friendship letters.

11 octobre, 1992.

Cher Bartosz,

Comment vas-tu aujourd'hui? Je ne peux plus supporter cet abruti de Webber. Qui aurait cru qu'il était possible de tant massacrer Oedipus Rex? Comment fais-tu pour survivre à son jeu d'acteur raté?

Signé: Peter

11 octobre 1992.

Mon très cher Peter,

Je vais bien et toi?
Ne trouves-tu pas que tu es un peu dur, envers ce pauvre Webber, mon ami? Ce n'est pas simplement le jeu mais la présence sur scène. Que dis-je? La note. L'ironie même qui défie tout entendement. Oedipe, perdu et maudit par ses propres actes...
Bon... ce n'est pas Douglas Campbell ni Christopher Plummer. Je te l'accorde. Tu ferais un meilleur Oedipe que lui. As-tu jamais pensé à faire du théâtre?

Sinon. Parlant d'Oedipe... Je dois passer l'après-midi et probablement une bonne partie de la soirée à la bibliothèque, pour travailler sur ma dissertation de philosophie. Ma tendre mère va probablement tenter de me rejoindre. Inutile de t'infliger la torture de lui répondre : je la rappellerai à frais virés demain sans faute.

Signé : B.R.W.

11 octobre 1992: mot passé en classe.

Bartosz, mon ami,

Je me porte merveilleusement bien pour un homme qui se trouve à deux doigts de s'endormir. Ce charmant Webber devrait être remboursé par les assurances médicales: il est plus soporifique qu'un somnifère à fort dosage. À l'entendre, on pourrait presque penser que ce pauvre Oedipe était enchanté d'avoir occis son géniteur et fécondé sa génitrice. La voilà, la véritable tragédie.

Tu es bien généreux, mon cher ami, mais je crains que les feux de la scène ne me soient pas destinés. En contrepartie, je pense que tu parviendrais merveilleusement bien à captiver un public. As-tu déjà incarné le rôle de Roméo, ou peut être de Hamlet?

Est-ce que cela te dérangerait que je te rejoigne? Il s'avère que j'ai un essai de littérature Anglaise à rédiger, et que je rédige mes plus belles oeuvres lorsque je suis entouré de livres usés et moisis.

Signé: Peter

Mon très cher Peter,

Fais comme moi. Concentres-toi sur les doux mots imprimés sur le papier et imagine-toi sur les gradins d'Athènes, le soleil sur tes épaules, entouré de vénérables philosophes. Imagine la voix grave de l'acteur, affublé de son masque et toute l'émotion d'un homme qui a occis son propre père et juré à sa nation de le venger.

Oublie Webber. Laisses-toi transporter à Athènes. Ne vois-tu pas le choeur qui se lamente?

Mon dieu? Moi, Hamlet? Je figerais, sur une scène.

Oui, rejoins-moi! Je ne dirai jamais non à la compagnie d'un comparse. Socrate sera plus délicieux à lire, parsemé de Keats. Tout mon coeur penche pour ce poète.

Signé : B.R.W.

Mon très cher Peter,

Comment vas-tu? Boyd m'exhorte de tout son être pour aller lire mes poèmes préférés, à cette soirée-poésie, vendredi. J'ai choisi Keats. Tu crois que ça ira? Il m'a promis des flots d'alcool et la présence notable de la gent féminine du département de danse classique. Y seras-tu? Cette soirée ne serait pas la même pour moi sans toi, tu le sais bien.

Signé : B.R.W.

17 novembre 1992: mots laissés sur le réfrigérateur. Bartosz et Peter sont bons amis, pour ne pas dire meilleurs amis.

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Bon après-midi, cher Bartosz,

Je passe en coup de vent entre deux cours pour changer de chemise (on m'a renversé du café dessus) et te laisser ce petit mot. Je serais ravi de pouvoir assister à ta lecture de Keats Vendredi soir. J'avais un autre engagement*, mais je peux le reporter sans soucis! Il est évident que je ne manquerai pas une opportunité pour soutenir mon talentueux colocataire pendant son heure de gloire! Promets-moi simplement que je pourrai choisir ma danseuse en premier... Je te charrie, bien naturellement!**

Signé: Pete
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HJ (note narrateur):
*lire rendez-vous galant avec une charmante demoiselle, avec la possibilité de coït.
**non, il ne le charrie pas. Et c'est d'ailleurs ce qu'il se produira.

17 novembre 1992, mot laissé sur le frigo.

Mon très cher Peter,
Tu remplis mon coeur de joie! Si tu savais à quel point j’ai le trac. Ta presence m’apaisera! Regretteras-tu cet engagement? Je m’en voudrais de te faire somnoler avec mes sonnets alors que la Providence te sourit.

Promis, tu choisiras ton étoile, ce soir.
Mais je veux être le premier à avoir en main les faire-part, sache-le!
Je rigole. Toi, avec Casse-Noisette?! Je ne t’imagine pas avec une ballerine, mon ami.

Ton faux poète préféré,
Keats Bartosz

18 novembre 1992, 5:13 du matin. Première lettre jamais envoyée

Cher Peter,

Je ne sais pas ce qui me pousse à prendre ce damné stylo et à t'écrire. J'ai encore les mains qui tremblent. Je ne te remercierai jamais assez d'être venu, ce soir. Te souviens-tu de ce silence qui a envahi la salle au moment où les feuilles me glissaient entre les doigts? J'ai cru que tout était fini. Que je n'arriverais pas à prononcer une seule syllabe. Mais je t'ai vu me sourire. Je t'ai vu me faire signe, au travers de la foule. J'ai vu... j'ai vu ton regard bleu briller, comme jamais auparavant. Je...

Je t'ai trouvé magnifique. C'est toi qui aurait dû être sous les projecteurs.

Je t'ai vu sortir avec elle. Qui suis-je pour t'en vouloir? J'aimerais que tu sois là, avec moi, pour parler encore et encore de poésie. Tu me manques.

B.

18 novembre 1992: mot laissé sur la table basse. Après la rencontre avec Deborah.

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Mon très cher Keats (ce que ce nom te sied bien!),

Je passe en coup de vent avant mon prochain cours. Je n'ai pas dormi de la nuit, et pourtant, j'ai l'impression de voler sur un nuage! Je voulais m'excuser de ne pas être resté jusqu'à la fin du recital, hier soir. Lorsqu'une de tes camarades a commencé à écorcher du Plath, je n'ai pas pu rester. Mais j'ai entendu chaque mot de tes récitations, et elles étaient absolument merveilleuses. Keats lui-même n'aurait pas pu mieux les réciter, j'en suis persuadé!

Je dois également te faire une confession: si je suis parti plus tôt, c'est parce que j'ai fait une rencontre... Époustouflante! J'en ai encore le souffle coupé. Je ne sais pas si tu as remarqué la jolie blonde, tapie au fond de la salle? Elle était un peu farouche, à sa façon, isolée du reste, occupée à lire un livre toute la soirée. Un livre! Je n'en croyais pas mes yeux. Mais j'ai réussi à entamer la conversation, et après plusieurs tentatives ratées, j'ai réussi à lui décrocher un sourire. Alors j'ai tenté le tout pour le tout, et je lui ai demandé si elle voulait qu'on aille se promener. Et elle a dit oui! J'aurais pu lui proposer un rendez-vous un autre jour, mais quelque chose me disait que si je ne saisissais pas ma chance ici et maintenant, elle finirait par changer d'avis! J'espère que tu ne m'en as pas trop voulu.

On a passé la nuit à faire le tour du campus. Simplement marcher. À un moment, on s'est posés près de la statue du Bruin. Et on a parlé. Lorsqu'elle a pris froid, je lui ai prêté ma veste. Et on a parlé un peu plus longuement. Je ne saurais pas comment l'expliquer mais j'ai ressenti quelque chose d'électrique, dans son regard. Comme un chant de sirène, un appel qui m'était destiné. Je sais que c'est probablement prématuré, et je ne saurais pas expliquer comment ni pourquoi, mais j'ai vraiment l'impression que c'est elle.

Te souviens-tu de ces longues conversations arrosées que nous avons-eu, au sujet des destinées et des âmes correspondantes? Je m'avance probablement, mais je crois avoir trouvé la mienne... J'ai encore des noeuds dans l'estomac!

Allez, il faut que je file. Je t'invite à ton restaurant favori pour diner et fêter ton récital et ma rencontre, retrouve moi à 19:30. À ce soir!

P

18 novembre 1992, mot laissé sur le frigo

Mon très cher... Hemingway, (je trouve que ta prose a un goût de ce réalisme qui caractérise si bien cet auteur).

Je suis désolé de ne pas avoir pu t'écrire auparavant. Je passe en coup de vent à l'appartement.

Je... Je suis heureux pour toi. Cette destinée.... je t'envie. Cette âme correspondante, cette âme-soeur... Je peine à imaginer ton bonheur. Cette sensation de chaleur dès que tes yeux se posent sur elle, cette sensation de vertige juste à sa présence, cette connection, cette brûlure dans ta poitrine dès que l'autre s'éloigne... Ce sentiment de douce agonie quand elle ré-apparait comme l'astre du jour. Je suis heureux pour toi. J'espère qu'elle le ressent aussi. Je n'imagine pas l'extase de voir ce sentiment partagé.

Je... suis désolé. Boyd insiste pour revenir sur mon recital. Je lui ai déjà promis que je serai là.
Un autre soir peut-être?

Keats B.

18 novembre 1992: écrit à la suite du mot de B, sur le frigo.

Keats, mon cher acolyte,

Je suis honoré que tu puisses me comparer à cet auteur que je révère et que j'admire tant pour sa plume phénoménale. Je continuerais d'oeuvrer dans l'espoir d'un jour pouvoir lui arriver à la cheville.

Aucune excuse n'est nécessaire! Nous avons chacun nos vies respectives et nos engagements. Nous ne nous appartenons pas!

Je te remercie pour ton soutien, ainsi que pour ta générosité à accepter de partager ma joie. Tu es vraiment un véritable ami, et je me considère chanceux de pouvoir compter sur toi. Je ne décrirais peut être pas entièrement les choses de cette façon là! (Tu as de très belles tournures, d'ailleurs. N'as-tu donc jamais été tenté de rédiger tes propres poèmes? Tu aurais un talent remarquable, j'en suis persuadé! Tu devrais y songer).

C'est difficile à décrire. Moi qui ne peine pourtant habituellement jamais à trouver les bons mots...

Elle ressemble exactement à la femme qu'on m'a toujours promis que je trouverais un jour. Exactement. Comme deux gouttes d'eau. Au détail près. Chaque cheveu, chaque expression... Tout concorde avec cette image que je m'étais fait de mon avenir. Et lorsque je la vois, je vois la possible promesse d'un avenir à deux. Une belle maison. Deux, ou trois enfants. Je me doute qu'il est encore tôt et que je dois encore découvrir si la sirène est véritablement enchanteuse, ou protectrice d'une vicieuse harpie. Mais je reste optimiste, et enthousiaste à l'idée de le découvrir. Quelque chose me dit que c'est la bonne. Ça semble fou de l'avouer, si rapidement après l'avoir rencontré. Et je suppose que je suis fou, d'une certaine façon. Fou d'amour et de passion pour cette belle créature que j'ai rencontrée... Grâce à toi!!! Si il s'avère qu'elle est celle pour moi, sache que je te le revaudrai à tout jamais.

Je suis navré d'apprendre que tu es indisponible ce soir pour me retrouver au Pierogi. M'en voudrais-tu terriblement si j'osais y emmener Deborah en guise de substitut? C'est le genre de femme qui n'est pas facilement impressionnée alors je suis particulièrement déterminé à la surprendre en lui faisant découvrir de nouvelles choses.

Demain, je l'ai invitée pour assister à une représentation de Macbeth. Mais peut être que nous pourrons nous retrouver dimanche soir pour fêter ton récital?

Ton meilleur ami,
Pe Hemingway

Peter L. Michaels aime ce message

18 novembre 1992, post-it sur le frigo. Encre brouillée, par endroit, écriture négligée

Eh bien, nous avons tous un conte, en nous. Cette âme qu'on a tous imaginée, nuit après nuit. Soupir après soupir, dans nos rêves les plus fous
Je suis heureux que tu aies trouvé le tien, mon ami.

Bonne soirée.

B.

17 décembre 1992, lettre posée sur la table de la cuisine, avec un petit paquet bien eveloppé. Dedans, le roman, version bouquinerie, dont Peter a parlé tout le trimestre.

Mon cher Peter,

Je n'ai pas été très présent à l'appartement, ces dernières semaines, je m'en excuse. Les profs du département d'histoire sont tous déments. Ma mère a insisté pour que je retourne au pays, pour les fêtes de fin d'année. Elle espère probablement me tuer pour de bon à coup de brisket, de latkes et de Sufganiyot.

Ma part du loyer de janvier est sur ta table de nuit.

Je te souhaite un joyeux Noël et une Bonne Année.
Que tes rêves les plus fous se réalisent.

B.
(une adresse au Manchester, Angleterre et un numéro de téléphone, pour les urgences)

23 décembre 1992, colis* réceptionné à Manchester, Angleterre. Peter a envoyé ce colis plusieurs semaines plus tôt, et n'a donc pas lu le mot de Bartosz avant de l'envoyer.

Cher Keats,

Ta mère a appelé par hasard il y a quelques jours et j'en ai profité pour lui demander vos projets pour les fêtes de fin d'année. J'espère que tu ne m'en voudras pas pour cette intrusion, mais je tenais à ce que tu aies une surprise pour Noël. Je sais que cela ne fait que quelques mois que nous nous connaissons, mais j'ai réellement l'impression d'avoir pu trouver en toi un véritable frère et confident. Merci infiniment pour ton amitié, qui a une valeur inestimable à mes yeux.

Un excellent Noël et une belle fin d'année à toi, Bartosz.

Ton ami,
Pete

___

*Un paquet contenant une version reliée haut de gamme des plus illustres poètes turques, avec des annotations de Peter sur certaines pages.

Peter L. Michaels aime ce message

23 décembre 1992, lettre envoyée de Manchester, elle arrivera une dizaine de jours plus tard. Bartosz, lui, ne revient qu'à la veille du retour en classe

« J’ai mal à la tête, mon cœur est fou ! ’ vous dites.
« S’ils te pendent, si je te perds ; vous dites ;
« Je ne peux pas vivre ! « Vive ma femme, ma mémoire se dissipe comme une fumée noire au vent ; Vive la sœur rousse de mon cœur, la douleur de la mort au XXe siècle dure un an tout au plus . La mort est un mort suspendu à une corde. Mon cœur ne pourra jamais consentir à cette mort . Mais sois sûr, chérie ; Si la main poilue et noire en forme d’araignée d’ un pauvre gitan va mettre la corde autour de ma gorge, ils chercheront en vain à voir la peur dans mes yeux bleus Nazima !

Nous n’avons pas de longs cheveux gras enroulés autour du cou de nos cœurs ,
Adieu, rossignol, âme, clair de lune, bla, bla
Nous sommes rassasiés.
Et pour l’instant , on ne donne pas un sou aux oeuvres du coeur…
Vous nous confiez votre femme sans aucune crainte.
Nous remplissons les cris de Prométhé et fumons notre pipe comme du tabac brut, La donnant avec la tour à feu, épaule contre épaule. Nous choisissons les yeux qui brillent sur les horizons...
- Nâzim Hikmet

Cher Hemingway,

C'est si beau, Peter.. Mon âme fond devant chaque caractère, devant chaque signe noir, sur l'ivoire... Quel cadeau! Et tu as préparé ça d'avance??? Grands Dieux! Certes.... nous nous connaissons que depuis quelques mois. Mais nous avons toute la vie devant nous et... J'ai l'impression de te connaître depuis toujours. Comme... comme si mon âme te suivais depuis la nuit des temps. Je suis émotif, pardonne-moi. Jetlag.
Sinon...
Comment as-tu réussi à survivre à cette conversation téléphonique avec celle qui m'a mis au monde? Personne n'est immunisé au tranchant de cette langue... si tu savais.

Je ne te remercierai jamais assez. Ce livre me suivra partout, je te le promets.

C'est encore Hannukah, ici. Il en reste trois jours. Je penserai à toi chaque fois qu'une autre des huit bougies sera allumée!

Bartosz