BRUISESLe moteur de l’Aston Martin se coupait, la laissant dans un silence pesant. Le cœur au bord des lèvres, elle avait la sensation de l’entendre dans l’habitacle tant il battait à tout rompre. Sa journée, elle aurait dû la passer au Ritz, comme toutes celles qui avaient précédé cette semaine. Depuis maintenant une paire d’années, elle avait mis sa passion pour le dessin de côté, endossant le rôle qu’on attendait réellement d’elle : héritière de papa. Si elle n’était pas encore aux commandes de toute la compagnie, il lui avait confié les clés du Ritz de Los Angeles depuis une paire d'année, dès lors que les médecins leur avaient appris son cancer, fort heureusement aujourd’hui en rémission. Ce n’était pas de suite que Sullivan Senior allait s’éteindre, bien déterminé à modeler sa fille à son image : forte, indépendante et impitoyable en affaires. Il y parvenait.
Elle changeait, devenait plus adulte mais dans le cocon du privé, la férocité s’envolait toujours pour laisser place à la fragilité. Un petit bout de femme en devenir qui rattrapait les expériences manquées à cause d’un passé en dehors des sentiers battus. Finalement, la seule constante c’était eux : Andreas et Aaron. Si l’un n’avait jamais quitté sa vie, l’autre l’avait parsemé ci et là depuis quelques années. D’abord des amants puis des amis avant de se glisser dans la peau d’amoureux. Faire les choses à l’envers, ça leur ressemblait bien. Vivre les choses intensément, trop peut-être. Les premières jalousies, la douleur, les disputes et la goutte de trop. Ne plus se savoir capable de le partager, avoir le besoin de s’éloigner. Elle l’avait quitté parce qu’elle l’avait trop aimé. Peut-être que finalement, elle l’avait un peu comprise la Grace d’Andy.
A la différence qu’ils avaient fini par se retrouver. Après trois ans loin l’un de l’autre, la vie avait décidé de le remettre sur sa route en fin d'année 2022, avec le même hasard que les autres fois mais les sentiments en plus. De toute évidence, elle n’avait jamais cessé de l’aimer. Il était le premier et serait sûrement le dernier. Elle en était intimement convaincue lorsqu’elle sortait enfin de sa voiture, garée dans la cour de la villa de Campbell. Une inspiration profonde plus tard, ses talons claquaient déjà dans l’entrée alors qu’elle s’affairait à retirer la veste de son tailleur, symbole de son appartenance sociale et de sa montée professionnelle fulgurante. Fatiguée, ce n’était pourtant pas du Ritz qu’elle revenait. « Aaron, tu es là ? » Interrogation légitime quand chacun d’eux passait trop de temps au travail et que la maison était bien trop grande pour qu’un seul coup d’œil suffise pour répondre à la question. Habituellement, elle aurait été soulagée de l’entendre. Aujourd’hui c’était différent. Il déclenchait en elle une envie de vomir immédiate.
Ça ne l’empêchait pourtant pas de l’accueillir avec un sourire sincère ainsi qu’avec un baiser long et chaste d’un couple qui se retrouve après une journée de travail mais où il est aisé de ressentir les émois de la nouveauté relative. « Je suis pas sûre que ce soit une très bonne idée de me coller à toi comme ça quand tu es dans cette tenue. » Celle de chantier et plus précisément du peintre en train de refaire la chambre de sa fille qui n’avait plus rien d’un bébé désormais et qui commençait à savoir ce qu’elle voulait en terme de goût et de décoration. La chambre de princesse par excellence, de quoi ranimer quelques souvenirs d’antan chez Sullivan, son propre père ayant fait la même chose pour elle lors de son arrivée en Amérique. « Tu as un peu de temps pour faire une pause avec ta petite-amie ou elle doit enfiler un bleu de travail aussi pour discuter entre deux coups de pinceau ? »
she feels safe in |