Il y a des bulles de présence autour des gens, en flottements doux. Des bulles de présence qui frémissent quand on y entre. Qui frissonnent quand on y sort. Ces bulles qui préviennent, sans qu’on sache comment, que quelqu’un est près de soi. Veut parler. Veut dire. Veut agir. Veut quelque chose.
« Les réactions devaient être tout aussi variées qu'il y avait de bourreaux différents. Mais est-ce que ça vaudrait vraiment la peine d'attacher quelqu'un ce soir, sans l'intention de blesser la personne ? Le ressenti serait faussé... »
« C’est une bonne réplique. »
Ethan reconnait l’ovale de ce visage. Cette étonnante régularité dans la double paupière des yeux bridés. Le nez à la forme tant adulée par les asiatiques de l’extrême orient. La peau pâle. Les lèvres ourlées comme des fruits mûrs.
- Monsieur Moon… Bonjour.
Monsieur Moon est l’infirmier qui l’a abordé, un jour, pour lui demander son aide. Un cousin qui étudierait la criminologie en Corée. Ethan l’a aidé. Une étude de cas venu des pays levants… Pourquoi pas ?
Ethan ne sourit pas. Quelque chose le dérange. Quelque chose qui lui gratte le ventre, depuis l’intérieur, et qui remonte vers son estomac. Son œsophage. Ses dents. Ses canines. Ses crocs. Une envie de mordre… Qu’il ne s’explique pas tout de suite. Ce professeur de criminologie de 27 ans a un souci : il ressent avant de comprendre.
- La réplique est bien sérieuse, pour quelqu’un qui prend part à une rave party. Ne voulez-vous pas entrer dedans ?
Et puis surtout… Depuis quand les psychologues, les enquêteurs… font-ils de nouvelles victimes à chaque reconstitution ?
Ethan se pose cette question étrange. Moon ne lui avait pas semblé idiot… Plutôt intelligent, même. Pourquoi cette réplique ?
Ah oui. C’est cela. Son envie de mordre. Les incohérences de Moon… le symptôme d’une agressivité. D’une attaque voilée… ? Pourquoi l’attaquer sous couvert, soudainement ?
Ethan sent presque les moiteurs et les odeurs des sueurs collées. Il ressent presque le contact des peaux entre elles. L’excès de sensations rend les muscles paresseux. Il sourit, avec la langueur des gens dont les sens ont été hypertrophiés.
- La réplique oublie que dans aucun domaine, aucune reconstitution ne blesse quiconque. Pourquoi me poser cette question alors que vous n’êtes pas idiot ?
Il est susceptible. C’est ennuyeux… Mais c’est ainsi. Et dans son corps hyper sensibilisé, la colère n’a plus de barrière.
- La réplique a un ton bien assuré pour quelqu’un qui a demandé mon aide il y a quelques jours à peine. Votre cousin n’aurait-il plus besoin de mon aide ? Ou dois-je contacter le professeur de Seoul pour lui demander si je me suis trompé ? (*)
La colère donne des yeux scalpels. Dans les yeux verts teintés de jaune, le monde s’engloutit. Le monde tombe avec toute sa réalité. Sa tangibilité. Son odeur et sa matérialité. En Danny, Ethan voit l’admiration pour Moon, l’assentiment total, la gourmandise. Le regard du jeune doctorant est une longue caresse sur le corps de l’infirmier. Une énorme sucrerie prête à entrer en bouche.
- Oh, quel regard, Danny…
Le sourire de morsure devient un rire velours.
Mais le velours d’Ethan n’est pas doux. Du velours, son rire n’a que l’étouffement et le secret. Les alcôves de New York où il a grandi n’ont rien de charmant.
- Je te laisse avec ton ami. Inutile de me raccompagner. Si nous croisons un apollon en route, cela m’ennuierait que tu perdes de nouveau ton cerveau. Je préfère ta compagnie lorsque tu es intelligent. Au revoir, Messieurs.
Ethan tourne le dos. Après tout, il n’avait pas l’intention de rester très longtemps… Il voulait voir la faune locale. Il a testé la rave sous l’impulsion d’une invitation qu’il n’a osé refusée. Cela était nouveau. Cela était drôle. Cela lui a appris. (**)
HRP :
(*) Ethan ne sait pas qu’il a, en réalité, résolu un cas pour la Corée du Nord.
(**) Au cas où ce ne serait pas clair, Ethan quitte le TG.