Elle s’est dévoilée, l’a surpris. Elle le séduit, un moment, puis l'attendrit, l’instant d’après. Encore, et encore. Par des réflexions enfantines, puis sages, et à nouveau enfantines. Ces femmes enfants ont un pouvoir attrayant hors du commun, souvent si efficace chez les hommes fraîchement murs. Elles chamboulent, elles intriguent, elles interrogent. Plus femme, ou plus enfant ? Cette Adélaïde, où se situe-t-elle vraiment ? Qu’a-t-elle réellement à offrir à un trentenaire comme lui… ? Faut-il se laisser porter, puisque le tableau est si saisissant et la partition si convaincante ? Si vraie, dénuée de fausses notes…
Comment aurait-il pu résister éternellement ?
Lui qui n’a pas pour habitude d’attendre, de remettre à demain ou d’abandonner.
Lui qui n’aime pas dire non à ses envies, lui qui aime trop les femmes.
Lui qui est fatigué de combattre ses démons, chaque nuit…
Comment aurait-il pu ?
…
Il ne regrettera pas. Ce baiser à la saveur sucré-salé, si plein de candeur, de douceur et de mystère. Il l’a voulu, il l’a pris. Percevoir et ressentir les envies d’Adélaïde n’était plus suffisant ; il fallait les sentir de plus près, les toucher, les chambouler. Faire ce en quoi il excelle tant, ce pour quoi il se sent si vivant.
Dans ses yeux à elle, une lutte silencieuse, une lueur éclatante. Ce qu’il veut voir et ce qui le comble, malgré son recul.
Le plaisir, auquel se voit intégré l’estime. Celle qu’il a à son égard et qui le retient d’aller plus loin. L’estime, ce soir si étrangement complice de ses sentiments enfouis pour l’Italie et ses saveurs manquées. Il pourrait se sentir perdu, mais ce n’est pas le cas. Adélaïde, celle qu’il a rencontrée ce soir, ne mérite pas de se retrouver seule d’ici quelques heures, lâchement abandonnée dans des draps défaits par un homme qui n’a plus rien à perdre, ou presque.
─ Si malaise il y a, il ne viendra pas de moi. Ose-t-il ajouter fièrement dans un murmure mielleux, pour que cela ne fasse pas trop écho aux paroles de la jeune fille.
Elle est une adulte, certes, mais il sent bien dans ses mots qu’elle est plus sensible que ce qu’elle veut laisser penser. Alors il se contente ensuite de sourire puis la regarde se lever pour aller appeler un taxi dans un élan de responsabilité qui amuse tendrement le photographe.
─ Qui serais-je pour tenter de négocier avec une femme aussi dure en affaires que toi ?Il capte son regard et lui offre un sourire taquin hautement révélateur de la contenance moqueuse de ses propos. A vrai dire, il ne crachera pas sur un véhicule pour rentrer chez lui. Le Westwood et sa villa sont loin… bien loin de là où il se trouve actuellement et le grand Campbell a de plus en plus tendance à privilégier le confort aux efforts, tout du moins quand ceux-ci s’avèrent inutiles et peuvent être facilement évités à l’aide de quelques billets verts.
Lorsque la blondinette revient lui proposer un ultime verre, il se met à rire avant de déclarer :
─ Laisse-moi deviner. Tes colocataires t’ont lancé le défi de vider cette bouteille en un jour. Amusé, il la regarde avec une réelle curiosité puis ne tarde pas à faire un signe de main entraînant.
Allez, un dernier pour te faire plaisir et pour égayer le chauffeur de taxi.Car un Aaron saoul, c’est un Aaron plus bavard. D’ailleurs, il ne tarde pas à reprendre la parole dès que le contenu de son verre est avalé ; “tout et rien” y passe, jusqu’à ce qu’il se décide enfin à descendre rejoindre le taxi garé en bas. Mais auparavant, il reste quelques secondes face à Adélaïde dans l’encadrement de la porte. Il lui adresse les derniers mots qui lui viennent à l’esprit, il la regarde avec malice et une pointe de gourmandise, il l’embrasse sur sa joue puis il file s’engouffrer dans l’ascenseur, sans penser une seule seconde à ce qu’il a oublié chez elle…
Fin du sujet