Kai est bourré. Je le vois à ses réactions lentes et son incompréhension du monde qui l’entoure. Je vois son regard perdu quand je remballe — de façon pas très délicate je l’avoue — le barman (Wilhem). Du coup, quand je m’éloigne pour aller boire dans un coin plus tranquille, je suis obligé de le tirer par le bras. Dans l’autre main, j’ai la bouteille de vodka et les verres à shots. Tout pour passer une bonne soirée ! Je nous isole du côté des camions de pompier, et le rouge pétant me fait mal aux yeux, que je cligne deux trois fois. Je remplis les verres à ras bord, cherche une excuse pour trinquer avec mon acolyte, en vain, abandonne. « Aux Deltas ! » Ah bah oui, c’est bien aussi ça, comment j’ai pu ne pas y penser? Il boit cul sec, et je l’imite rapidement. Ça brûle. « Waouuuh ! » Je toussote légèrement. « Ça arrache pas mal. » L’alcool fait que mes sens sont décuplés. Ou pas, en fait. Parce qu’une fois la gorgée passée, je n’ai qu’une envie, c’est d’en reprendre une autre, le goût affreux aux oubliettes. « J’aimai bien cette idée de trinquer pour nous même. » J’hoche la tête. « T’as eu raison ! On mérite bien ça quand même. En plus, on leur offre boissons et bouffe gratuites et ils se plaignent encore… Aucune reconnaissance… » Puis j’hausse les épaules, comme si au final, de cette manière ou d’une autre, ça ne changeait rien. On avait eu droit à notre petit show sur scène, et nos âmes de Deltas étaient comblées. « Sers-moi en un autre mec ! » « Avec plaisir ! » lançais-je, lui répondant au tac au tac et levant la bouteille en l’air en signe d’approbation. Sauf que la serveuse du début de soirée (Tacia) revenait au galop. Elle était décidée à pourrir notre soirée elle ou quoi ? A croire que oui, puisque qu’elle renversa le contenu de la bouteille et la brisa en milles morceaux. « T'as cru que t'allais nous imposer le respect avec tes 50$? Tiens j't'en offre 60, va t'acheter de la classe et des bonnes manières enfoiré! » « T’as pas franchement le sens des affaires toi… Je crois pas que ton patron de ce soir va être content… Mais merci ! » Et je rangeais les 60$ gratuit que je venais de remporter. « Messieurs, si vous comptiez vous mettre la tête à l’envers, vous avez choisi le mauvais endroit. Ici, ce n’est pas le club de débauche que vous avez l’habitude de fréquenter. » What? C’est qui lui? (Isay) Il débarque d’où? « Retourne gentiment là bas s’il te plait… Maintenant que tu as fait ton petit scandale tu peux nous laisser en paix? » adressais-je à Tacia en ignorant l’autre vieux rabat-joie. Je reportais mon regard sur Kai, qui me tendait son verre de shot à nouveau. « J’ai soif. » réclame-t-il avec un clin d’oeil. Oulala… « On n’a plus de bouteille mec. » Lui, il est complètement déchiré. Sauf que je commence à l’être aussi, alors je ne pense même pas à jouer le responsable et ne pas le resservir. « Viens. » Je laissais Tacia là et emmenais Kai plus loin, bras dessus bras dessous. Au bout de la caserne, là où il faisait presque noir complet, je le fis s’assoir par terre contre le mur avant de faire de même. Silence de quelques longues secondes. « Tu sais que j’t’aime bien toi. » Maintenant que j’y pensais. « Mais genre, vraiment hein ! Pas de l’hypocrisie, tu sais bien que les Deltas sont loyaux. » Clin d’oeil et coup de coude complice. « J’veux dire… t’es un bon pote… genre vraiment bon ! Je m’éclate avec toi ! » Ça sent le discours d’ivrogne, vous trouvez pas? « Puis je m’en fous que toi et Charly vous vous entendez pas. » C’était bien connu, Charly était un de mes meilleurs potes. Et là, j’étais avec son ennemi. « Moi j’vous aime bien tous les deux ! Pas de camp, regarde, drapeau blanc. » Je fouille dans ma poche à la recherche d’un mouchoir en papier. Or, je n’avais jamais de mouchoirs sur moi. J’haussais les épaules. « Ah bah tant pis. Pas de mouchoir. » Et je fis une petite moue déçue. « J’t’aime Kai ! » Et je lui offris un gros câlin — un peu bancal. Merde, j’étais complètement déchiré moi aussi. Vive la vodka ! « Enfin, en toute amitié bien sûr hein. » précisais-je quand même en me reculant. Longues secondes de silence à nouveau. Ah bah non, fallait pas qu’il s’endorme ! « Chiche on monte dans un camion? Toi au volant, et moi je fais le mourant ! » Bah oui, il fallait bien que je le mette au défi ce petit, sinon je l’entendrais bientôt ronfler en bavant sur mon épaule. Et ça, hors de question ! La soirée n’est pas finie… Loin de là.