en mariage. Stupide par la façon, précipitée, très loin d’être en grande pompe, mais je voulais l’épouser car à ce moment elle était tout pour moi. Lexie l’aimait rien qu’en m’entendant parler d’elle, c’était elle, c’était une évidence. Et voilà qu’aujourd’hui on se séparait… Soudain, mon visage se figea, au même rythme que mon cœur soudainement meurtri. Ses phrases avaient eu la même intensité qu’un coup de poignard, et pourtant ce coup, même s’il me faisait saigner, me faisait terriblement du bien. « Ce n’est rien comparé à moi… » J’avais le poids de notre couple sur les épaules. Elle me manquait chaque jour, à chaque heure, et chaque seconde loin d’elle était une torture car je savais que c’était de ma faute si nous nous étions déchirés…

Je ne sais pas ce qui me prit de lui dire ça, sauf que je le pensais réellement. Mais, j'aurai peut-être du le cacher. Je me suis laissée allée à soupirer dès le moment où je lâchais cette bombe. Tu me manques. Mais, il me manquait, ses bras, ses baisers mais, au delà de tout cela sa présence était le manque le plus cruel. Oui juste ça sa présence à mes côtés, juste là près de moi. Nos discussions, nos sorties ce n'était pas juste physique c'était bien plus. Ce n'était pas juste par habitude c'était comme s'il me manquait une partie de moi. Je ne sais pas s'il m'entendit soupirer à ses souvenirs qui me chamboulait la tête. Pourtant les paroles qu'il prononça rendirent mes yeux plus brillants qu'ils ne devraient l'être, oui me firent monter les larmes aux yeux. Jamais, je n'avais voulu me détacher de lui, pourtant il l'avait fallu, c'était mieux enfin c'est ce qu'il pensait le mieux. Et moi la battante j'avais baissé les bras, j'avais suivis sa voie, celle qu'il traçait pour nous. Simplement. J'avais déposé les armes tout en fomentant une nouvelle guerre, celle d'un divorce. J'aurai voulu lui dire, alors pourquoi? Pourquoi tout ça mais, j'en eu pas le cran. Et une autre partie de moi avant envie de lui dire de prendre sa voiture et de venir là, de me rejoindre. J'avais envie de le voir juste ça, le voir. Et si tu... Si tu venais maintenant? finis-je par prononcer. Venir pourquoi? Signer, arrêter tout ça, venir juste comme ça? Je sais pas.