Bon appétit (+) Adam.

AUjourd’hui, journée chez le bro. ‘fin, il m’a pas vraiment invité, tu m’connais, j’m’invite partout où je passe et puis avec tout ce qui s’était passé, j’avais pas vraimetn eu l’temps de le voir. Avec tout ce qui s’est passé…bah j’entends…bon ok, ta gueule, j’voulais juste faire genre j’ai une vie mouvementée et un emploi de temps de ministre, comment tu gâches tous mes délires toi, c’dingue. Bref, j’disais donc que j’ai décidé de m’inviter chez le bro. Je l’ai croisé une fois au camping, on a discuté un peu et il m’a dit où il créchait et on a convenu qu’on devait s’revoir donc je m’impose pas vraiment nan ? J’suis allé faire quelques courses pour faire à bouffer…bon ok, j’ai fait des courses dans la cuisine où j’taffe, mais stresse pas comme une vierge qui doit passer à la casserole, ils le sauront jamais, c’bon. J’ai cuisiné ce qu’il devait l’être puis direction chez le bro. J’pense qu’il aura quand même un p’tit quelque chose pour chauffer et faire les finitions, bon, au cas où, j’ai aussi pris mon petit réchaud, magnifique création pour les hommes célibataires qui s’déplacent à donf. J’frappe deux coups sur la porte et attends. Pas longtemps et je frappe encore, juste pour l’faire chier. « Vous avez commandé une fille ? » que j’dis assez en essayant de prendre une voix de nana aguicheuse. Merde, j’aurais dû foutre un décolleté avec des oranges à l’intérieur, les pastèques c’est trop lourd à trainer.

Je me lève en tant normal aux aurores, simplement pour profiter d’un lever de soleil ou du calme matinal. Mais cette fois ci, j’ai traînassé au lit durant de longues heures émergeant seulement quand l’horloge affiche midi. Je profite d’être seul, de la quiétude de la pièce pour prendre mon temps. Fumer une cigarette à la fenêtre, bien que ce soit interdit dans ses chambres, tout en buvant un café serré fraichement sorti de la bouilloire et d’une boite de café soluble. Un café du genre imbuvable mais qui me met d’aplomb pour affronter la journée. Madison ne devrait pas tarder à arriver au Coachella. Et je compte bien profiter de son absence pour faire le tour du festival à moins que … On frappe deux coups dans la porte. Elle est en avance ? Je jette la cigarette presque terminée à travers la fenêtre et pose le café sur le bureau. Une voix résonne derrière la porte et je comprends de suite de qu’il s’agit. J’ouvre la porte à la volée, le regarde et la referme aussitôt. « Désolé mais j’ai pas allongé autant de billet pour un thon ! ». Mais il ne me faut pas un quart de seconde pour l’ouvrir à nouveau, enchanté par l’odeur qui s’échappe de ce qu’il tient entre les mains. « Putain t’as fait la bouffe ? ». Mon ventre pourtant calme se met à gronder quand mes yeux s’agrandissent de bonheur.

J’prends mon air le plus aguicheur quand il ouvre et il referme directement, je m’retiens d’éclater de rire à sa remarque. « Parait que vous en vouliez une toute poilue et tout en muscle, m’voici pour vous satisfaire monsieur » je bat des cils en mode pimbêche au lycée, t’sais comme celle qui s’faisait appeler Paris là et qui remuait du cul à chaque fois qu’elle marchait, t’avais l’impression que ses fesses faisaient tremblements de terre à chaque fois qu’elle avançait, t’sais. J’trouvais ça marrant à l’époque et puis quand elle v’nait te demander un truc, elle battait toujours des cils d’manière exagérée, p’tain, c’était tellement dégueulasse. « Allez, dis-le que j’suis le meilleur frère du monde et que tu m’aimes profondément plus que la vie elle-même et plus que ta moto ! » J’exige avec un demi-sourire avant d’entrer. J’ai bien précisé la moto car j’connais mon frère avec sa moto, il tuerait la personne qui y laisserait une rayure, pour ça que j’en m’en approche pas de trop près, tu connais ma maladresse, j’tiens à ma vie, ‘fin aux derniers mois qu’il me reste quoi. « Bah p’tain, le boulot d’prof ça rapporte un max, elle est cool ta chambre » c’est sur que tout était un palace à côté de la tente dans laquelle j’vivais comme un clochard là, mais bon, ça m’allait, j’avais connu pire donc, pas d’quoi s’plaindre « Bon, j’ai fait toute la bouffe, j’savais pas si t’avais une cuisine ou pas et apparemment non, t’as d’quoi réchauffer au moins ? Sinon j’ai pris ma plaque chauffante »

Poils et muscles ? Pas vraiment mon style de nanas non. Surtout si les pauvres sont dotés de la carrure de mon frangin et de sa voix rauque. Rien de bien excitant pour un homme, rien de bien excitant à mes yeux. Quand bien même s’il s’acharne à me charmer avec son ton aguicheur et ses battements de cils à tout va. « T’as quelque chose dans l’œil ? ». Je ris et le laisse entrer. J’attrape mon paquet de clope et m’en rallume une, même si la dernière date d’il y’a à peine quelques minutes. Briquet à la main et clope à la bouche je me dirige vers le frangin pour le prendre dans mes bras. « Oh oui tu es le meilleur ! ». Toujours en le serrant contre moi j’ajoute : « Mais ne me demande pas de choisir entre toi et ma moto ». Je le relâche, comme si je n’avais pipé mots et vais m’asseoir au bureau où il dépose les mets qu’il a préparé. Lorsqu’il parle du luxe de la chambre, je jette un coup d’œil rapide à la pièce avant d’hausser les épaules. « Ouais … C’quand même mieux pour pécho qu’une tente dégueulasse ». Je repose mon regard sur lui et comprends la maladresse que je viens de commettre. « Tu crèches dans une tente ? ». Un rire tente de s’échapper de mes lèvres mais reste confiné dans ma gorge. « Va falloir faire ça au réchaud, j’ai qu’une bouilloire ici … Par contre tu fou pas le feu ! ». C’est peut-être inutile de le préciser mais connaissant Jamahl aucune recommandation de dernière minute n’est inutile.

Adam marche pas dans mon manège, il m’connait trop bien et puis s’il m’avait cru, j’aurais été vexé, t’imagines, ça veut dire que j’ressemble à une meuf donc que j’devrais faire gaffe en boîte, au cas où un mec croit qu’j’kiffe m’faire trifouiller la prostate dans les chiottes entre deux verres. Ouais, même si c’est vachement conseillé de vérifier la santé de sa prostate, perso j’passe mon tour. J’tiens à crever en tout dignité, d’ailleurs faudra qu’j’demande qu’on inscrive ‘est mort avec son cul intact’ sur ma tombe, histoire de. Ah ouais, c’vrai que j’veux pas d’tombe moi, bon, tant pis, pas grave, j’le saurais c’bien assez ouais. J’pourrais mourir en paix et non m’préoccuper d’ce que la personne qui a visité mon cul pense. « Sérieux, tu préfères ta moto à moi ? Moi qui t’apporte à bouffer et pas de la merde fastfood ? » J’prends une expression triste, p’tain, manquerait plus que des larmes et j’aurais fait la totale. « Quelle cruauté Adam, tu es cruel ! » Ouais, c’vrai que j’commence à prendre goût au drame, bientôt j’serai le dramaking du coin et qui sait, peut-être que j’aurais une couronne, ce serait top. « Te fous pas de m’gueule, c’pas drôle ! » Je m’offusque faussement, continuant cependant à sortir mes affaires « Toi t’as une meuf, j’sais toujours pas comment d’ailleurs mais soit donc t’as plus b’soin d’pécho, j’te propose qu’on échange, j’vous file la tente, y aura assez de place pour vous deux et moi j’prends la chambre pour mon harem et moi » Bon c’est sur que dans une telle chambre, les meufs voudront plus venir, hein, elles auront pas peur que j’sois un tueur en série qui va les zigouiller et bouffer c’qui reste de leurs corps tants j’suis à sec. « T’inquiètes, j’gère » disant ça j’manque de faire tomber la bouffe au sol « bon ça, ça veut rien, okay ?! » j’vais installer le matos près d’une prise avec la casserole que j’manque aussi d’faire tomber, non pas maladresse, t’sais à cause d’un engourdissement. Ouais, ça recommence on dirait, pas maintenant. J’allume la plaque électrique et en profite pour m’masser discrètement le bras, ça l’air d’aller mieux. « Assieds-toi, c’est prêt d’ici cinq minutes, j’espère que t’as la dalle » j’en profite pour mettre la table et sortir le reste que j’pose entre nous deux « D’ailleurs, tu me présentes ta meuf quand ? »

Jamahl se met en scène, un parfait dramaturge que je regarde avec beaucoup d’attention. Je reste silencieux pour ne pas le couper dans son élan et lorsqu’il finit enfin j’hoche la tête et plisse les lèvres comme si je reconnaissais un talent certain. « Et ben … Tu va bientôt remporter un oscar toi, je le sens ! ». Tout en ignorant sa question concernant la valeur de sa vie et de ma moto, je soulève les couvercles des boites pour me mettre l’eau à la bouche. Ma moto est la seule chose qui me permette de m’évader, de prendre la route à la seconde où l’idée m’aura traversée l’esprit. Mais aussi chère qu’elle me soit, elle ne vaut pas la vie de mon frère. Ma chaire, mon sang, le seul abruti que j’aime plus que tout sur cette terre et pour qui je donnerais beaucoup, beaucoup plus que ce qu’il ne peut même imaginer. « Je sais pas ce qu’il s’est passé ! J’avais rien demandé et boum ses petites culottes ont envahies mes tiroirs ! ». Comme pour accompagner mes propos, je levais les mains en l’air tel un criminel en joue. Madison était bien la première fille pour laquelle je m’enflammais autant, c’était étrange mais agréable à la fois alors peut-être que c’était ça ? L’amour, la vie de couple et les conneries qui vont avec. « Tu négocieras avec elle, je veux pas de problème moi ». La tente ne me dérangeait pas plus que ça, en faisant le tour du monde j’avais vécu dans des endroits que l’on ne nommait même pas. Et Madison, je me doutais qu’elle s’en fichait autant que moi du moment que nous étions ensemble. Malgré tout, j’aimais l’idée de voir mon frère négocier durement auprès d’elle, lui avançant des arguments ridicules. Encore une fois je lève les mains. « J’ai rien dit ». Mais mon rire trahi mes pensées. « Bien sûr que j’ai la dalle, ça à l’air super bon, tu t’es surpassé encore une fois ! On dirait presque que t’as quelque chose à te faire pardonner ! ». Cette arrivée soudaine, ce repas complet me mettaient la puce à l’oreille. Et alors que j’écrasais ma cigarette dans le cendrier, je relevais mon regard vers lui. « Si tu veux vraiment la rencontrer … ». C’était étrange, je n’avais jamais présenté de nana à mon frangin et l’idée de le faire avec Madison me laissait un goût amer au fond de la gorge.

« Et comme t’es méchant je t’emmènerai pas avec moi à la cérémonie des oscars, j’garderai toutes les stars bonnasses pour mon pieux » J’lui tire la langue comme un gosse, comme quand on était tous petits. Ouais, bon, c’vrai qu’il y a d’quoi s’demander si j’ai vraiment grandi mais j’aime à croire que ouais, parfois même si mon comportement va pas vraiment dans ce sens, ouais, j’sais, t’as pas b’soin de me l’repéter à chaque fois, hein, j’suis conscient des choses, parfois. Pas souvent, ouais, ça aussi j’le sais mais ça m’arrive. « Elles sont belles au moins ses p’tites culottes ? » Tant qu’à l’envahir, autant que c’soit d’la qualité nan ? J’ai demandé ça comme ça, au fond, je m’en fous, une connerie pouvait être dite alors je l’ai dite, point barre, faut pas chercher midi à quatorze heures Syd, y a pas de signification métapsychologique ou un truc du genre. D’ailleurs, il t’arrive quoi ? T’es pas souvent à cheval sur c’que j’dis, ‘fin tu m’connais. Comment ça, j’manque de respect à mon bro ? J’ai pas dit que j’voulais m’faire sa meuf si ? Sérieux mec, faut que tu t’détendes. « M’faire pardonner d’quoi ? J’veux juste t’montrer à quel point j’suis un merveilleux frère et que tu m’files un peu d’thunes pour j’sorte une nana ! » Que j’réponds à se provocation, d’un ton enjoué, content qu’il ait pas r’marqué ma p’tite maladresse. J’continue d’me masser l’bras quand même, ça l’air d’être bon. « Nan, j’déconne, construis-moi juste une statue à mon image et ça f’ra l’affaire » J’ris, fier de ma connerie, ouais, comme d’habitude et j’suis sûr que toi t’es fier d’ce que j’suis, et que tu t’marres avec moi. Dis pas l’contraire, t’sais pas mentir Syd. Quand la bouffe est chaude, je la rapporte sur la table où j’trouve l’bro déjà installé. « Quoi, m’dis pas que t’as peur qu’elle préfère la version jeunesse et parfaite que j’suis ? ‘fin, j’te comprends, suffit, d’me regarder » j’essaie d’garder mon sérieux mais le ton malicieux que j’ai eu m’fait éclater d’rire, au moins, Julian sera content, j’travaille mes abdos. Pas b’soin d’aller passer toute une aprem dans une salle de sport pour ça, j’suis assez fier d’moi j’dois dire. Dès qu’on est tous les deux servis, j’m’assois à mon tour et on commence à bouffer, j’suis assez fier, d’moi c’plutôt pas mal, pas digne des resto cinq étoiles mais là faut les ingrédients et la cuisine qui va avec, mais vu l’endroit, j’suis assez fier du résultat « Alors t’en pense quoi ? » J’demande à Adam, sachant pertinemment qu’il m’donnera un avis sincère, pas l’genre à faire des courbettes ou à dire des trucs gentils pour faire plaisir. Tout s’passe bien, trop bien, apparemment puisque mon bras recommence ses tours, il répond plus aux commandements de mon cerveau, il répond plus à rien, p’tain, j’peux juste mater la fourchette que j’laisse tomber comme un con. J’fais un p’tit sourire d’excuse en mode, eh ouais, ton bro est toujours un gros boulet, ça change pas. Allez, réponds, réponds, p’tain, m’lâche pas maintenant. J’me concentre, discrètement, sur mes doigts pour les faire bouger, j’parviens avec le plus petit mais pas plus d’résultat, c’total, j’le sais, jusqu’à la jambe, quelle merde. J’sais ce que j’fous, bon tant pis, j’utilise ma main valide, soit la gauche, pour attraper ma fourchette et j’reprends l’repas comme si de rien n’était. « C’est ce que j’voulais te dire d’puis longtemps, en fait j’suis ambidextre, c’est mon talent et j’ai décidé de m’inscrire à America Got Talent, t’en penses quoi ? » Allez, on noie le poisson.

Sans même lui adresser un regard, je lançais : « Faudrait déjà qu’elles veuillent de toi ! », comme si je doutais de ses capacités à séduire. C’était un Lewis, il n’avait aucun mal à chasser quand bon lui plaisait, j’en étais certain. De mon côté, si la séduction persistait, ça n’allait pas plus loin. J’étais officiellement en couple, enfin aussi officiellement que ça peut l’être entre un professeur et une étudiante de l’université. Jamahl lui, avait l’air de ne pas trop prendre au sérieux cette récente mise en couple, mais c’était bien la première fois que mon frère me voyait dans cet état là. Je ne lui en voulais pas, même si mon poing vint s’écraser sur son épaule quand il me demandait un commentaire sur ses fameuses petites culottes. Puis il se mit à parler, Jam ou un vrai moulin à paroles. Ça n’arrêtait jamais. « Fais gaffe, un jour tu va t’étouffer avec ton égo ». Levant les yeux vers le ciel, je remuais la tête. « Je crois que c’est les hommes matures qui la font vibrer, je ne m’inquiète pas vraiment ». La beauté et l’égo, c’était peut-être bien ce qui nous définissait le mieux. Jam lui avait en plus l’immaturité, mais je lui pardonnais, il était jeune. Attiré par l’odeur qui se dégageait des plats, je n’émis plus un son jusqu’à ce que je sois servi comme un roi. Attrapant mes couverts je goûtais aux plats préparés par le frangin. « Tu t’es bien démerdé ! ». Pas plus d’éloge, j’avais déjà gouté à d’autres plats de sa patte et il était capable de bien plus que ça. Mais ce n’était pas mauvais pour autant, surtout dans les conditions dans lesquelles il avait du préparer ça. Je mâchais sans vraiment discuter, répondant à l’appel de la faim quand je remarquais que cela faisait bien au moins cinq minutes qu’il se massait le bras. Un bras incapable de supporter le poids d’une fourchette. Le bruit du métal contre le sol me fit l’effet d’une bombe. Soudainement je repoussais vers le sol la fourchette qu’il venait pourtant de ramasser. « Ramasse là avec ton autre main ». Non, plus question de rire, parce que s’il n’en était pas capable c’est que quelque chose n’allait pas et vu sa réaction, ce n’était pas une surprise pour lui.  

P’tain Syd ça bouge pas du tout cette merde. En plus, j’sens l’regard d’Adam qui est posé. Ouais, j’sais que c’était un peu trop gros c’que j’lui ai dit, il est pas con quoi, ‘fin pas complètement. P’tain, s’il sait que j’ai dit ça, j’suis foutu. J’ose pas l’regarder et j’me concentre en même temps sur l’bras, ça avait fonctionné dans Kill Bill non ? La meuf s’était concentrée pendant un long moment sur ses jambes et malgré des années de coma, ça y est elle pouvait remarcher. Adam balance ma fourchette sur l’sol et la pression commence. P’tain, chui dans la merde. Ouais, j’sais que j’aurais pu trouver une autre excuse pour l’coup, que j’aurais pu être plus subtile mais bon, tu m’connais, la subtilité et la discrétion ça jamais été mon truc, pourtant j’y travaille avec l’aide de Julian mais bon, c’pas trop ça. Arrête d’gueuler j’fais de mon mieux là ! J’fixe la fourchette au sol. « Parait qu’il faut pas bouffer un truc qui est resté 60 secondes sur l’sol » Ouais, t’as raison ma gueule. J’sais qu’il trouvera pas ça drôle et que nan, ça va pas détendre l’atmosphère, loin de là et si j’continue, il va finir par m’foutre son poing dans la figure et j’pourrais même pas répliquer parce que ce fichu bras veut pas bouger. Bon, faut que j’me fasse à l’idée, faut que j’attende, comme d’hab quoi, ça finira par passer, en espérant que ça aille pas partout. P’tain, même ma jambe commence à être engourdie, ça craint mec, ça craint un max. Ouais, on dirait que j’vais pas pouvoir y échapper, m’enfuir ? J’aurais l’air con à courir avec une jambe, vu mon équilibre habituel, j’vais m’bouffer la porte et ce sera réglé. « Je ne peux pas » j’dis finalement, j’sais pas quoi ajouter d’autre. Ca devient trop sérieux pour moi là, j’aurais pas dû v’nir et rester fumer dans ma tente p’tain.

La fourchette tombe à nouveau au sol, cette fois ci dans un silence glaçant. Mon regard se pose sur celui de mon frère et le défie littéralement de ramasser l’objet tombé. Ce n’est qu’une intuition, mais je n’ai pas vraiment de doute sur son incapacité à bouger le bras. J’ai connu ça, une fois auparavant, même à des centaines de kilomètres et son humour, censé faire distraction me met d’autant plus la puce à l’oreille. Un humour dont il ose pourtant encore une fois, m’obligeant sur le coup à lâcher mes couverts que je jette négligemment dans mon assiette avant de me lever et de me diriger vers la fenêtre. « Tu me prends vraiment pour un abruti hein ? ». Je ne le regarde pas, je n’ai pas besoin de poser mon regard sur lui pour qu’il saisisse le sérieux de ma démarche. J’attrape à nouveau mon paquet de cigarette, de toute façon je n’ai plus faim. J’en allume une. Et regarde par la fenêtre les vacanciers, clients de l’hôtel qui vont et viennent. « Pourquoi tu peux pas ? ». C’est une question à première vue naïve, mais je veux qu’il m’explique. Qu’il me dise la vérité. Pourquoi il ne peut pas, depuis quand, s’il c’est ce qu’il se passe. Moi, j’ai juste l’impression d’être passé pour un con et pire encore d’être passé à côté de ça … de sa maladie que je n’avais pas vu la première fois ni chez lui, ni chez mon père et je m’en veux, je m’en veux énormément, autant que je lui en veux à lui.

P’tain l’ambiance est pourrie, mais grave pourrie. J’sais pas comment on est arrivé là, en moins de cinq minutes. T’as une idée toi ? P’tain, c’est la merde, ouais, j’sais, j’peux pas y échapper. C’est comme ça, j’suis foutu, bon c’est vrai que ça c’était déjà le cas, mais j’étais venu ici dans l’idée qu’on ait un repas joyeux, entre bros, qu’on parle de choses nouvelles dans la vie de chacun, genre la copine d’Adam, parce que pour que lui ait une nana, genre officiel c’était comme attendre de l’eau dans le Sahara. Et ouais, j’ai retenu mes cours de Géographie et j’sais maintenant que c’est un désert. Bref, tout aurait dû bien se passer, on aurait ri, j’l’aurais fait chier, comme d’habitude, t’vois, à l’allumer sur son soudain sérieux sur sa nana, le fait qu’il s’pose et devienne un petit vieux romantique et qu’il manquait plus que la maison en bord de plage et les gosses qui courent dans le jardin. Avec le chien, bien sûr, il en faut forcément un. « Parce que je suis malade Adam » je m’entends répondre en mode sérieux, d’toute, j’sais reconnaitre quand c’plus l’heure de déconner, ‘fin parfois mais là, c’est ma maladie on parle de la possibilité que j’vais bientôt crever, ‘fin c’est implicite et l’idée là. Je m’y suis fait, mes proches nan donc autant les préserver autant que possible. « Ca arrive parfois que l’bras ou la jambe –ou les deux, mais bon, inutile de préciser- répondent plus mais ça revient toujours » j’lance avec détachement. Bon, ok, la première fois, j’avais flippé ma race, j’ai cru que ça y est j’étais foutu mais c’est revenu dans l’ordre, heureusement. « T’inquiètes, d’ici quelques minutes ce sera bon »

Pour la première fois depuis des mois, les mots qui s’échappent de sa bouche ne sont pas empreints d’humour ou de fantaisie. Une pointe de sérieux accompagne sa phrase et je le remercie intérieurement d’enfin prendre quelque chose au sérieux. J’avais l’impression avec lui que rien ne comptait, que rien ne valait la peine d’y accorder vraiment de l’importance. Tout était léger, jetable. C’était peut-être ça de vivre dans l’idée permanente de la mort ? Un comportement que j’appréciais autant que je haïssais. Ma main vint rejoindre le haut de l’arrête de mon nez que je serrais entre mes doigts tout en fermant les yeux. Malade. Putain ce que j’aurais aimé qu’il s’agisse d’un rhume ou d’une allergie. Mais ce dont il parlait n’avait rien à voir avec ça. C’était aussi grave que cela me serrait le cœur. « Tu es au courant depuis quand ? ». Après tout cela n’avait pas vraiment d’importance, le mal est fait, mais ma fierté me pousse à l’entendre, à le savoir. Encore une fois je me suis bien planté. Encore une fois je n’ai rien vu venir.Je relâche mon visage et quitte la fenêtre pour venir me rasseoir à la table sans même lui adresser un regard. « Tu suis un traitement ? Ils t’ont dis quoi les médecins ? ». Sans cérémonie je lui posais les questions qui m’importaient. Je n’allais pas dérouler un tapis rouge, appeler une cellule de crise ou l’enrober de sucre. Ce n’était pas mon rôle, ce n’était pas dans mon caractère.

Ouais bon, c’partit pour une discussion sérieuse. P’tain, t’sais que j’aime pas ça, ‘fin à quel point mais j’sais aussi qu’Adam a b’soin de ça, c’est une annonce grave quand même. Il était resté au stade mon départ quand j’m’étais cassé pour mon tour du monde et en forme, genre, les toubibs ont cru que ça y était, ils avaient réussi un miracle, j’étais guéri, mon cul pas très longtemps. Et Adam était pas là pour lui annoncer ma rechute et puis j’voulais pas, c’était déjà assez la merde de gérer les vieux et la sis, en plus, bah Adam a jamais été là, c’était pas important. « C’est pas important Adam » que j’réponds à sa question, ouais, c’pas important, il va s’énerver pour des broutilles. C’est pas le plus important là, ‘faut laisser le passé où il est et avancer, ‘fin, je m’en soucie plus, il a pas été là mais il est là maintenant, c’est ce qui compte à mes yeux. J’ai juste envie de kiffer ma race, ma famille avant le grand voyage, ‘fin tu le sais. « Plus d’hosto, plus de médocs, plus de docs, c’est fini ça » que j’dis rapidement, ouais, c’est fini. J’m’y suis fait à mon sort et j’ai pas des masses envie de retourner à ce qu’a été la fin de mon lycée, j’ai attendu trop longtemps pour que mes cheveux poussent pour aller les perdre aussi rapidement. ‘fin, p’tain, depuis j’suis devenu allergique à l’hosto, j’suis pas prêt d’y retourner. « d’toute, ils peuvent plus rien faire alors autant profiter de ma liberté au lieu d’devenir le cobaye qui testera tous leurs nouveautés »

Assis face à lui, sans même lui jeter un regard, j’attends qu’il réponde à mes questions. Mais bien sûr, Jamahl ne dit que ce qu’il a envie de dire et le sang me monte directement au cerveau. Mes poings viennent écraser la table en faisant trembler et tomber tout ce qui s’y trouvait. « Si c’est important putain ! ». Je me lève nerveusement et pousse la chaise sur laquelle j’étais assis. Je me rapproche de lui, l’air menaçant en pointant un doigt en sa direction quand la colère fend mon visage. « De quel droit tu prends les décisions à ma place ? De quel droit TU choisis ce que je dois ou non savoir ? Je te pose une putain de question et tu y réponds c’est tout ! ». Mais ce feu bouillonnant au sein de mes veines ne dure qu’un instant. Bientôt c’est la douche froide, glaçante, paralysante. Il m’annonce qu’il n’y a pas de traitement, qu’il n’y a plus de médecin que c’est fini. S’en est fini de lui. Je me redresse, baisse la main que j’avais levé à sa hauteur et reste immobile un instant, pantois, raide devant de lui. « Tu as déjà pris ta décision ». Sa décision, celle à laquelle je n’avais pas été convié. Vexé d’avoir été écarté depuis le début, déstabilisé par la nouvelle que je venais d’apprendre, je reculais de quelques pas. Puis après avoir attrapé ma veste, je m’extirpais de cette chambre d’hôtel en claquant la porte.

Il s’énerve, ouais, j’sais, je m’y attendais mais bon pas comme ça. Pas autant, en tout cas pas qu’il s’casse. J’suis ici pour me réconcilier avec mes proches, pas pour m’prendre la tête, c’pour ça que j’voulais pas lui en parler. Parce qu’il réagit toujours comme ça Adam. Et qu’en plus, il est doué pour m’entraîner avec, ouais, moi j’suis véner maintenant. J’pige pas pourquoi il s’emporte, j’sais qu’il a l’impression qu’on l’a laissé d’côté alors que non ,c’pas l’cas, de un j’voulais juste le préserver tu vois et puis c’pas ma faute s’il a jamais été aussi. Non je lui en veux plus…peut-être encore un peu, surtout quand il réagit comme ça. Moi j’veux juste qu’on avance et qu’on vive les derniers jours de ma vie en mode bro, à s’aimer et à bouffer. Ouais, j’sais j’ai conscience que dit comme ça c’est trop bizarre. Nan, j’veux pas m’faire mon frère, c’pas l’genre de la maison, c’est juste mon big bro et j’veux partager les trucs avec lui, t’vois. Bon j’le suis alors à l’extérieur, à croche-pattes, j’sais que j’ai l’air très con comme ça mais c’pas. « Tu t’casses encore, c’est ça ? » J’lui lance une fois devant la porte, assez haut pour qu’il l’entende. Ouais, j’sais que ça va encore plus l’énerver cette fois, que soit il va m’ignorer ou soit il viendrait m’en foutre une. Tant pis, j’suis solide au pire ça f’ra mal, j’chialerai un peu et c’sera tout. « Tu veux savoir depuis quand Adam ?! » j’crie encore, ouais, j’le défie ouvertement, bah j’suis déjà lancé autant continuer non ? Bon faut aussi que j’me prépare mentalement à avoir mal. « Depuis trois ans, j’étais à peine parti en voyage que j’étais déjà malade » J’poursuis, j’suis un énervé ouais…juste un peu. « Et t’viens tirer la gueule aujourd’hui parce que t’étais pas au courant, tu peux juste me rappeler pourquoi ? » Ouais, on y arrive, j’devrais peut-être m’arrêter là et le laisser continuer son chemin « Viens pas t’en prendre à moi parce que t’as jamais été là et tu t’es exclu tout seul de la famille »