Le vertige, c'est autre chose que la peur de tomber. C'est la voix du vide au dessous de nous qui nous attire et nous envoûte, le désir de chute dont nous nous défendons ensuite avec effroi.
Kundera - L'insoutenable légèreté de l'être.
Kundera - L'insoutenable légèreté de l'être.
La nuit est tombée sur la ville, sur cette rue qui pourrait n'être que calme et glacée, un peu sale, un peu vide, si elle n'abritait une boite.
Une boite gay.
Et je suis là... dans la file...pour payer mon entrée. Moi. Je suis là. Je dois être devenue folle? Je dois être devenue malade... je ferme les yeux, je déglutis, je serre les poings. Je compte jusqu'à trois. Rien d'horrible ne va m'arriver... Il ne peut se passer que des... des choses bien. Je ne vais pas faire demi-tour. Personne ne va me reconnaitre. Personne ne va me haïr.
Après de longues hésitations... j'ai décidé de... de céder, de tenter ma chance, d'être curieuse. Ni Grace ni Alice n'étaient là, j'ai pu me préparer en paix, chercher, étudier mon personnage. Je porte la main à ma perruque, y glisse des doigts habiles, habitués, pour vérifier, l'air de rien, qu'elle est bien maintenue en place. Je craignais un peu d'avoir l'air... trop... trop peu. Je ne sais pas. Blonde. Jupe à froufrou. Sandales ornées de feux diamants. Lèvres trop rouges, regard trop noir.
Je suis une autre. J'avais peur d'avoir exagéré... d'être trop maquillée, trop blonde, trop...
Je contemple la foule entrer dans la boite, une boule au ventre. Je n'en ai pas fait trop, moins que d'autres. Pas de cheveux bleus électriques, pas de tatouages sur tout le corps, pas de piercing, pas de pantalon militaire,pas de mini-jupe de cuir... Je suis dans la moyenne. Une autre fille parmi la marée de corps qui s'engouffre, sous le drapeau arc-en-ciel.
J'hésite encore un peu.
Ce n'est pas une bonne idée.
C'est une si mauvaise idée...
Je...
Je me glisse dans le flot, je paie mon entrée, j'entre dans le ventre de la bête. Je reste coite, un moment. Je les observe. Hommes et femmes. Danser dans la lumière bleue qui va et vient. S'enlacer, se provoquer comme si rien, jamais, n'aurait pu interdire à leurs corps de se frôler, de se confronter. Je les regarde rire, sauter, se déhancher, draguer. Il y a... les extravertis, les provocateurs, les discrets, les stars assoiffés de regards...
Une fille à moitié nue me bouscule, me sort de ma contemplation fascinée de deux femmes dont les corps s'épousent à la perfection.
Je ne peux pas. Pas encore. Je ne peux pas me mêler à elles, faire comme si j'étais à ma place, là, sur la piste... Je devrais sortir, partir fuir... Je ne peux pas. Je ne peux plus. Si je pars... Si je pars, je vais me détester, me traiter de lâche. Si je reste... SI je reste... je me le reprocherai... Mais pas ce soir.
Après un dernier regard sur les corps lascifs, provocants, je me fraie un chemin entre les danseurs, jusqu'au bar. Quelque chose de fort... Il me faut quelque chose de fort... J'articule soigneusement, paie, remercie, m'accoude et boit une gorgée, en posant les yeux sur la foule mouvante.
Emue.
Fascinée.
Envieuse.
Dégoutée?