Un soupir suffit à lui faire réaliser que sa question ouverte était trop maladroitement formulée. Embarrassé, voilà qu'il regrette instantanément cette main figurée qu'il avait inconsciemment tendue vers son ex. Malgré tous les efforts qu'il avait fait pour la maintenir à distance et en sécurité, loin de lui, force est de constater qu'il demeure faible en sa présence, incapable de résister au désir de retomber dans leurs vieilles habitudes, de la prendre dans ses bras et de la rassurer avec tendresse et affection.
C'est pourtant une Eve bien différente à laquelle il fait face aujourd'hui: elle semble si nerveuse en sa compagnie qu'il aurait presque l'impression qu'un allergologue lui avait confirmé qu'elle risquait l'asphyxie si elle restait plus de cinq minutes en sa compagnie. Au niveau de son visage, aucun mouvement zygomatique ne cherche à trahir le moindre sentiment positif: Eve reste stoïque, distante, de marbre. Une conséquence de ses propres actions, et une conséquence nécessaire, de surcroît. Adam a bien conscience des risques, des enjeux, et de l'ampleur de son sacrifice. Cela ne rend pas les choses moins douloureuses pour autant.
Pas un jour ne passe sans qu'il ne pense à Eve, ni à ce qui aurait pu être si les choses avaient été différentes. Il avait imaginé ad infinitum l'endroit où il lui aurait demandé sa main en mariage (devant la fontaine, bien évidemment), à la destination de leur voyage de noces (le Lac Tahoe, un paysage idyllique où il y a suffisamment d'arbres pour l'apaiser et d'eau pour faire rêver Eve, sans pour autant anéantir ses économies), la maison qu'il aurait acheté pour leur famille (une maison en banlieue sur deux étages qu'Eve aurait remplie de ses peintures), les enfants qu'ils auraient pu avoir ensemble (deux garçons, Andrew et Stuart, comme son oncle et son père, et deux filles, qu'Eve aurait nommées), le chien qu'ils adopteraient (Rex, un berger Allemand qui seraient inexplicablement friand de la babouche gauche d'Eve), et finalement, de l'endroit où ils feraient leur retraite (Los Angeles, bien entendu, car Adam ne se voit pas partir loin de sa famille).
Il avait contemplé la possibilité de renoncer à sa carrière, renier l'appel du devoir pour pouvoir se consacrer à celui de l'amour – mais rien, pas même une session d'hypnose particulièrement intense ne serait parvenu à l'arracher à son destin. Ce n'est pas qu'Adam aime davantage sa carrière qu'Evangeline: c'est simplement que défendre cette ville fait partie de son ADN, jusqu'au plus profond de ses entrailles. Rien, ni personne, ne pourra jamais obfusquer la responsabilité qu'il ressent vis-à-vis de sa ville natale. Si Adam aime Eve, il aime Los Angeles tout autant. Foncièrement altruiste, le choix ne se fait pas entre deux amours, mais entre le plus grand impact que ses actions peuvent avoir. Un choix qui le hante profondément, mais auquel il reste loyal. Dans le récit de la vie d'Eve, Adam retrouve relégué par choix au statut d'amour de garnison, aussi passager et temporaire qu'insignifiant. Elle finirait très certainement par trouver un homme digne d'elle (tout du moins, il l'espère, conscient que le risque qu'elle tombe sur un connard fini soit bien plus élevé) et par oublier Adam. Lui ne l'oubliera cependant jamais. Aucune autre femme ne trouvera la clef cachée qui mène vers son coeur: Eve était la seule qui en connaissait l'emplacement secret.
Voilà qu'elle se relève subitement, d'une façon relativement abrupte. Comme par instinct, Adam se redresse de concert. Les mots d'Eve le frappent avec tout le poids des reproches qu'elle a pu lui faire par le passé, ainsi que des non-dits qu'elle se refuse encore le droit de lui communiquer. Les sourcils d'Adam se froncent, indéniablement contrarié par la brutalité pourtant justifiée des mots de la blonde. Le détective ne sait pas à quoi il s'attendait en osant lui poser pareille question: ça semblait pourtant inévitable qu'elle lui réponde de la sorte. Tentant de se sauver la face, l'Américain fait ce qu'il sait faire de mieux: changer de sujet pour évader aux questions compliquées. Un talent qu'Eve avait eu la malchance de découvrir de nombreuses fois par le passé, et qui n'arrangerait très certainement en rien leur situation. Il aimerait pourtant pouvoir lui confesser à quel point il regrette ses actions. Comment il se maudit, quotidiennement, pour la façon dont il l'a traitée. Combien il regrette d'ainsi l'avoir éloignée de lui, combien elle lui manque, combien sa vie n'a pas de sens sans elle pour la partager à ses côtés. Mais Adam se résigne, conscient que tout aveu de cette nature rouvrirait ce chemin qu'il avait pris la décision ferme de condamner. Il a beau avoir été réassigné dans un autre département, les affaires sur lesquelles il travaille restent tout aussi épineuses, avec tout autant de risques et d'enjeux (si ce n'est plus).
Non, Eve continuera de le détester dans son ignorance. Elle continuera de le maudire de ne pas avoir su être honnête avec lui, sans jamais découvrir ce qu'il lui cache. Il mourra seul et incomplet. C'est mieux ainsi.
« Je te promets que nous ferons de notre mieux pour retrouver ta voiture. En attendant, Cindy à l'accueil peut t'appeler un taxi si tu en as besoin. Rentre bien, Eve. Et prends soin de toi, s'il te plait. »
Il y a une sincérité touchante dans ses derniers mots. Le genre de sincérité qui affirme qu'il tient encore à elle. Le genre de sincérité qui trahit, malgré lui, les sentiments qu'il préserve à son égard. Le genre de sincérité qui veut dire, sans ambiguïté: « je te souhaite de trouver tout le bonheur que tu mérites, et de trouver un homme qui te méritera plus que moi. » Et maintenant qu'Eve est partie, Adam retourne s'installer dans le fauteuil, jetant un dernier regard au beignet rassis avant de le balancer dans la corbeille à papier, trop écoeuré par la fin de cet entretien pour pouvoir continuer d'avoir faim. Douze années de regrets continuent de peser sur ses épaules, le brun résistant férocement au désir obsédant de courir après la blonde pour lui avouer qu'il l'aime encore.
Elle l'avait bien dit: « maintenant c'est trop tard ». Et les choses sont mieux ainsi.
C'est pourtant une Eve bien différente à laquelle il fait face aujourd'hui: elle semble si nerveuse en sa compagnie qu'il aurait presque l'impression qu'un allergologue lui avait confirmé qu'elle risquait l'asphyxie si elle restait plus de cinq minutes en sa compagnie. Au niveau de son visage, aucun mouvement zygomatique ne cherche à trahir le moindre sentiment positif: Eve reste stoïque, distante, de marbre. Une conséquence de ses propres actions, et une conséquence nécessaire, de surcroît. Adam a bien conscience des risques, des enjeux, et de l'ampleur de son sacrifice. Cela ne rend pas les choses moins douloureuses pour autant.
Pas un jour ne passe sans qu'il ne pense à Eve, ni à ce qui aurait pu être si les choses avaient été différentes. Il avait imaginé ad infinitum l'endroit où il lui aurait demandé sa main en mariage (devant la fontaine, bien évidemment), à la destination de leur voyage de noces (le Lac Tahoe, un paysage idyllique où il y a suffisamment d'arbres pour l'apaiser et d'eau pour faire rêver Eve, sans pour autant anéantir ses économies), la maison qu'il aurait acheté pour leur famille (une maison en banlieue sur deux étages qu'Eve aurait remplie de ses peintures), les enfants qu'ils auraient pu avoir ensemble (deux garçons, Andrew et Stuart, comme son oncle et son père, et deux filles, qu'Eve aurait nommées), le chien qu'ils adopteraient (Rex, un berger Allemand qui seraient inexplicablement friand de la babouche gauche d'Eve), et finalement, de l'endroit où ils feraient leur retraite (Los Angeles, bien entendu, car Adam ne se voit pas partir loin de sa famille).
Il avait contemplé la possibilité de renoncer à sa carrière, renier l'appel du devoir pour pouvoir se consacrer à celui de l'amour – mais rien, pas même une session d'hypnose particulièrement intense ne serait parvenu à l'arracher à son destin. Ce n'est pas qu'Adam aime davantage sa carrière qu'Evangeline: c'est simplement que défendre cette ville fait partie de son ADN, jusqu'au plus profond de ses entrailles. Rien, ni personne, ne pourra jamais obfusquer la responsabilité qu'il ressent vis-à-vis de sa ville natale. Si Adam aime Eve, il aime Los Angeles tout autant. Foncièrement altruiste, le choix ne se fait pas entre deux amours, mais entre le plus grand impact que ses actions peuvent avoir. Un choix qui le hante profondément, mais auquel il reste loyal. Dans le récit de la vie d'Eve, Adam retrouve relégué par choix au statut d'amour de garnison, aussi passager et temporaire qu'insignifiant. Elle finirait très certainement par trouver un homme digne d'elle (tout du moins, il l'espère, conscient que le risque qu'elle tombe sur un connard fini soit bien plus élevé) et par oublier Adam. Lui ne l'oubliera cependant jamais. Aucune autre femme ne trouvera la clef cachée qui mène vers son coeur: Eve était la seule qui en connaissait l'emplacement secret.
Voilà qu'elle se relève subitement, d'une façon relativement abrupte. Comme par instinct, Adam se redresse de concert. Les mots d'Eve le frappent avec tout le poids des reproches qu'elle a pu lui faire par le passé, ainsi que des non-dits qu'elle se refuse encore le droit de lui communiquer. Les sourcils d'Adam se froncent, indéniablement contrarié par la brutalité pourtant justifiée des mots de la blonde. Le détective ne sait pas à quoi il s'attendait en osant lui poser pareille question: ça semblait pourtant inévitable qu'elle lui réponde de la sorte. Tentant de se sauver la face, l'Américain fait ce qu'il sait faire de mieux: changer de sujet pour évader aux questions compliquées. Un talent qu'Eve avait eu la malchance de découvrir de nombreuses fois par le passé, et qui n'arrangerait très certainement en rien leur situation. Il aimerait pourtant pouvoir lui confesser à quel point il regrette ses actions. Comment il se maudit, quotidiennement, pour la façon dont il l'a traitée. Combien il regrette d'ainsi l'avoir éloignée de lui, combien elle lui manque, combien sa vie n'a pas de sens sans elle pour la partager à ses côtés. Mais Adam se résigne, conscient que tout aveu de cette nature rouvrirait ce chemin qu'il avait pris la décision ferme de condamner. Il a beau avoir été réassigné dans un autre département, les affaires sur lesquelles il travaille restent tout aussi épineuses, avec tout autant de risques et d'enjeux (si ce n'est plus).
Non, Eve continuera de le détester dans son ignorance. Elle continuera de le maudire de ne pas avoir su être honnête avec lui, sans jamais découvrir ce qu'il lui cache. Il mourra seul et incomplet. C'est mieux ainsi.
« Je te promets que nous ferons de notre mieux pour retrouver ta voiture. En attendant, Cindy à l'accueil peut t'appeler un taxi si tu en as besoin. Rentre bien, Eve. Et prends soin de toi, s'il te plait. »
Il y a une sincérité touchante dans ses derniers mots. Le genre de sincérité qui affirme qu'il tient encore à elle. Le genre de sincérité qui trahit, malgré lui, les sentiments qu'il préserve à son égard. Le genre de sincérité qui veut dire, sans ambiguïté: « je te souhaite de trouver tout le bonheur que tu mérites, et de trouver un homme qui te méritera plus que moi. » Et maintenant qu'Eve est partie, Adam retourne s'installer dans le fauteuil, jetant un dernier regard au beignet rassis avant de le balancer dans la corbeille à papier, trop écoeuré par la fin de cet entretien pour pouvoir continuer d'avoir faim. Douze années de regrets continuent de peser sur ses épaules, le brun résistant férocement au désir obsédant de courir après la blonde pour lui avouer qu'il l'aime encore.
Elle l'avait bien dit: « maintenant c'est trop tard ». Et les choses sont mieux ainsi.
All the things you do
And the way you move
Send me straight to heaven.